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De l’art d’enrichir sa photothèque…

Bonjour

Un petit billet rapide aujourd’hui suite à différents messages qui me sont parvenus.

Il est souvent question des concours photo dont le but à peine dissimulé est de permettre à l’organisateur de se constituer une photothèque à moindre coût.

On voit passer à ce sujet des règlements de concours qui donneraient des boutons à tout professeur de Droit de la Propriété intellectuelle  qui se respecte, et à fortiori aux photographes qui tentent de vivre aussi décemment que possible de leur métier.

Si la question n’est pas neuve, ce qui m’amène à vous en parler aujourd’hui, c’est qu’en se manifestant en groupe, on parvient parfois à faire changer les choses, et rapidement de sucroît..

Comme on le dit dans les feuilletons “médicaux” à l’arrivée d’un patient aux urgences, “qu’est-ce qu’on a aujourd’hui” ?

 – Le premier “concours” est celui organisé sur le site http://amrf.fr

L’Association des Maires Ruraux de France a en effet publié sur son site un concours ayant pour thème “Regards sur la ruralité”. Riche idée sur le principe, si ce n’est qu’en son article 2, le Règlement dudit concours contient une clause malheureusement habituelle, mais toujours aussi critiquable, puisqu’elle est rédigée dans les termes suivants :

En son article 7, le Règlement confirme en outre ses intentions puisqu’il est indiqué :

Remarquons tout d’abord que cette clause de “cession gratuite”, rédigée de façon aussi large que possible, ne contient aucune limitation ni dans le temps ni dans l’espace.

Regrettable si l’on s’en réfère à l’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle, selon lequel “La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination quant au lieu et quant à la durée”.

Certes les organisateurs prévoient une adhésion (obligatoire) au système des Creative Commons, et confirment (c’est bien le moins !) que le nom de l’auteur sera mentionné sur toute utilisation..

Cependant, dans la “licence” visée par le Règlement, il n’est bien sûr pas question de limitation dans la durée ou l’étendue géographique.

Or, la Cour de Cassation a eu l’occasion de rappeler  que ne sont PAS valables les contrats comportant une cession totale et illimitée des droits sans rémunération ultérieure, puisque la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que dans l’acte de cession le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité notamment quant à sa durée et son étendue …. (Civ. 1ère ch. , 13/12/1989, Bull.civ. I, n° 391; voir également Civ. 1ère ch. 21/2/1989, RIDA, av. 1990, p. 137).

Donc si j’ai un conseil à donner aux photographes courageux : participez, gagnez.. et quand vos photos seront utilisées sans votre accord dans différentes campagnes de publicité ou de promotion, assignez pour contrefaçon. Au vu de la jurisprudence signalée ci-dessus, il me semble que vous avez de très réelles chances d’obtenir gain de cause, le Règlement de ce concours étant à mon humble avis totalement illégal.

Je sais que certains photographes se sont déjà manifestés pour faire part de leur indignation, mais à ma connaissance, sans grand succès pour l’instant…   peut-être les organisateurs feraient-ils pourtant bien d’être aussi attentifs que leurs homonymes réunionnais du concours suivant.

Le second concours que j’examine aujourd’hui est en effet proposé par le site de l’île de la Réunion (http://www.reunion.fr ) sous le titre “La Réunion nous étonne”.

Au cœur du règlement de ce concours figurait au départ une clause comparable, permettant à l’organisateur de se servir des photographies sans limitation pour la promotion du tourisme sur l’île.

La clause était rédigée comme suit :

“Le participant autorise l’acceptation de l’utilisation et de la diffusion de ses photos par l’Ile de La Réunion Tourisme sur tous les supports de l’association (brochures, affiches, newsletters, manuel des ventes, sites Internet, réseaux sociaux…).”

Sur protestations de différents photographes locaux, les organisateurs ont fini par plier et par modifier la clause, désormais un peu édulcorée :

“Chaque gagnant, dans le cadre de la promotion du jeu, autorise l’utilisation et la diffusion de ses photos par l’Ile de La Réunion Tourisme sur les supports de l’association (newsletters, sites Internet, réseaux sociaux), hors campagne publicitaire.”

Si la clause est encore loin d’être parfaite, le nombre d’utilisations est au moins limité, on exclut les utilisations à des fins publicitaires (et dès lors commerciales). Par contre il manque une limitation dans la durée.

Et ce qui est à souligner, c’est que le photographe qui m’a fait part de cette difficulté et du résultat obtenu  a un statut professionnel et qu’en protestant, avec d’autres confrères, pour faire rectifier les dispositions de ce règlement pourtant ouvert aux seuls amateurs, il contribue ainsi non seulement à faire respecter les droits d’auteur en général, mais à protéger les photographes amateurs. Qui a dit qu’une concurrence sans merci opposait les uns et les autres et qu’aucune cohabitation n’était possible ???

Merci  à lui pour son “fair play”, à la hauteur de la qualité de ses photos (il se reconnaîtra), et bravo à tous ceux qui, là-bas, ont su faire plier l’organisateur. Bravo aussi à l’organisateur qui a su reconnaître son erreur à cet égard. C’est suffisamment rare pour être souligné.

Allez.. tout espoir n’est pas perdu pour la propriété intellectuelle, et je constate qu’à la Réunion on semble bien plus attentif aux légitimes protestations des auteurs qu’on ne l’est en Métropole…  ils n’auront bientôt plus besoin de moi là-bas.. dommage, je serais bien passée leur faire un petit coucou, l’endroit est plutôt attirant.
Joëlle Verbrugge

15 commentaires sur cet article

  1. Commentaire publié par Pierre-Olivier Mazoyer le 30/6/2011
    heureux que vous publiez un billet sur ce sujet récurrent… un lien que je me permettrai de coller en commentaire sur les sites de concours de ce genre que je croise…
    Par extension, en lisant cela, je serais tenté de penser, comme je l’ai entendu, que les creative commons ne sont pas tout simplement applicable en droit francais!?
    Et que les conditions des microstockphoto (fotolia, istockphoto…) s’ils ont leurs opérations en france (?, ce qui n’est pas le cas de fotolia) sont aussi contentables puisque la cession est illimitée dans le temps…

    correct?

    Merci,

    Pierre-Olivier

    1. Bonjour. Pour les Creative Commons il faudrait que je fasse un article plus complet, mais c’est l’une des raisons pour lesquelles en effet le système est à mon sens critiquable.

      Pour les Microstocks, même réponse.. mais là vous pouvez déjà regarder la conférence vers laquelle je renvoyais ici, et qui a été proposée par l’UPP lors de son dernier congrès, avec une explication très complète et très claire des éléments juridiquement attaquables.

  2. Commentaire laissé par Jean-Marc le 30/6/2011

    Bonjour Joëlle,

    En ce qui concerne le concours “Réunion”, c’est exactement pour cela que je ne l’ai pas fait moi-même. En lisant les conditions, j’ai tout de suite vu le piège et donc, j’ai laissé tomber.

    Sinon, vous pouvez venir ici, même si ce n’est pas pour plaider! Vous seriez la bienvenue, sans problème… 🙂

    1. Bonjour

      Ah merci pour l’invitation 😉 et si je viens ce sera plutôt avec palmes, stab et détendeur (et appareil photo bien sûr) plutôt qu’avec ma robe noire, là c’est probable 😉

      Pour le concours le “piège” est à présent supprimé grâce à l’intervention d’une série de photographes…

    2. Quand vous voulez pour venir, donc, et en effet, la plongée est (un des) trucs à faire ici, clairement. Si vous avez besoin d’infos pour hotels, périodes les plus intéressantes pour visite, ou autres, n’hésitez pas.

    3. C’est gentil.. vu le nombre de photographes que je commence à conaître sur place, qui sait.. ça finira peut-être par arriver.. 😉

      Ou alors j’organise une formation sur place, ce peut être une autre solution 😉 C’est ma famille qui va soudain se réjouir que j’ai eu l’idée de combiner droit & photo 😉
      Joëlle

  3. Commentaire laissé par Bertrand le 5/7/2011

    Bonjour,

    Merci beaucoup pour votre billet sur cette plaie des concours photos qui ne cherchent qu’à obtenir un stock de photo à vil prix.

    Quid des concours internes à l’entreprise ?

    La mienne (multinationale italienne) fait un concours annuel au sein du groupe et les clauses sont de mémoire à peu près les mêmes que celles que vous citez dans votre billet. Ce qui fait que je n’ai jamais participé au concours.

    Je me demande quelle action on peut faire dans ce cas. Assigner sa propre entreprise pour contrefaçon ???

    Cordialement,

    Bertrand

  4. Commentaire laissé par François le 24/7/2011

    Bonjour Joëlle,

    je suis photographe réunionnais, j’ai lu votre article. J’ai personnellement pris part aux débats directement sur la page Facebook de l’IRT. A la lecture de cette page (la vôtre), je viens d’ailleurs d’en rajouter une couche, juste histoire d’être vraiment juste. Merci pour tout vos conseils si précis. Et n’allez pas croire que les photographes réunionnais n’auront plus besoin de vous ! Parce qu’on est loin de la métropole, certains se croient à l’abri et n’hésitent pas à abuser.

    Merci encore, et à bientôt si vous passez par chez nous.

    François

  5. Commentaire laissé par Nabil Stendardo le 10/9/2011

    Dans votre article, vous écrivez:

    ————————-

    Cependant, dans la “licence” visée par le Règlement, il n’est bien sûr pas question de limitation dans la durée ou l’étendue géographique.

    ———————–

    Ce genre de phrases montre un préjugé (et une présomption d’invalidité) de toutes les licenses publiques (Dont Creative Commons, mais aussi GNU GPL, les licenses MIT et BSD, etc.).

    Pour parler plus précisément de la License Creative Commons en question, je lis (sur http://fr.creativecommons.org/menu3/main_faqjur.htm):

    “La durée (toute la durée légale de protection de l’Œuvre, telle qu’elle est définie aux articles L. 123, L. 132-19, L. 211-4…) et l’étendue (le monde entier) sont également identifiées.”

    Je lis aussi, sur la même page:

    “La cession des droits de reproduction et de représentation à titre gratuit est permise à l’article L. 122-7 du CPI.”

    Il y a aussi une jurisprudence sur cette même page concernant les adaptations audiovisuelles.

    Donc votre raisonnement ne tient pas la route. Selon tout ce que je peux voir, les Creative Commons sont des contrats parfaitement valables en France (et dans beaucoup d’autres pays). Si vous ne voulez pas les utiliser, c’est votre choix. Mais n’insinuez pas qu’elles sont invalides sans jurisprudence specifique.

    1. Bonjour

      Rassurez-vous, aucun “préjugé”.. je me contente de rappeler ce que prévoit la loi.. qu’on le veuille ou non, le Code de la Propriété Intellectuelle prévoit qu’une cession de droits patrimoniaux doit être limitée dans le temps et dans l’espace…

      La question des Creative Commons est assez vaste, mais n’oubliez pas qu’il s’agit d’une création de droit anglo-saxon. Le blog ne vise que la loi française.

      Que les contrats Creative Commons prennent de l’ampleur je ne le nie pas, et je n’ai d’ailleurs strictement rien à objecter… mais comment souhaitez-vous que je rédige un article sur la validité d’une cession de droits dans le contexte visé par l’article sans rappeler le contenu du CPI…

      Cordialement

      Joëlle Verbrugge

    2. Réponse de Nabil Stendardo Désolé d’encore objecter, mais cette license (la même version que dans l’article, ç-à-d celle écrite pour le droit FRANÇAIS, et non pas celle écrite pour le droit international) EST définie en terme de temps et d’espace. Elle dit:

      “3. Autorisation. Soumis aux termes et conditions définis dans cette autorisation, et ceci pendant toute la durée de protection de l’Oeuvre par le droit de la propriété littéraire et artistique ou le droit applicable, l’Offrant accorde à l’Acceptant l’autorisation mondiale d’exercer à titre gratuit et non exclusif les droits suivants :”

      Donc cette autorisation est délimité à l’ensemble de la planète. Je suis sûr que cette délimitation est permissible selon le droit français (dans le cas contraire, cherchez-moi une jurisprudence).

      “7. Résiliation

      Tout manquement aux termes du contrat par l’Acceptant entraîne la résiliation automatique du Contrat et la fin des droits qui en découlent. Cependant, le contrat conserve ses effets envers les personnes physiques ou morales qui ont reçu de la part de l’Acceptant, en exécution du présent contrat, la mise à disposition d’Oeuvres dites Dérivées, ou d’Oeuvres dites Collectives, ceci tant qu’elles respectent pleinement leurs obligations. Les sections 1, 2, 5, 6 et 7 du contrat continuent à s’appliquer après la résiliation de celui-ci.
      Dans les limites indiquées ci-dessus, le présent Contrat s’applique pendant toute la durée de protection de l’Oeuvre selon le droit applicable. Néanmoins, l’Offrant se réserve à tout moment le droit d’exploiter l’Oeuvre sous des conditions contractuelles différentes, ou d’en cesser la diffusion; cependant, le recours à cette option ne doit pas conduire à retirer les effets du présent Contrat (ou de tout contrat qui a été ou doit être accordé selon les termes de ce Contrat), et ce Contrat continuera à s’appliquer dans tous ses effets jusqu’à ce que sa résiliation intervienne dans les conditions décrites ci-dessus.”

      Donc elle est limitée dans le temps également, c’est-à-dire jusqu’à la fin de la période de protection de l’Oeuvre par le droit d’auteur.

    3. Vous semblez considérer comme une certitude que je suis contre les Créative Commons… objectez tant que vous voulez, je n’ai jamais dit cela..
      J’ai juste dit que CE règlement précis n’était pas conforme au droit français….
      Ne me faîtes pas de procès d’intention et la discussion sera d’autant plus constructive.

      Joëlle Verbrugge

    4. Je vous ai donné des arguments dans mon précédent commentaire de POURQUOI les CC (en tout cas ceux localisés pour le droit français) sont (à mon avis) conformes au droit français (en particulier que le problème de ne pas être délimité en espace et en temps n’a pas lieu d’être).

      Nabil Stendardo

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