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Droit à l’image et autorisation tacite – Les limites

Bonjour

L’article d’aujourd’hui sera consacré à la notion d’autorisation tacite en matière de droit à l’image, et aux limites de cette autorisation.

En effet, comme je l’ai déjà évoqué à différentes reprises, certaines circonstances peuvent amener un magistrat, en cas de litige relatif au droit à l’image, à considérer que le sujet avait donné une autorisation tacite l’empêchant de venir ensuite se plaindre de la diffusion de la photo sur laquelle il apparaît.

Fort bien..  mais comment appréhender les limites d’une telle autorisation ? Le sujet peut-il ensuite la rétracter ??

J’ai trouvé deux décisions en la matière, et me propose de vous les commenter, la première aujourd’hui, la seconde dans le prochain article, afin de préciser quelque peu cette notion, par nature floue et incertaine (eh oui, encore une !!).

. Les faits

Un célèbre photographe accoutumé à parcourir le Maroc en tous sens avait pris il y a de nombreuses années (plus de 20ans au moment où le jugement a été rendu) une série de photos représentant un ressortissant marocain et avait accompagné ces photos de la légende “Vendeur de babouches”. Le sujet de la photo exerçait pour sa part le métier de guide professionnel.

Les photographies étaient présentes sur le site de l’agence prestigieuse dont fait partie le photographe, ainsi que dans un ouvrage toujours vendu en ligne dans de grandes enseignes, et avaient été publiées dans différents magazines dont le National Geographic, des guides de voyage etc…

En 2007, croisant à nouveau le photographe au Maroc, le sujet de la photo lui avait fait part de son mécontentement, et divers échanges de mails s’en étaient suivis.

Mais l’affaire n’en n’était pas restée là, puisqu’il avait assigné en2009 tant le photographe lui-même que son agence, et sollicitait qu’au titre du droit à l’image, et du fait qu’il avait dû subir, lui-même et sa famille, d’être brocardé par tous les commerçants de la ville, la condamnation suivante :

. 12.000 € au titre de dommages et intérêts pour l’atteinte portée à son droit à l’image
. 10.000 € pour le préjudice subi de se voir qualifier pendant 20 ans de “vendeur de        babouches”
. une interdiction d’exploitation des photographies en question
. une publication judiciaire
. et une somme de 8.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile

. Le jugement

Par un jugement du 25 octobre 2010, le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI Paris, 25/10/2010, RG 09/05496)  a fait droit en partie aux demandes du plaignant.

La question de la tardiveté de la procédure, soulevée par les défendeurs, a été écartée le Tribunal relevant qu’au jour où il avait adressé sa mise en demeure au photographe, l’image était toujours exploitée sur le site de l’agence de ce dernier, et que l’ouvrage dans lequel figurait la (ou les) photo(s) était toujours en vente, notamment sur Amazon.fr

La question de la compétence du Tribunal français s’était également posée, mais le TGI s’était déclaré valablement saisi, en relevant que le plaignant n’avait pas choisi d’assigner les différents éditeurs ayant fait usage de ce cliché par le monde, mais bien le photographe, personne physique, et son agence, personne morale, tous deux domiciliés en France, et auxquels il reprochait d’avoir exploité son image. Il convenait donc d’assigner au domicile du défendeur, ce qui avait été valablement fait.

Venons-en à présent au nœud du litige : le droit à l’image.

Après avoir rappelé les principes en opposition (droit à l’image d’un côté, et liberté d’expression de l’autre), et le fait que le premier ne peut l’emporter  sur le second que si la dignité de la personne est mise en jeu, ou si la publication entraine pour elle des conséquences d’une particulière gravité, le jugement rappelle que “c’est au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.”

Comment, en l’espèce, le Tribunal a-t-il fait la part des choses entres les prétentions de chacune des parties

. Il a d’abord rappelé que le plaignant avait accepté de poser avec une pile de babouches dans les bras devant un photographe qui l’avait informé de sa qualité (les éléments du litige démontraient que le photographe avait en effet laissé ses coordonnées et décliné son identité et son activité). Le TGI en déduit que cela “ne saurait certes valoir autorisation de publication sans restriction” mais que “ces circonstances montrent qu’il avait tacitement consenti à un sage au moins partiel de son image, ce qui est corroboré au cas présent par le fait qu’il n’a pas cherché à poursuivre les premières publications dont il a été informé et surtout par le fait qu’il a mentionné sur sa carte de visite de guide officiel que son image avait été publiée dans National Geographic et d’autres magazines. Il en résulte qu’il avait ainsi consenti au moins implicitement à de telles diffusion”.

. En revanche, et dès lors qu’il avait demandé expressément depuis 2007 d’arrêter l’exploitation de l’image, le TGI considère “qu’il convient de considérer que le demandeur a révoqué (cette autorisation) lorsqu’il a fait part de son mécontentement au photographe en 2007 et de retenir une atteinte au droit à l’image à partir de cette date“.

Sur le premier poste de dommages et intérêts, ce sont au final 1.500 € qui sont alloués au plaignant.

Il est par contre débouté du second chef de demande, le TGI considérant que celui-ci relevait plus du droit de la presse et de la loi de 1881 que de l’article 9 (droit à l’image). En outre, le Tribunal relève que ce préjudice reste très incertain, sachant que le plaignant a fait mention de cette publication sur sa carte de visite…

Interdiction est par contre faite au photographe et à son agence de diffuser les photographies concernées, mais sans qu’une astreinte ne soit prononcée pour assortir cette condamnation.  La mesure de publication judiciaire qui était sollicitée est également refusée

. Qu’en retenir  ?

Tout d’abord, que ce n’est pas parce qu’on prend une photo à l’étranger qu’on peut la publier et l’utiliser sans limite…

Ensuite, qu’une importance particulière doit être apportée au commentaire ou au titre qui accompagnera la photographie. La aussi, il y a fort à parier que si le photographe avait accompagné sa photo d’un autre titre, le sujet n’aurait jamais subi (et dès lors pu démontrer) le moindre préjudice.

Certes  le photographe concerné est suffisamment célèbre pour que ses photos circulent et cela augmente les chances que les sujets représentés s’y reconnaissent..  mais l’éventuel anonymat d’un photographe ne doit pas l’amener à diffuser n’importe quoi…  et rien ne dit, par ailleurs, qui ne sera pas célèbre à son tour un jour au l’autre.   Et la question évoquée de la prescription du droit du plaignant, mais écartée par le Tribunal puisque l’image était toujours exploitée au moment de l’introduction de l’action, suffit à démontrer que ce n’est pas l’écoulement du temps qui vous mettra à l’abri.

Et au final, ce qu’il faut essentiellement retenir, c’est qu’une autorisation tacite se révoque très facilement… et qu’il convient d’être particulièrement respectueux du souhait du sujet représenté de ne plus se voir associé à cette image. Certes il faudra encore qu’il démontre un préjudice, mais sa tâche sera semble-t-il facilitée du fait de la révocation de l’autorisation, si celle-ci intervient de façon claire.

Ce jugement est-il compatible avec ce que nous avions dit précédemment ? Rappelez-vous : le critère était celui de l’existence (ou non) d’un “préjudice d’une exceptionnelle gravité”, permettant donc au sujet photographié de s’opposer à la diffusion de son image, et dès lors de faire obstacle à la liberté d’expression artistique de l’auteur de la photo.

Il me semble que oui : ici, le Tribunal a en effet retenu le préjudice invoqué par le plaignant, mais en partie uniquement, de telle sorte qu’il a également considérablement réduit les prétentions financières de celui-ci.

Je n’ai pas connaissance qu’un appel ait été interjeté contre ce jugement, mais je vérifie, et viendrai rectifier si besoin.

A bientôt

 

Joëlle Verbrugge

 

12 commentaires sur cet article

  1. La leçon à tirer : faire attention aux légendes des photos (même un raté sur un corps de métier peux justifier des poursuites) et écouter quand quelqu’un viens vous dire que la photo (ou sa légende) lui porte préjudice…

    Du quoi ma question (parce que j’en ai presque toujours une) : jusqu’à quel point peut-on engager la responsabilité d’un photographe quand à la légende des photos et les contenus associés à la publication d’une photo ?

  2. Article très intéressant qui soulève des zones d’ombre, merci Joëlle !
    Mais qu’en est-il des personnes âgées, des personnes illettrées, ou des personnes atteintes d’un handicap mental qui ne seraient toutefois pas sous tutelle? Quelle valeur aurait un contrat d’autorisation d’utilisation des photos dans un cas pareil ? Jusqu’à quel point ne peut-on pas être accusé d’abus de faiblesse ?
    Peut-être ne suis-je pas dans le bon article pour poser cette question …
    Dans l’attente de vous lire, je vous souhaite une bonne soirée.

    1. Bonjour
      Bonne question.. le litige se réglerait alors je crois au vu des principes généraux du droit des contrats. Si le juge estime que le comportement de l’intéressé ne peut pas, dans les faits, inclure un consentement tacite pour la diffusion de la photo, il sanctionnera sans doute.
      Mais tout cela reste très subjectif, j’en conviens…

  3. Bon, mon commentaire n’a pas du passer.

    Ma question était donc, pour rejoindre un peu celle de Clovis mais pas tout ça fait. Vu que le préjudice est du non pas à la photo en elle-même, mais bien à l’association du titre avec celle-ci, pourquoi ce n’est pas l’association photo-titre qui est visée plutôt que la photo elle-même ?

  4. Je vois que mon commentaire d’hier n’est pas passé non plus. Je disais donc : le “vendeur” de babouche était au courant du statut du photographe, puisque ce dernier l’a décliné, mais le photographe était-il au courant que le “vendeur” de babouches était un faux ?

  5. Bonjour,

    Juste une question, pourriez-vous me dire si des photos privées mise sur Facebook peuvent être publiées dans la presse sans aucune autorisation ?
    Je vous remercie. Bien à vous.

    Chantal

    1. Bonjour
      Non bien sûr.. “privées” ou “non-privées” ne change d’ailleurs rien.
      La presse, qui est un professionnel par définition, ne peut utiliser une photo sans vérifier qu’elle dispose des droits de la reproduire..

      Joëlle Verbrugge

    2. @Chantal, es-tu certaine que c’est “sans aucune autorisation” que ces photos se sont retrouvées publiées dans la presse ?

      Cela peut être autorisé, sinon vendu, par FB. Pour le comprendre, il faut peut-être (re)lire avec attention les “Conditions d’utilisation”, et notamment la “Déclaration des droits et responsabilités” (http://fr-fr.facebook.com/legal/terms
      ) qui stipule en “2. Partage de votre contenu et de vos informations” :
      “Pour le contenu protégé par les droits de propriété intellectuelle, comme les photos ou vidéos (propriété intellectuelle), vous nous donnez spécifiquement la permission suivante, conformément à vos paramètres de confidentialité et des applications : vous nous accordez une licence non-exclusive, transférable, sous-licenciable, sans redevance et mondiale pour l’utilisation des contenus de propriété intellectuelle que vous publiez sur Facebook ou en relation avec Facebook (licence de propriété intellectuelle). Cette licence de propriété intellectuelle se termine lorsque vous supprimez vos contenus de propriété intellectuelle ou votre compte, sauf si votre compte est partagé avec d’autres personnes qui ne l’ont pas supprimé.”

      Privé, pour FB, n’a pas exactement le sens “commun” qu’on donne à ce terme. Rien n’est réellement privé sur FB, voire sur tout site quel qu’il soit, je le crains.

  6. Le post n’est probablement plus suivit. Mais j’aimerai quand même poser une question du point de vue d’un reportage photo en ce qui concerne les droit tacite

    Dans mon temps libre je suis photographe freelance sur certain festival a thèmes.

    Il y a quelque mois j’ai vu qu’une de mes photos avait été reprise par une personne pour une sorte de concours de selfie a thèmes avec rémuneration a la clé. Étant propriétaire des droit patrimoniaux je me suis interposé. Le débat étant toujours en cours d’une certaine manière je ne pas m’attarder la dessus.

    Ma question est :

    Si dans le cadre d’une série de photo sur un reportage, une personne a parfaitement conscience d’être photographié et n’émet pas le moindre désaccord concernant son droit a l’image sur le coup ni même lors de la publication sur internet, au contraire reprend même notre travail sur son compte facebook par exemple

    L’on considère bien alors que cet personne en ayant jamais émit son opposition a donné tacitement son droit a l’image pour cette utilisation en question? Droit toute fois volatile cette personne a bien sur le droit de suspendre son droit a l’image a tout moment

    j’aimerai avoir votr réponse concernant ce cas bien précis

    1. Bonjour
      Difficile de donner une réponse en quelques lignes
      tout va dépendre de l’utilisation de la photo (liberté d’expression artistique, droit à l’information ou utilisation commerciale).
      La question d’autorisation tacite amène aussi de longs développements
      PUis-je vous inviter à regarder la table des matières de mon ouvrage ? Ce sommaire est téléchargeable ici :

      http://www.competencephoto.com/Droit-a-l-image-et-droit-de-faire-des-images-1ere-edition-le-livre-de-Joelle-Verbrugge_a2481.html

      Ceci devrait je crois répondre à pas mal de vos questions.

      Cordialement

      Joëlle Verbrugge

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