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Du linge basque sous les flashs…

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Bonjour

L’article d’aujourd’hui est consacré à un arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau le 5 avril 2011, et qui a le mérite de rappeler certains principes à première vue évidents, mais qui ne semblent pas l’être pour tous…

A. Les faits

Un producteur de linge basque avait conclu un contrat avec une photographe pour la réalisation de photographies de ses produits.  De 2004 à 2007, les photos avaient été utilisées dans le catalogue du fabricant, avant que ce dernier, en mars 2007,  n’informe la photographe de son intention de mettre fin à la mission confiée.

Le producteur reprochait à la photographe un manque de qualité sur les photographies, cette dernière, de son côté, reprochait une violation de ses droits d’auteur, notamment du fait d’une publication des photographies sans mention de sa qualité d’auteur, mais également, semble-t-il, une violation de ses droits patrimoniaux.

La photographe assigna alors le producteur de linge devant le Tribunal de Grande instance de Dax qui, par un jugement du 22 juillet 2009 la débouta de l’ensemble de ses demandes, de même d’ailleurs qu’il débouta le producteur de linge de ses demandes reconventionnelles.

Si je n’ai pas eu accès à ce jugement de première instance, il semble que ce débouté ait notamment été motivé par le fait que la photographe n’avait pas un statut professionnel, et que les photographies auraient été prises sous les directives du Producteur lui-même, ce qui faisait de la photographe une simple “technicienne”, au surplus équipée d’un appareil appartenant à autrui.

La photographe interjeta appel de cette décision, ce qui nous vaut l’arrêt de la Cour dont il est question aujourd’hui.

B. L’arrêt du 5/4/2011 (CA Pau, 5/4/2011, RG 09/03298)

1) Les demandes de la photographe

La photographe sollicitait  la réformation du jugement rendu, et la condamnation du producteur de linge basque :
. au paiement de 84.836€ au titre de la réparation de l’atteinte à ses droits patrimoniaux
. au paiement de 169.672 € au titre de la réparation des atteintes à ses droits moraux
. à cesser toute utilisation des photographies litigieuses, sous peine d’astreinte de 500 € par infraction constatée
. à détruire tout document ou support reproduisant les photographies, sous astreinte également

Elle rappelait bien sûr les dispositions du Code de la Propriété intellectuelle, et notamment la seule et unique condition qui conférait à une œuvre une protection efficace : celle de l’originalité, sans qu’il doive être fait de distinction selon le statut de leur auteur (professionnel ou non).

Au titre de l’originalité, justement, la photographe soulignait que son choix des couleurs, des accessoires, des compositions, établissait que les clichés étaient le reflet de sa personnalité et le résultat d’une réelle œuvre de créativité. Enfin, la photographe relevait que les photographies avaient du paraître d’une qualité satisfaisante au producteur, puisqu’il s’en était servi pendant 33 mois, pendant lesquels sont chiffre d’affaire avait augmenté. Dès lors, à défaut d’un acte de cession des droits patrimoniaux, il ne pouvait être question d’une cession générale, la facture établie pour la prestation des prises de vue n’incluant pas cession de droits.

Quant au montant des dommages et intérêts sollicités, la photographe relevait que les photographies avaient été utilisées sur de multiples supports (dépliants, catalogues, site internet,..)

2) Le point de vue du producteur de linge basque, partie intimée

Pour sa défense, le producteur de linge considérait quant à lui :
. que les photos ne présentaient pas le caractère d’originalité indispensable pour se voir conférer la protection réclamée,
. et à titre subsidiaire, que la photographe avait donné une “autorisation tacite” d’exploitation de ses droits patrimoniaux, et qu’au surplus aucune atteinte n’était démontrée quant à ses droits moraux.

Concernant le manque d’originalité invoqué, il soulignait que la photographe n’avait fait aucun choix artistique, l’ensemble de la communication étant dictée par la responsable de la société. Elle soulignait en outre que “les clichés /../ sont éminemment substituables et que (la photographe) n’était pas un photographe professionnel, et n’a exécuté qu’un travail de technicien avec le matériel de l’entreprise, et non de créateur en ce qu’elle n’avait le choix ni du lieu, ni du moment de la prise de vue, ni de l’élaboration du cadre ou de la composition, ni de la position des personnages, ni des éclairages, l’ensemble des instructions esthétiques étant imposé par Mme L.” (employée du producteur).”

Selon elle, en outre, l’autorisation d’exploitation des droits patrimoniaux était tacite, les factures ne comportant aucune mention à ce sujet

3) L’arrêt de la Cour d’appel de Pau

Dans un arrêt fort long et fort bien motivé, la Cour d’Appel a finalement donné raison à la photographe, au terme de la motivation suivante :

 a) Sur l’originalité des photos

La Cour, après avoir relevé le fondement légal de la protection conférée aux photographies pour autant qu’elles aient un caractère d’originalité, rappelle que “l’originalité ainsi visée est indépendante de la qualité de professionnel du photographe, ou du fait que l’appareil utilisé appartiendrait à un tiers”.

La Cour rappelle ensuite successivement les principes en la matière :
. il n’est pas contesté que la photographe était techniquement derrière l’appareil;
. à ce titre elle bénéficie d’une présomption selon laquelle elle est “l’auteur intellectuel” des prises de vue, “d’autant plus qu’il n’est pas contesté que nombre de clichés ont été réalisés dans sa maison et mettent en scène ses proches”
.le producteur, qui soutient avoir donné les directives techniques, doit en rapporter lui-même la preuve, en démontrant également que ces directives “couvraient tout le champ d’expression de la personnalité du photographe”

Les parties avaient déposé à cet égard  de multiples attestations et pièces, sur base desquelles la Cour a considéré que sur le plan purement technique, la responsable de la société productrice n’avait donné aucune directive quant à l’angle de vue l’éclairage, le cadrage, les contrastes de couleur et reliefs, la composition et la mise en scène, le jeu des lumières, le choix des objectifs, qui relevaient de la seule initiative de la photographe. Cette photographe disposait donc, selon la Cour, de la liberté d’action “lui permettant, par l’expression d’une véritable créativité, de manifester sa personnalité, de sorte que les photographies figurant sur les catalogues et prospectus /…/ présentent une originalit qui permet leur protection au titre du droit d’auteur.”

b) Sur la cession de droits prétendument “tacite”

La Cour, rappelant le prescrit de l’article L 131-3 du CPI (mention distincte dans l’acte de cession pour toute autorisation cédée), en déduit fort logiquement que le principe est que le contrat de commande unissant le photographe et la société utilisatrice de ses clichés n’entraine en lui-même aucune cession des droits d’exploitation. Le louage d’ouvrage n’emportant aux termes de l’article L111-1 du CPI aucune dérogation à la jouissance du droit de propriété intellectuelle de l’auteur, la preuve d’une cession de ses droits d’exploitation doit être établie par convention expresse et conclue dans les conditions de l’article L131-3 du CPI.”

Or, les documents comptables établis par la photographe détaillaient les prestations (prise de vue,post-traitement, etc..) mais sans aucune mention de cession de droits. La Cour considère donc que, le producteur n’ayant jamais contesté ces factures, “les règlements versés correspondent aux prestations fournies au titre dudit accord et ne vont pas à la constitution d’une photothèque comportant une cession de droits d’auteur.”

/…/ “La détention d’un CD Rom, reproduction exacte de documents numériques, ne permet pas à la SARL de prétendre détenir un original”

La Cour reproche en outre au producteur d’avoir transmis ces mêmes photographies à une agence de presse en indiquant qu’elles étaient “libres de droit”.

Enfin, la rémunération d’un auteur à qui est commandée une création se compose d’une part d’honoraires de réalisation, et d’autre part, de droits d’auteur destinés à rémunérer l’exploitation de l’œuvre. En l’absence de mention de cession des droits d’auteur sur les facteurs, la rémunération portée par les factures doit être considérée comme constituant lesdits honoraires et non la cession des droits d’auteur.

Ceci peut d’ailleurs être rapproché de l’enseignement d’un arrêt rendu par la Cour de Cassation le 3 avril 2007 (Cass.civ. 1ère ch, 3/4/2007, n°04-18.396, Bull. civ. 2007, I, n° 153) selon lequel “le photographe n’est PAS tenu d’une obligation d’information et de conseil à l’égard du client qui se borne à lui passer commande de la réalisation d’un cliché, quant à la nécessité de conclure un contrat de cession de droits d’auteur en cas d’exploitation”;

 c) Sur l’indemnisation

Au titre de l’indemnisation du préjudice, la Cour se réfère à l’article L132-31 (qui rappelle lui-aussi, d’ailleurs, qu’il faut une mention explicite de l’étendue géographique, de la durée et des modes d’exploitation) en matière d’œuvres de commande pour la publicité.

Le catalogue contenait 347 photographies, et le dépliant en contenait 15.
Sur une diffusion non contestée par 5.000 catalogues, 23.000 dépliants, et un site internet affichant environ 150 visites / jour.
Sur une base de 1 € le point, l’application du barème des œuvres de commande amène à une indemnisation au titre des droits patrimoniaux à hauteur de 28.280 €.

Pour ce qui est du droit moral, la Cour constatant que l’atteinte est constituée par “le refus constant de la société X.  de reconnaître sa qualité d’auteur des photographies litigieuses. Il est caractérisé par l’absence de mention du crédit photo sur les catalogues et dépliants, alors que la mention aumoins une fois du nom de l’auteur des photographies est obligatoire /…/ et par l’attribution dudit crédit à la (société X) en toute connaissance de cause de l’absence de cession des droits.”

L’indemnisation est fixée à 15.000 € à cet égard.

Au vu du retrait volontaire de certains visuels pendant la durée de la procédure, la Cour ne fait pas droit à la demande de condamnation sous astreinte de retirer l’ensemble des photographies, estimant sans doute que ce retrait se fera spontanément après l’arrêt.

Le producteur fut en outre, bien sûr condamné aux dépens, incluant les frais des constats d’huissier.

C. Conclusion

Au final donc, et au terme d’une motivation détaillée comme on aimerait en voir plus fréquemment, un excellent rappel des règles à ne pas perdre de vue :

. la protection au titre du droit d’auteur est identique, bien sûr, quel que soit le statut du photographe (pro ou amateur), ni bien sûr selon qu’il soit ou non propriétaire du matériel    utilisé
. il appartient à celui qui affirme avoir donné des consignes et directives techniques pour la réalisation des prises de vue, excluant toute marge de manœuvre du photographe,         d’apporter lui-même les preuves de ses affirmations. Et ces preuves, au vu de l’arrêt          examiné, doivent être précises, et concerner les aspectes TECHNIQUES de la photographies, et pas uniquement la scénographie générale
. rien n’oblige le photographe à qui l’on commande la réalisation de photographie d’informer de l’obligation de conclure au surplus une cession de droits en vue de la diffusion
. la cession de droits ne se présume pas, et ne peut pas être tacite

Certes une indemnisation diminuée par rapport aux demandes originales, mais, pour une fois également, une estimation expliquée, fondée sur un texte légal, et un calcul précis.

C’est le genre d’arrêt qu’on aimerait lire plus souvent.

A bientôt

Joëlle Verbrugge

 

 

6 commentaires sur cet article

  1. Commentaire laissé par ElGecko le 9/8/2011

    Tiens tiens… Ceci me rappelle, directement, cette fameuse affaire du “singe photographe” dont le monde (photo) parle depuis quelques semaines (et dont ce blog a parlé récemment aussi).

    En effet, il me paraît tout à fait possible d’adapter le rendu du jugement présent au cas du singe (représenté ici par la photographe… à qui je demande évidemment de bien vouloir m’excuser cette cavalière comparaison! :))

    Il en découle, pour moi en tous cas (mais ma conviction était faite depuis le début) que le singe est bien l’auteur —donc— de ses photos. Le photographe n’était, en fait, que le commanditaire, et en outre, il n’avait pas de contrat de cession des droits signé par le singe.

    Le singe a géré lui-même les détails techniques de ses prises de vues, même si le matériel appartenait au photographe et même si le photographe était le donneur d’ordres.

    Non? 🙂

    Merci encore Joëlle pour ces toujours aussi intéressantes infos, très bien vulgarisées pour les non pros du judiciaire!

    1. Réponse laissée par Raphaël – Hellbor – Zerr

      0_0 !! Comparer ça à l’affaire du singe, quelle idée !!? Le singe n’a pu faire aucun “choix” technique ni gérer quoi que ce soit ! L’affaire présentée ici est tout autre, l’originalité est définie, entre autre, par le critère de choix personnels quant à la réalisation des photographies. Le singe lui n’a fait que manipuler une technologie à son insu.

  2. Commentaire laissé par J-L Klefize le 10/8/2011

    Je crois que la technique est indisociable de l’art.

    Qu’il s’agisse de photo, de peinture, de sculpture, de littérature un artite est un technicien qui a de l’imagination, une façon personnelle de voir et de transcrire les choses… Rambrandt avait un atelier avec de nombreux “commis” qui peignaient ses œuvres sous son contrôle, et il les signait ! Que je sache cela n’a rien enlevé, sur le marché de l’art, de valeur à un Rambrandt ! Ne faudrait-il pas plutôt se poser la question de la reconnaissance à part entière de la photographie comme Métier d’art ?

    (je replonge régulièrement dans votre livre “vendre ses photos” il est plien d’enseignements…)

    Bonne soirée

    Cordialement

  3. Commentaire laissé par Tristan le 11/8/2011

    Encore un cas où le jugement de première instance est à côté de la plaque !

    C’est hallucinant le nombre de cas, rapporté sur cet excellent blog, où le jugement en appel contredit franchement le jugement premier.

    Les juges de première instance seraient plus mauvais que leurs collègues d’appel ? Doit-on évoquer un manque de temps pour étudier correctement le dossier ? C’est inquiétant…

  4. Commentaire laissé par Rio Bravo le 19/8/2011

    Tout est dit et bien dit, comme d’habitude, par Me Verbrugge et Didier Vereeck. Mais je ne suis pas sûr que les contours du débat sur l’originalité soient désormais aussi bien fixés…

    Si on retient comme exclusifs les trois scritères proposés par Didier Vereeck, et chacun étant autosuffisant, il faudra considérer comme originale toute photo de la tour Eiffel, du moment qu’elle aura été prise par n’importe quel photographe, selon des critères techniques qui lui sont propres. Accessoirement, ces critères techniques seront d’autant plus facilement présumés propres à l’auteur que c’est le cas pour toute prise de vue.

    Or la tour Eiffel a été photographiée des milliards de fois, sous tous les angles, par toutes les lumières, avec tous les matériels possibles et toutes les focales, par toutes sortes de photographes, lesquels ont pu opérer toutes les formes de post-traitement possibles… Que peut-on faire d’original, qui n’ait été fait des milliers de fois ? L’exemple est extrême, mais on peut en imaginer bien d’autres.

    Sauf à dévaloriser le concept d’originalité, qui devrait passer avant les données techniques pour tout photographe soucieux de son style, il faudra bien que les juges en fassent une estimation subjective. Donc qu’ils statuent sur la qualité même du sujet, et non seulement sur la manière de l’aborder. Pour reprendre l’exemple de la tour Eiffel, il est probable que le célèbre peintre désinvolte de Marc Riboud serait retenu pour son originalité, mais que tout le reste serait rejeté.

    On serait rassuré de savoir que les juges ont enfin pu fixer des limites objectives à leur appréciation des faits. Mais j’ai peur qu’on en soit encore loin, et la jurisprudence n’en est qu’à ses débuts.

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