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.. et pourtant… !

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Bonjour

Je vous parlais hier de cet arrêt de la Cour d’Appel de Basse-Terre(Guadeloupe) qui déboutait une société commerciale de son action fondée sur la contrefaçon, en relevant que sauf à démontrer qu’une œuvre peut être qualifiée d’œuvre collective (ce qui en l’espèce n’était manifestement pas le cas), une personne morale ne peut jamais être titulaire de droit d’auteur.

Cette règle découlant du Code de la Propriété Intellectuelle et de la jurisprudence constante n’a cependant pas empêché la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence d’accorder une indemnisation à titre provisionnel (appel de procédure de référé) à une société de droit français, dans un litige l’opposant à une société belge.

De quoi s’agit-il ?

Les faits

Une société française avait fourni à une société belge diverses photographies pour la confection de catalogues de vente par correspondance. Elle avait ensuite constaté que ces photos avaient été utilisées “en dépassement des accords convenus entre les parties” (notamment quant à l’étendue géographique de la cession), et avait alors facturé à la société belge une somme de plus de 220.000 € au titre “de la reconduction de ses droits d’auteur“. Nous sommes donc bien sur un litige tenant à la propriété intellectuelle.

Elle avait ensuite assigné la société belge en référé devant le Tribunal de Commerce de Grasse, pour obtenir une condamnation à une somme provisionnelle (avance sur le montant total, au vu de l’infraction flagrante commise par sa cocontractante).

Rappelons que le juge des référés est compétent, de manière générale, pour accorder une provision quand une demande n’est pas “sérieusement contestable”. En l’espèce, la société belge avait reconnu l’utilisation abusive, mais les parties ne s’entendaient pas sur le montant à allouer à ce titre.

Après un renvoi vers le Tribunal de commerce de Cannes, le Président de cette juridiction avait toutefois déclaré la demande irrecevable et avait débouté la société française.

Celle-ci avait alors interjeté appel de l’ordonnance, ce qui amena donc le dossier devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.

L’arrêt de la Cour (CA Aix-en-Provence, 6 octobre 2011, RG 10/15448)

Notons que la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence statuait ici dans une autre formation que celle de l’arrêt que nous avions déjà évoqué. Ce n’était donc pas les mêmes juges, circonstance qui s’explique par le fait qu’il s’agissait ici d’un appel de Tribunal de Commerce et non de Tribunal de Grande Instance. Les difficultés soulevées dans le précédent arrêt sur la reconnaissance de l’originalité par certains magistrats de cette juridiction ne sont donc pas envisagées ici.

La Cour commence par constater que l’utilisation abusive des photos par la société belge n’est pas contestée (du moins pour une partie des photos). Sur base d’éléments de fait, elle ne retient qu’une partie des photographies visées, et n’accorde donc d’indemnisation provisionnelle que sur les photos dont l’usage abusif est en effet reconnu par la société belge (ce qui s’impose à elle, s’agissant d’un appel de référé, qui ne peut statuer qu’au provisoire).

Elle relève que la société française a établi son préjudice “selon les barèmes de l’UPC appliqués par la profession” et sur cette base, elle condamne à titre provisionnel la société belge au paiement d’une somme de 10.000 €, renvoyant en outre les parties à saisir le juge du fond pour le surplus de leur litige.

Qu’en penser ?

– Sur la compétence

Tout d’abord, une question fondamentale me parait devoir être soulevée : nous avons souvent parlé des Décrets de 2009 qui imposent pour TOUTE procédure relative à la propriété intellectuelle, de saisir désormais les seuls Tribunaux de Grande Instance visés par ces Décrets.  Dans le cas d’espèce, si les règles de compétence amenaient à la désignation du Tribunal de Cannes pour les matières “ordinaires”, c’est en principe devant le TGI de Marseille que le litige aurait dû  être porté concernant la propriété intellectuelle.

Le fait qu’il s’agissait de deux sociétés commerciales ne modifie à mon sens pas cette analyse puisque nous avions vu que même des personnes de droit public sont désormais soumises à cette règle de compétence. C’est désormais la matière du litige qui détermine, en vertu de ces Décrets, la compétence du Tribunal quelle que soit la qualité des parties. Je suis donc assez perplexe sur le choix de la juridiction, sauf élément dont je n’aurais pas connaissance dans ce dossier.

Ceci reste donc un mystère à mes yeux, et je serais ravie de savoir si l’une des parties a soulevé cette difficulté, et dans l’affirmative, la motivation qui a permis au Juge de se considérer compétent. Rien n’est en tout cas mentionné dans l’arrêt dont j’ai copie ce qui indique sans doute que la question n’a pas été soulevée.

– Sur la décision rendue

Ensuite, le litige porte bien sur “la reconduction de droits d’auteur“. Il aurait sans doute fallu parler de “reconduction de CESSION de droits”, mais peu importe.

Il semble que la société belge n’ait pas invoqué ces dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle (“CPI”) ni la jurisprudence conférant à une seule personne PHYSIQUE la qualité d’auteur.

Peut-être était-il conclu et plaidé, ou simplement admis, que les photographies étaient une œuvre collective, ceci n’est pas exclu, mais je n’en trouve absolument aucune mention. L’arrêt tel qu’il se présente semble indiquer que la question n’a pas été abordée.

– Un point positif

Un point positif malgré tout dans cette décision : la Cour se réfère en les appliquant semble-t-il sans révision, “aux barèmes de l’UPC appliqués par la profession“.  Au moins ce sur point, l’arrêt pourra nous servir comme étant une acceptation du bien fondé de l’évaluation du préjudice d’un photographe sur base de ces barèmes de l’UPP (l’arrêt est pourtant récent, mais l’ancienne appellation a été reprise).

J’ignore bien sûr si un pourvoi a été introduit contre cet arrêt.

… et après on s’étonne qu’on ait du mal à suivre…

Bonne journée à tous

Joëlle Verbrugge

 

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