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Mélangez-moi tout ça !

Bonjour à tous,

(AVERTISSEMENT – Cet article, publié le 1er avril, est une pure anticipation fiction. Toute ressemblance avec des personnages, circonstances, théories ou dérives existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence… ou pas….). Les commentaires au bas sont.. d’époque.. avant que je ne révèle la supercherie.. Shame on me ! – Afin de permettre, dans quelques années, une comparaison avec l’évolution de la jurisprudence, je laisse toutefois l’article en ligne)

L’article d’aujourd’hui est consacré à l’analyse d’un jugement qui risque de faire (encore!)  grincer des dents la plupart d’entre vous. Étrange mélange de droit d’auteur et de droit à l’image, et, surtout, une application par le magistrat de critères pour le moins inédits….

logo_newVoyons cela de plus près.

Les faits

Une photographe professionnelle avait photographié ses propres enfants lors d’une promenade familiale en forêt et, après travail sur les images, avait mis en ligne quelques unes des photographies. Par la suite, elle avait constaté l’utilisation non autorisée de deux des photos sur le site web et dans les dépliants d’une société commerciale exploitant un centre de vacances axé sur la thérapie d’enfants ayant subi un traumatisme.

Si la photographe n’a pas souhaité que son identité soit dévoilée, j’ai pu visionner les photographies, et constater qu’elles avaient  fait l’objet d’un réel travail créatif (recadrages, passage en n&b pour certaines, modification du ratio des images : formats carrés ou panoramiques, désaturation partielle pour une autre, etc.). Il se dégageait des images qui formaient une série très cohérente, une impression de sérénité et de fusion des jeunes enfants avec la nature laquelle occupait une large place dans les images. Cet élément n’est pas innocent comme nous le verrons.

La photographe se plaignait d’une part au titre de son droit d’auteur sur les images (contrefaçon) et d’autre part , bien entendu, au titre du droit à l’image de ses enfants, dont elle était (avec le père de ceux-ci qui intervenait bien sûr à la procédure) la représentante légale.

Je vous passe les méandres des discussions sur la compétence du Tribunal, au vu des spécificités contenues dans les Décrets de 2009 sur la compétence matérielle en matière de propriété intellectuelle, mélangée ici avec un sujet relatif au droit à l’image. Au bout de quelques détours procéduraux, la photographe parvint à faire admettre que le TGI saisi était compétent pour statuer sur l’ensemble et qu’il ne fallait pas, comme le soutenait l’adversaire, scinder la procédure en deux du fait de cette dichotomie de règles applicables. Le Tribunal releva qu’il était conforme “à une bonne administration de la justice que soit évitée une contradiction entre les décisions, la seule façon d’aboutir à la sécurité juridique étant d’examiner le litige de façon globale”.

Alleluia.. ça partait donc plutôt bien. Mais ensuite, les choses se corsent.

Le jugement

Au terme d’une motivation qui me laisse littéralement sans voix (et ce n’est pas fréquent), le Tribunal va, successivement :

– reconnaitre que les photographies ont fait l’objet d’un apport créatif de la demanderesse “excédant les compétences que les magistrats de ce siège pourraient eux-mêmes mettre en oeuvre dans des conditions identiques. Le Tribunal relève que l’originalité des photos n’est d’ailleurs pas contestée par la société poursuivie qui en reconnaissait la grande qualité esthétique tout en s’excusant d’avoir “omis, du fait d’une urgence lors de la publication des flyers“, de faire mention du nom de l’auteur.

– en déduire, très logiquement, que le Code de la Propriété intellectuelle est applicable;

– mais, dans le même temps, relever que l’activité menée par la société /…./ consiste à offrir aux enfants victimes d’un traumatisme un lieu propice à la reconstruction en présence de leur famille et de spécialistes, médecins, psychologues et éducateurs“. Selon les magistrats, il importait “que la communication autour de l’existence de ce centre soit adaptée aux finalités poursuivies. En l’espèce, la place du lien entre les enfants accueillis et la nature environnante doit être mis en avant, argument incontestable de la réussite des thérapies entreprises”...

– et, en conséquence, au terme d’un raccourci un peu bref qui ne détaille nullement en quoi la présence de la nature et l’utilité incontestable de l’activité justifieraient une utilisation non-autorisée des images, le Tribunal va accueillir sur le principe  les demandes, mais limiter l’indemnisation de la photographe, sur chacune de ses demandes (droit d’auteur d’un côté, droit à l’image de l’autre) à un euro symbolique. Il va jusqu’à préciser “que la circonstance que les photographies n’aient pas été valablement créditées ne modifie en rien le quantum du préjudice de la plaignante“.

Aucun montant ne lui fut en outre octroyé sur base de l’article 700 du Code de procédure, censé compenser (fût-ce partiellement) les coûts engendrés par la procédure dans le chef de la partie qui triomphe.

Comment rester calme ?

Faut-il rappeler que le Code de la Propriété intellectuelle interdit toute utilisation non autorisée d’une oeuvre ?

Après avoir ajouté une condition d’originalité qui continue à ne reposer sur rien, la jurisprudence aurait-elle l’intention d’imposer également qu’il soit démontré que la finalité de l’utilisation abusive n’était pas, elle-même, louable ?  Sur base de quels critères faudrait-il alors apprécier l’utilité de l’activité du contrefacteur ???

On n’est en outre pas passé loin d’une autre énormité, puisque le magistrat, se sentant apparemment pousser des ailes, compare la créativité de la demanderesse avec celle qu’il aurait “lui-même pu mettre en oeuvre dans des conditions identiques avant de déduire (ouf !) qu’en effet l’apport de cette professionnelle méritait qu’on qualifie les photographies d’originales…  C’est cependant la première fois que je lis qu’un tel critère d’appréciation est formulé de façon aussi explicite dans une décision (même si l’on peut sans doute parier qu’il traverse souvent l’esprit de certains magistrats).  Mieux vaut sans doute que je m’abstienne de tout commentaire supplémentaire ….

En matière de droit à l’image, par ailleurs,  dès que l’utilisation de l’image d’une personne sort des limites de la liberté de création artistique ou du droit à l’information pour rentrer dans le champ de la communication commerciale (ce qui est incontestablement le cas ici) la jurisprudence est depuis quelques années unanime pour exiger la preuve de l’accord de la personne concernée. Et ce sans qu’il faille se pencher sur la finalité plus ou moins louable de l’activité vantée. La protection est en principe d’autant plus importante qu’il s’agit d’enfants, pour lesquels les juges sont en général nettement plus sévères….  mais pas toujours, semble-t-il…

Il s’agissait bien ici d’une société COMMERCIALE exploitant une activité certes utile voire indispensable, mais ne justifiant par pour autant l’utilisation d’oeuvres contrefaites dans de telles conditions avec la bénédiction du magistrat.

J’imagine que la plaignante interjettera appel du jugement, et je ne manquerai pas bien sûr de revenir parler de cette affaire, puisqu’elle a promis de me tenir informée de sa décision, et des suites éventuelles de la procédure.

Si, déjà, les tribunaux pouvaient arrêter de me faire modifier mes bouquins au fur et à mesure qu’ils sont publiés, cela constituerait une avancée significative. Pour reprendre une formulation célèbre, “on dépasse les bornes des limites”.

Affaire à suivre donc.

Bonne journée à tous.

Joëlle Verbrugge

 

39 commentaires sur cet article

    1. Et pendant ce temps Julie Gayet touche 15000 € alors q’elle n’apparait même pas sur les photos…Une justice à deux vitesses vous dîtes ? C’est SCANDALEUX !

  1. Je n’en reviens pas, ça me fait bouillir de voir un tel amateurisme dans l’argumentation et la décision finale.
    Faire une erreur est une chose mais là on frôle le défaut d’intégrité

  2. Affligeant.
    Et si la créativité du juge en matière photographique est limitée, sa créativité au niveau des justifications, arguments, … est par contre de très haut vol …

  3. Affolant en effet.
    Je ne comprends même pas qu’on puisse en arriver “raisonnablement” à une telle décision.
    J’espère que la plaignante obtiendra réparation.
    Merci pour vos articles 🙂

  4. Bonjour Joëlle,
    Les suites de la procédure ne sont-elles pas une bonne cure de pêche à la ligne pour les magistrats ?
    🙂

    1. J’y avais pensé mais il y a des fois les jugements sont tellement bizarres qu’on arrive de plus en plus facilement à y croire :S. J’espère que cela restera vraiment un poisson d’avril pour très longtemps ;).

  5. Bonjour,

    Je suis écoeuré !!
    Laissez nous faire des images…et les juges font leur boulot
    juger selon les textes.
    Ils se prennent tous pour des critiques d’art

    Les textes s’appliquent à tous photographes qui fait des images
    peut importe dans quel tiroir on l’a mis !!

    çà aussi çà me révolte….

    On est photographe …..point barre .

    Merci ( çà fait du bien 😉 )

  6. mais alors que faudrait il faire, comment devrait on faire pour qu’un tribunal n’en vienne plus a un jugement pareil.
    comment devrions nous nous y prendre techniquement photographiquement parlant afin qu’il n’y ait aucun doute et que l’auteur d’une photo puisse bien être reconnu dans ses droits avec tout ce qu’il en découle…?

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