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Un immeuble en couverture de magazine

Bonjour

L’article d’aujourd’hui concerne la question de la reproduction de l’image d’un bien faisant lui-même l’objet d’un droit de propriété intellectuelle (ici une façade d’immeuble d’architectes).

L’arrêt qui constitue la base de la jurisprudence actuellement en vigueur en la matière est celui dit de la “Place des Terreaux” (Civ. 1ère, 15 mars 2005) qui clôturait une affaire dans laquelle les architectes ayant participé à la rénovation d’une place de Lyon se plaignaient de la publication sous forme de carte postale d’une photographie de la place dans son ensemble, et sur laquelle figuraient donc leurs créations. C’est ce qui avait amené la Cour de Cassation à confirmer la “théorie de l’accessoire” dont il a souvent été question dans ce blog, en considérant que « telle que figurant dans les vues en cause, l’œuvre litigieuse se fondait dans l’ensemble architectural d’une place dont elle constituait un simple élément, en a exactement déduit que cette présentation de l’œuvre litigieuse était accessoire au sujet traité, résidant dans la représentation de la place de sorte qu’elle ne réalisait pas la communication de cette œuvre au public ».

(pour d’autres affaires sur cette théorie de l’accessoire, le moteur de recherche de ce blog pourra vous être utile)

Dans l’affaire dont il est question aujourd’hui, se mêlait à cela un aspect contractuel.

Les faits

Dans un numéro spécial consacré à l’immobilier dans les Hauts de Seine, le magazine L’Express avait publié en 2008 une couverture représentant un paysage urbain sur lequel figurait un immeuble en construction conçu par un gros cabinet d’architectes.  Cette photographie était reprise à l’intérieur de la publication, ainsi que sur les affiches assurant la promotion de ce numéro spécial.

Le Cabinet d’Architecture, estimant que l’immeuble était le sujet principal de la photographie, avait mis en demeure l’éditeur de lui régler la somme de 40.000 €  sur le fondement des dispositions du Code de la Propriété intellectuelle, la reproduction étant selon lui constitutive de contrefaçon.

Le jugement (TGI Paris, 3ème chambre, 3ème section, 28/5/2010, RG 09/02025)

A défaut de règlement amiable, une assignation fut lancée par le Cabinet d’architecture  sur les mêmes fondements et en vue d’obtenir condamnation aux mêmes montants, ventilés entre :

. violation du droit à la paternité (l’indication du nom du cabinet d’architectes n’ayant pas été faite dans la publication)
. violation du droit à l’intégrité de l’œuvre (l’immeuble avait été photographié avant son achèvement)
. violation du droit de reproduction et de représentation (du fait de la reproduction non autorisée de l’image)

Il était en outre demandé au Tribunal d’ordonner la publication du jugement à intervenir “sous le titre en gras …” dans le magazine en question et sur la page d’accueil du site web de l’éditeur.

L’éditeur, de son côté, invoquait :
. le fait que le contrat conclu entre les architectes et le maître d’œuvre contenait une cession des droits de reproduction, de telle sorte que les demandeurs n’étaient pas recevables dans leur action, ce droit ayant été cédé. Au surplus, ce droit ne pouvait être reconnu qu’à des personnes physiques (les architectes eux-mêmes) et non le Cabinet qui les employait, et qui était demandeur à la procédure
. et sur le fond, il rappelait cette fameuse théorie de l’accessoire en relevant que   lorsque l’œuvre ne constitue qu’un élément de l’environnement dans lequel elle se situe, sa reproduction échappe au grief de la contrefaçon,
. enfin, et à supposer que le Tribunal retienne la reproduction illicite, l’éditeur soutenait que l’originalité de la façade ne justifiait pas une protection au titre du droit de la propriété intellectuelle. Parallèlement, et quant au caractère “inachevé” de l’immeuble, l’éditeur relevait que le Cabinet d’architecture avait prétendu dans l’un de ses actes avoir “livré      l’ensemble immobilier au maître d’œuvre en 2007”, ce qui déforçait totalement son   argumentation selon laquelle la reproduction de 2008 visait un immeuble inachevé.

Face à ces argumentations, le Tribunal va successivement :

– reconnaître à l’immeuble le caractère d’une œuvre collective, ce qui rend en théorie le Cabinet d’architecte titulaire des droits d’auteur, et l’autorise à agir en justice, y compris quant au droit moral

– estimer que la clause du contrat conclu entre ce Cabinet d’architectes et le maître d’œuvre, et selon laquelle ce dernier était autorisé “à publier ou faire reproduire et utiliser (les documents) ” ne visait que des reproduction graphiques et dactylographiques remis en vue de l’obtention du permis de construire, et qu’il ne pouvait pas en être déduit une cession générale du droit de reproduction privant le Cabinet d’architecture de son droit de propriété intellectuelle.

Les demandes du Cabinet d’architecture seront donc déclarées recevables, et examinées ensuite quant au fond

– Enfin, le Tribunal va examiner si, oui ou non, l’immeuble en question est le sujet principal de la photo comme le prétend la demanderesse, et pour ce faire, détailler le paysage reproduit:

“En l’espèce, il convient de relever que la photographie litigieuse figure en page de couverture du magazine L’EXPRESS et en page deux de son supplément intérieur, étant précisé que ce cliché reproduit en page de couverture est occulté dans sa partie inférieure par un bandeau, modifiant le cadrage et accroissant l’effet panoramique. La consultation du magazine permet de constater qu’il s’agit de la photographie d’un paysage urbain parisien, sur lequel on distingue la Seine et la tour Eiffel. La légende en page 2 du supplément la désigne comme étant une “vue sur la Capitale et la Seine des hauteurs de Meudon”. On distingue au centre du deuxième plan de cette photographie, la partie supérieure d’un immeuble d’habitation , vu de trois quart, ayant pour architecte (la demanderesse), située pour partie au-dessus de la cime de plusieurs arbres figurant au premier plan sur la droite .

Cette photographie illustre en page de couverture le thème du numéro de ce magazine intitulé “Spécial Immobilier Hauts-de-Seine”, et en page deux du supplément intérieur intitulé “spécial immobilier Hauts-de- Seine” un article de présentation générale du thème traité dont le titre est “La hausse continue” et le sous titre “Malgré les investissements du marché pas de baisse des prix dans ce département le plus cher d’Ile de France. Ses meilleurs atouts: une desserte variée, de nombreux espaces verts et des écoles réputées”. Cet article est placé en tête d’un fascicule composé de différents articles relatifs aux communes d’Issy les Moulineaux, Clichy-La garenne, Neuilly sur Seine (…) également illustrés de photographies de différents immeubles.

Le tribunal relève que la partie supérieure de l’immeuble qui figure sur la photographie litigieuse, n’est pas l’objet principal de la communication au public, elle s’intègre au paysage urbain, et ne constitue pas l’axe d’attraction, la photographie illustrant l’ensemble des atouts du département des Hauts de Seine notamment sa proximité avec la Capitale ainsi que la présence d’espaces verts.

Dans ces conditions, c’est ajuste titre que la société défenderesse fait valoir que l’ensemble immobilier litigieux n’est pas l’objet du sujet traité, ni le sujet représenté mais un simple élément de l’environnement de la ville de Meudon s’inscrivant dans un paysage urbain. Dès lors, il n’y a pas eu véritablement communication au public de l’oeuvre architecturale revendiquée et donc il n’y a pas eu d’atteinte au monopole du titulaire du droit d’auteur sur cette oeuvre.

En conséquence , (le Cabinet d’Architectes)  ne saurait se plaindre d’une atteinte ni à son droit de paternité, ni à son droit à l’intégrité de l’oeuvre, ni à ses droits de reproduction et de représentation.”

C’est donc en examinant la photo dans son intégralité à l’intérieur de la publication que le Tribunal arrive à cette appréciation, sachant que la couverture reprenait apparemment la partie de l’immeuble concerné de façon plus prépondérante, du fait de l’ajout d’un bandeau au bas de la couverture.

Qu’en retenir  ?

Au final donc, la jurisprudence est ainsi confirmée, et c’est bien en fonction de la place qu’occupe le bien sur l’ensemble de la photographie que le Tribunal appréciera si, oui ou non, l’immeuble est l’élément principal.

En cas de doute, dézoomer un peu.. cadrez plus large…. … et je m’en vais zoomer un peu sur mes dossiers, à présent.

Bonne journée à tous

 

Joëlle Verbrugge

 

 

7 commentaires sur cet article

  1. “Le Cabinet d’Architecture, estimant que l’immeuble était le sujet principal de la photographie, avait mis en demeure l’éditeur de lui régler la somme de 40.000 € sur le fondement des dispositions du Code de laquelle, la reproductiont selon lui constitutive de contrefaçon”.

    Incroyable ! J ai vendu une photo de couverture pour une édition régionale de l express : 250 euros.

  2. Ouf, ici, la théorie de l” accessoire ” a prévalu !
    Pour l’anecdote, la Tour Eiffel figurait aussi sur l’image !
    Sans réaction de ses ayants droits :))

  3. la tour eiffel de jour est libre de droit, c’est la nuit que cela pose problème…
    Mais depuis que le premier étage est réaménagé, peut etre que cela pose problème et qu’il faudra donc le supprimer sur les photos publiées. On aura donc une tour eiffel sans premier étage….

    Je trouve que les photos (peinture, dessin) d’oeuvre est un sujet super complexe et risqué… et que c’est un peu du à la gueule du client…. Si le gars est célébre il y a à mon avis moins de chance qu’il soit condamné que si c’est un illustre inconnu.
    En plus dans le cadre d’un changement de support large (sculpture/architecture vers photo par exemple, et non photo d’une peinture) je pense que le droit devrait être plus permissif

  4. Excellent article Joëlle.

    Mais qu’en est il des monument d’architecture à l’étranger? Exemple: Je fais une exposition en France où se mêlent des éléments d’architecture anciens comme de vieux temples cambodgiens et des gratte ciels connus comme les Tours Petronas de Kuala Lumpur. Il y a t’il un risque pour l’expo elle même ou pour les tirages vendus lors de l’expo?

    PS. Aurons-nous la chance de vous voir encore au salon de la photo cette année?

  5. Difficile d’exercer aujourd’hui le métier de photographe. J’ai connu un cas similaire (plus modeste) il y a quelques années. Ce que l’on m’avait dit à l’époque, c’est que le photographe est sensé avoir les autorisations des ayants droits, en cas de condamnation, c’est donc lui qui risque de devoir payer!
    Par contre, je m’étonne que le droit à l’information n’ai pas été évoqué. Il me semble que les architectes ne pourraient s’y opposer. Le seul manquement du journal porte sur l’absence de la signature de l’œuvre.

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