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Un jugement sanctionne la publication d’une photo non-créditée dans un journal

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Bonjour

Je ne reviendrai pas sur la question des fameux “D.R.” longuement débattue, et que tout le monde connaît à présent. Je renvoie les lecteurs qui auraient pris le train en marche à la lecture des différentes interventions sur le blog à ce sujet, ainsi qu’à la chronique publiée dans le numéro 20 de “Compétence photo”.

Je m’étonnais toutefois de ne pas trouver de jurisprudence concernant les cas pourtant fréquents (c’est le moins qu’on puisse dire) où un organe de presse quelconque publie une photo sans mention du nom de l’auteur.  Faut-il vraiment en déduire que jamais personne ne porte le litige devant les Tribunaux ?

J’ai finalement trouvé un arrêt rendu par la Cour d’appel de Riom en date du 18 novembre 2010.  Voyons le contenu de cette décision.

Les faits

Un photographe avait offert une photographie de deux personnalités, et ce afin d’illustrer un événement organisé par une Association Loi 1901 dont il souhaitait soutenir l’action  (aide aux enfants malades dans les pays en voie de développement).

Au moment de transmettre le fichier, il avait veillé à préciser que si cette cession était réalisée à titre gratuit, la seule condition qu’il posait était la mention obligatoire de son nom sur toute utilisation du visuel, sous forme d’URL de son site personnel.

Or, dans une édition de novembre 2007, un quotidien Auvergnat avait publié un article avec la photographie, mais sans, bien sûr le nom du photographe.

Les choses avaient en outre été faites dans les règles puisque l’auteur et l’association avaient établis au moment de la cession un bon de commande relatif à la photographie en cause, pour un montant de 0 €, mais prévoyant que toute utilisation de la photo devrait mentionner la fameuse URL.

Constatant cette publication, l’auteur avait alors assigné le quotidien devant le Tribunal d’Instance de Clermont Ferrand (les Décrets de 2009 sur la procédure n’étaient pas encore en vigueur), et avait sollicité la condamnation de l’organe de presse au paiement de la somme de 4.500 € de dommage et intérêts. Le Tribunal avait fait droit à cette demande sur le principe, en considérant que la volonté (du photographe) de faire bénéficier gratuitement une association de sa photo ne le privait pas de l’exercice d’un droit fondamental concernant son œuvre” mais avait réduit le préjudice à la somme de 1.500 €.

Insatisfait, l’organe de presse avait interjeté appel

L’arrêt de la Cour d’appel de Riom (CA Riom, 18/11/2010, RG 09/01795)

Les argumentations développées par l’Organe de presse en appel méritent, pour leur audace, d’être énumérées :

– il n’avait reçu qu’un fichier numérique représentant la photo sans la moindre       information quant aux mentions légales liées à son utilisation

– la photo avait été placardée dans toute la ville dans un but humanitaire rappelée

également dans l’article qu’il avait lui-même publié;

– il n’avait fait que “publier une photo libre de droits qui lui était transmise sans avertissement particulier”

– il allait jusqu’à contester sa qualité de “professionnel de l’édition”, s’estimant “non concerné par les codes des usages en matière de photos”;

– il invoquait l’absence d’atteinte au droit moral puisque l’œuvre publiée, d’une “grande  qualité artistique, n’avait pas été modifiée ou déformée”

– enfin, par rapport à l’indemnité portée à 100% des droits éludés, il invoquait que vu l’absence de droits d’auteur versés entre le photographe et l’Association, il n’y avait       pas lieu d’appliquer une indemnité quelconque, à défaut de rétribution initiale

– avant enfin de s’indigner qu’un procès lui soit intenté, alors qu’il avait par sa publication soutenu l’Association

La seule argumentation qui aurait pu, par contre, poser difficulté au photographe était la circonstance que la convention de cession avait été conclue entre le photographe et l’Association, et était donc étrangère au quotidien poursuivi (effet relatif des conventions, qui ne lient que leurs signataires). Fort heureusement, la Cour ne s’y est pas trompée et écartant également cette argumentation, a, sur l’ensemble des arguments invoqués, répondu en ces termes :

“Attendu que, dans son édition du mercredi 21 novembre 2007, la (société éditrice)  a consacré un article d’environ un quart de page à un concert qui devait intervenir au profit de l’association /…/ , assorti d’une photographie de grande qualité artistique, oeuvre de /…/., faisant ressortir la généreuse participation du chef d’orchestre /…./  et du journaliste /…/ ;

que, si cet article apportait une publicité bienvenue et génératrice de bénéfices à une oeuvre humanitaire, elle n’en ressortait pas moins de la mission classique d’information de la /…./, qui trouvait dans la photo de M. /…/. un support artistique de qualité pour rendre plus attrayante son édition ;

qu’il est acquis que M./…/. avait autorisé l’association concernée à utiliser gratuitement son oeuvre, sous la seule condition d’une discrète mention publicitaire sur toute utilisation ; qu’en tant que professionnel, la (société éditrice) avait l’obligation de s’assurer des conditions d’utilisation de ladite photo et de vérifier si elle était, ou non, libre de tout droit ou assortie, comme en l’espèce, de conditions ;

que tout auteur jouit du droit à la paternité de l’oeuvre, s’il ne préfère choisir l’anonymat ou le pseudonyme ;

que le premier juge a justement retenu que l’omission, délibérée ou fortuite par négligence, de mentionner, sans autorisation particulière, le nom de l’auteur d’une photographie constituait une violation fautive du droit moral de ce dernier et justifiait une réparation, pertinemment arbitrée ; qu’il y a donc lieu à confirmation ;

que l’équité commande d’allouer à M./…/., pour les frais non taxables exposés par ses soins en cause d’appel, 1.500 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;”

Le jugement est donc confirmé dans toutes ses dispositions y compris la condamnation et la Cour y ajoute le montant visé ci-dessus au titre de l’article 700 du NCPC.

Qu’en penser ?

Cet arrêt est doublement intéressant.

Tout d’abord bien sûr parce qu’il rappelle que même offerte, une photo reste une œuvre soumise à l’obligation de mention de son auteur, au titre d’un droit moral que le Tribunal puis la Cour d’appel considèrent comme “fondamental”. Certes nous n’en doutions pas, mais tout le monde ne partage pas cet avis et il n’était pas inutile de le rappeler.

Mais aussi, et surtout, parce qu’en l’espèce le contrat de cession à titre gratuit était conclu entre le photographe et l’Association, et était donc étranger à l’organe de presse, ce que celui-ci a bien entendu évoqué au titre de ses moyens de défense.

Ecartant cet argument, la Cour relève qu’en sa qualité de professionnel, l’organe de presse avait l’obligation de se renseigner sur ses possibilités d’utilisation de la photo…  enfin un attendu clair et précis sur cette question !

Et pour ceux qui auraient raté ces articles, je rappelle que les chroniques juridiques dans les numéros 21 et 22 de “Compétence photo” traitaient précisément de cette question relative à la possibilité d’offrir une photo et surtout aux précautions à garder à l’esprit dans une telle hypothèse.

La solution utilisée par le photographe dans cette affaire (le bon de commande pour un montant de 0€) est totalement efficace, puisqu’elle va encore plus loin que les différentes précautions que j’évoquais dans mon article. Deux précautions valent mieux : l’ensemble peut fort bien être combiné. Et la prudence du photographe nous vaut un arrêt qu’il était utile de vous présenter.

A bientôt

Joëlle Verbrugge


8 commentaires sur cet article

  1. Commentaire laissé par Richard Bellia le 6/12/2011

    Bonjour,

    je suis photographe et j’ai fait de nombreux procès pour des histoires similaires.

    A noter que typiquement, le journal a joué au con (ils auraeint pu payer sa pige au type, lui filer 80€ et on n’en parlait plus, en lieu et place, ile l’ont envoyé chier) et qu’en face, le journaliste a fait sa tête de con (“on va me la payer ma photo, même si je dois aller au tribunal”)… et qu’au final, ça prend 4 ans cette histoire.

    J’en ai plein des histoires comme ça. Tous les photographes en ont ou en auront.

    Si j’avais deux conseils à donner à mes collègues photographes, en numéro 1 : Bien encadrer l’utilisation d’une photo quand on le met en ligne/cède/ vend / partage… c’est essentiel, ça évite ce genre de brouilles. Mon second conseil est : attaquez-vous en priorité aux gros, c’est vachement plus fun.

    R.B.

    1. Bonjour

      Vous avez parfaitement raison.. quelques précautions au départ et déjà on limite les risques…

      Ce qui est étonnant par contre c’est qu’on trouve peu de jurisprudence en la matière, malgré la fréquence du problème.

      Si les jugements rendus qui vous concernent sont encore à votre disposition et bien sûr si votre avocat marque son accord, je serais ravie de pouvoir en disposer..
      IL est parfois utile d’expliquer à certains magistrats que le problème est récurrent.
      Et je suis en train d’essayer de voir comment, en pratique, les barèmes UPP et le Code des Usages en matière d’illustration photographique sont perçus et appliqués par les juridictions.
      Donc toute jurisprudence est bienvenue…
      N’hésitez pas à me transmettre par mail ce que vous auriez en stock, à nouveau si votre conseil n’y voit pas d’objection.

      Excellente journée à vous

      Joëlle Verbrugge

  2. Commentaire laissé par Elisabeth le 6/12/2011

    Bonjour Joëlle,

    L’article est très intéressant, je pense aussi que beaucoup d’auteurs photographes sont couramment victimes de ce genre de contrat ou contrat d’un galériste qui demande la cession des droits de l’auteur sur la photographie.

    Peu de jugement sont rendus à mon seul avis par découragement devant la procédure judiciaire qui est longue.

    N.B. : En Auvergne, la presse est Auvergnate et non Auvergnois sauf si vous avez utilisé le dialecte qui est le patois….sourires…vous travaillez trop !

    Au plaisir de vous lire !

    1. Bonjour

      Ah bien sûr c’était du dialecte local 😉 … merci d’avoir signalé la faute, .. et il est temps sans doute que je prenne des vacances, c’est clair..

      En attendant je me demande si je ne vais pas lancer un petit appel aux photographes qui auraient eu des jugements en ce sens… j’aimerais voir notamment comment sont appréhendés les barèmes UPP dans la jurisprudence, je n’ai que très peu de décisions qui en font mention..

      Merci pour votre participation… orthographiquement constructive de surcroît 😉

      Joëlle Verbrugge

  3. Commentaire laissé par Vincent Blinder le 6/12/2011

    Cet article et cet arrêt m’amènent à vous poser une question sur un sujet relativement similaire : il y a 3 ou 4 ans, j’ai eu l’occasion de passer une journée à l’antenne bressuiraise du journal La Nouvelle République. Durant cette journée, j’ai été amené à réaliser quelques photos pour accompagner l’interwiew réalisée par une des journalistes. De retour dans les locaux du journal, les photos – prises avec l’appareil prêté par le journal – ont donc été récupérées par la rédaction sans que copie ne me soit laissée et l’une d’entre elle a été publiée sans que mention ne soit faite ni du nom ou des initiales de la journaliste, ni des miennes. Je me doutes qu’il doit être un peu tard pour réagir, mais quels auraient pu être mes droits et mes recours ?

    Merci pour toutes ces informations que vous mettez à notre disposition.

    1. Je vous remercie de votre réponse. Une dernière question, si vous me permettez : bien que je n’ai nullement dans l’idée de poursuivre ledit journal, pourriez-vous m’indiquer à titre purement informatif quel sont les délais prévus pour intenter une action en justice dans ce genre de situation ?

      Merci encore pour toutes ces informations.

      Vincent Blinder

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