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Contrat d’image et étendue de l’autorisation

Bonjour

L’article d’aujourd’hui revient sur la délicate question de la durée de validité des autorisations signées en matière de droit à l’image.

Nous avions déjà évoqué ce sujet dans un précédent article en mars 2010.

La Cour d’Appel de Paris ayant tranché dans une affaire comparable en septembre 2011, voyons ce qu’il en est à l’heure actuelle.

Les faits

Courant 2002, une étudiante avait posé nue pour un photographe, et signé, à l’occasion de chaque séance, un contrat de cession des droits d’exploitation de son image.

Cette autorisation était rédigée comme suit :

“Je déclare poser en tant que modèle pour le photographe /…/

Par cette cession de droits, j’autorise (le photographe) à reproduire les images me représentant dans un livre, magazine ou toute autre parution presse, ainsi qu’en exposition.
D’une façon générale, par tous moyens d’expression de la pensée, actuels ou futurs.

Pour cette cession, je certifie avoir reçu la somme de 80 €, dont je donne quittance par cette cession de droits.

Fait à Paris, le …
+ signature suivie de la mention manuscrite “bon pour cession de droits dans le termes ci-dessus”.

En 2007,  découvrant que certaines des photographies prises lors de ces séances avaient été utilisées dans un livre consacré au photographe en question, elle avait assigné l’éditeur allemand de cet ouvrage sur le fondement de son droit à l’image.

Elle reprochait aux autorisations signées à l’époque de n’avoir pas suffisamment circonscrit la cession dans le temps et l’espace, et de n’avoir pas précisé assez clairement la nature des supports et vecteurs de communication pour lesquels l’autorisation d’utiliser son image était consentie.

Elle invoquait également le fait que la publication dans cet ouvrage, à fort caractère érotique, revenait à outrepasser la portée des autorisations données au moment des prises de vue, ce qui lui causait un préjudice.

Sur ce point précis, il semble que le TGI saisi en première instance avait déjà écarté la demande de la plaignante. Celle-ci avait toutefois eu gain de cause à un autre égard dont il n’est pas question aujourd’hui (elle se disait co-auteur des photographies, et à ce titre formulait également des demandes au titre de la contrefaçon).  L’éditeur avait donc interjeté appel du jugement rendu.

L’arrêt

Dans son arrêt du 21 septembre 2011, la Cour d’Appel de Paris va débouter la plaignante et faire droit aux arguments de l’éditeur (CA Paris, 21/9/2011, Pôle 5, 1ère chambre, RG 09/21251).

Les attendus importants de l’arrêt sont les suivants :

Considérant que (le modèle) maintient devant la cour ses prétentions au fondement du droit à l’image telles que soumises aux premiers juges ;

Qu’elle soutient en premier lieu, bien qu’elle ne reprenne pas ce chef de demande dans le dispositif de ses écritures, que les contrats signés en 2002 au bénéfice (du photographe) sont entachés de nullité au regard des dispositions de l’article 9 du Code civil à défaut de circonscrire dans le temps et dans l’espace l’étendue de la cession des droits d’exploitation de son image et de préciser la nature des supports et vecteurs de communication pour lesquels l’autorisation d’utiliser son image est consentie ;

Mais considérant que, s’il ressort des dispositions de l’article 9 du Code civil que chacun a droit au respect de sa vie privée et que les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommages subi, prescrire toute mesure propre à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée, le droit à l’image, qui comporte des attributs d’ordre patrimonial, peut valablement donner lieu à l’établissement de contrats de cession des droits d’exploitation de l’image ; que, de tels contrats, sont soumis au régime général des obligations et non pas, à l’instar de ceux portant cessions de droits d’auteur, avec lesquels (le modèle)  commet un amalgame, aux règles spécifiques du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant, en l’espèce, que (le modèle) ne conteste pas être la signataire des trois documents intitulés “cession de droits”, respectivement datés du 22 février 2002, 4 mars 2002, 4 avril 2002  /… l’arrêt reproduit les autorisations, déjà citées ci-dessus) / et avoir également signé deux autres documents, quasi identiques aux précédents, sauf à relever, pour l’un, qu’il ne mentionne aucune date, pour l’autre, daté du 2 novembre 2002, qu’il n’indique pas le montant de la rémunération perçue ;

Que, pas davantage, le modèle ne dément que les 7 clichés litigieux publiés dans l’ouvrage /…/  ont été réalisés par (le photographe) dans le cadre des séances de pose ayant donné lieu à la signature, au bénéfice du photographe, des “cessions de droits” précédemment évoquées ;

Qu’elle ne discute pas, enfin, que les contrats en cause ont un objet certain, une cause licite, qu’ils ont été signés par une personne capable, dans des conditions exclusives de tout vice du consentement, et qu’ils réunissent, par voie de conséquence, les conditions de validité des contrats édictées à l’article 1108 du Code civil ;

Considérant, ceci étant posé, que (le modèle ) est mal fondée à soutenir que ces contrats, de durée illimitée, seraient de nullité absolue ; qu’en effet, à défaut de terme stipulé, une convention est regardée comme ayant été conclue pour une durée indéterminée et, par là- même, comme étant susceptible d’être dénoncée et résiliée, à tout moment, par chaque partie, de sorte qu’elle n’encourt aucune nullité ;

Qu’elle n’est pas plus pertinente à invoquer le caractère très large de l’autorisation accordée ; que s’il résulte en effet des dispositions contractuelles que l’exploitation de son image est prévue pour tous supports ( livre, magazine ou tout autre parution presse , exposition, tous moyens d’expression de la pensée, actuels ou futurs ) et pour le monde entier dès lors que n’est fixée aucune limite géographique, ces éléments ne sont pas de nature à vicier la cession des droits, le principe de l’autonomie de la volonté laissant aux parties la liberté de déterminer l’étendue de leurs droits et de leurs obligations ;

Qu’il s’ensuit que les contrats par lesquels (le modèle) a consenti à l’exploitation de son image par (le photographe)  sont exempts de toute cause de nullité ;

Considérant que (le modèle) soutient, en second lieu, qu’en faisant publier dans un ouvrage à forte connotation érotique, plus de cinq années après les avoir réalisées, des photographies qui la montrent s’exhibant nue , (le photographe) a outrepassé l’autorisation qui lui a été octroyée et porté atteinte à son crédit et à son image alors que, ayant désormais achevé ses études supérieures /…/  elle occupe un emploi dans son domaine de compétences ;

Mais considérant que c’est en toute connaissance de cause que (le modèle) a cédé (au photographe) , sans limitation de durée et sur tous supports, son droit à l’image sur des photographies dont elle ne pouvait ignorer qu’elles la représentaient nue et dans des poses qu’elle aurait elle même choisies ainsi qu’elle le prétend dans les développements par lesquels elle revendique sur ces photographies la qualité de co-auteur ;

Que, par ailleurs, la publication des clichés litigieux aux côtés de photographies d’autres modèles féminins dénudés, dans un ouvrage exclusivement consacré (au photographe) et destiné à promouvoir la conception mise en oeuvre par celui ci pour la prise de vue des nus féminins, n’excède pas les limites de l’autorisation consentie par (le modèle) pour l’exploitation de son image ;

Que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu’il a écarté le grief tiré d’une prétendue atteinte au droit à l’image ;”

Qu’en retenir  ?

S’il existe, en droit de la propriété intellectuelle, une obligation de circonscrire de façon précise dans le temps et l’espace l’étendue d’une cession de droits, il ne faut pas confondre droit d’auteur et droit à l’image.

Le droit à l’image, quant à lui (et surtout les autorisations qui peuvent être signées), doit être soumis au droit commun des contrats.  Dès lors qu’ici, le modèle était civilement capable de contracter (elle était majeure et n’était pas frappée d’une incapacité quelconque), son accord doit être considéré comme valable.

La durée illimitée du contrat l’autorisait à résilier celui-ci, mais les publications effectuées sous couvert de l’autorisation doivent être considérées comme conformes à celles-ci.

En outre, dans ce cas précis, la Cour considère que le modèle ne peut se plaindre d’aucun dépassement de l’autorisation, puisqu’elle savait parfaitement dans quel type de poses elle avait accepté d’être photographiée, invoquant même dans la seconde partie de son argumentation qu’elle était co-auteur des photos (argument qui, en appel, fut également rejeté).

Plus que jamais, un contrat est donc utile en cas de diffusion de l’image d’autrui, et celui-ci s’appréciera au regard des règles contractuelles de droit commun, le droit à l’image ne pouvant pas être assimilé au droit d’auteur qui, lui, est réglé par le Code de la Propriété Intellectuelle.

Enfin, sur cette question des aspects juridiques des relations photographe/modèle, surveillez attentivement mes prochaines parutions papier 😉

Bonne semaine à tous

Joëlle Verbrugge

 

Image d’accroche : © Geralt – Licence Creative Commons

 

6 commentaires sur cet article

  1. Bonjour Joëlle, une 3e édition de “Vendre ses Photos” est-elle en route ? (juste pour savoir si je peux me jeter dès maintenant sur la seconde édition ou s’il me suffit d’attendre un peu 🙂 )

    1. Bonjour
      Elle est en cours de préparation, mais il faudra attendre plus “qu’un peu”, car elle sera sérieusement modifiée, sans doute avec l’apport d’éléments didactiques supplémentaires.
      Mais tout cela prend du temps..
      Donc je dirais pas avant le printemps 2013 sans doute.

  2. Décidément Joëlle tous tes comptes rendus sont pleins d’informations, et retraduits en langue vulgaire ce qui n’est pas négligeable ! Mille mercis.

  3. Exposé parfaitement clair précis et compréhensible qui lève le doute
    entre les droits d’auteur et le droit à l’image.

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