L’importance du contexte en matière de droit l’image
Publié le 28 mai 2013
Bonjour
Revenant peu à peu à des activités normales (l’éditeur finalise de son côté l’édition 3), je vous propose aujourd’hui un article insistant sur l’importance du contexte lors de la publication d’une photo.
Comme je le rappelle souvent lors des conférences sur le droit à l’image, le préjudice découlant de la publication de l’image d’une personne peut résulter non seulement de la photographie elle-même, mais aussi du contexte dans lequel celle-ci est publiée, ou du texte qu’elle illustre.
L’arrêt dont il est question aujourd’hui est une superbe illustration de cette affirmation
Les faits
Un quotidien savoyard avait publié en août 2010 un article consacré au travail illégal dans les résidences de luxe. L’article (dont l’objet tout à fait louable était de dénoncer le recours à une main d’œuvre non-déclarée et à la violation des conditions de sécurité sur les chantiers), était illustré d’une photographie représentant un maçon/chef d’entreprise, qui toutefois n’avait strictement rien à voir avec les entreprises concernées par de récents faits d’actualité ayant entrainé des descentes de la police de l’air et des frontières ainsi que des inspections de l’Urssaf.
Le nom du dirigeant d’entreprise n’était pas mentionné, pas plus bien sûr que celui de son entreprise puisque celle-ci n’était pas concernée, mais il apparaissait sur la photographie choisie par l’éditeur pour illustrer l’article.
Fort légitimement, il s’était indigné de la situation, et avait assigné l’éditeur au titre des articles 9 (droit à l’image) et 1382 (responsabilité civile extra-contractuelle) du Code civil.
Les décisions au fond
Au terme d’n jugement dont je n’ai pas trouvé copie, le Tribunal de Grande Instance d’Albertville avait donné raison au plaignant (TGI Albertville,10/11/2011) en condamnant l’éditeur à des dommages et intérêts à hauteur de 1000 €. La faiblesse de cette indemnisation semble résulter d’un manque d’éléments probants quant aux impacts précis sur le chiffre d’affaire du plaignant.
L’éditeur a toutefois interjeté appel, et invoquant notamment que le demandeur n’était pas reconnaissable sur le cliché paru, ayant été photographié “de dos et dans un lieu public”.
La Cour d’appel va toutefois confirmer le jugement entrepris, en relevant que :
“Cependant, la légende reprise intégralement ci dessus, identifie bien le chantier photographié comme celui ayant fait l’objet du contrôle, par l’emploi de l’article démonstratif ce tandis que sur le cliché, (le plaignant) se présente non pas de dos mais de trois quarts, avec son ouvrier /…/ , vu de face en train de pelleter. Tous deux sont reconnaissables.
L'(éditeur) n’a pas sollicité l’autorisation des personnes concernées avant de diffuser leur image dans un article qui pouvait créer une confusion et porter atteinte à la réputation d’une entreprise, nouvellement créée, en mars 2010, étrangère aux infractions.
Il appartenait au journal de prendre toutes précautions préalables en s’assurant de l’accord de diffusion des personnes concernées ou à défaut en rendant leur identification impossible par tout moyen technique adéquat, en particulier en rendant flous les éléments d’identification.“ (CA Chambéry, 10/1/2012, RG 11/00574).
La Cour, sur base des éléments de preuve fournis par le plaignant, retenait ensuite l’impact négatif que la publication avait eue sur son entreprise, et allouait quant à elle 2.000€ de dommages et intérêts.
Sur le strict plan (plus pénal quant à lui) de la diffamation, la Cour d’appel ne retient pas cette qualification. C’est donc au titre du droit à l’image que la condamnation est prononcée.
Pourvoi en Cassation
Mécontent, l’éditeur poussa la procédure jusqu’au bout, en saisissant la Cour de Cassation qui par un arrêt du 16 janvier 2013, a toutefois rejeté le pourvoi (Cass. 1ère civ. 16/1/2013, n°12-15.547).
L’éditeur invoquait, à l’appui de son pourvoi :
• le fait qu’il n’y avait pas d’atteinte à la “vie privée” dès lors que la photographie avait été prise sur un lieu public, de telle sorte qu’aucune application ne pouvait être faite de l’article 9 du Code civil qui sert de fondement au droit à l’image
• et que la liberté de communication d’informations (lire ici “la liberté de la presse” ou “le droit à l’information”) justifiait la publication “d’images de personnes impliquées dans un événement sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine“…
L’éditeur invoquait le fait que c’est le chantier qui avait été photographié, la présence du plaignant étant totalement fortuite
La Cour de Cassation rejette toutefois cette argumentation, en considérant que la Cour d’appel a justement apprécié l’atteinte à la personne, que ne pouvait pas justifier “la liberté de communication des informations” dans le cas présent.
Qu’en retenir ?
Rien de bien neuf à priori, mais il n’est pas inutile de le rappeler puisque certains professionnels continuent à s’y tromper
• être “reconnaissable” sur une photo n’oblige pas que la personne soit photographiée de face. Ici, le sujet de la photographie était de 3/4, suffisamment reconnaissable aux yeux des juges du fond
• et, bien sûr, que le droit à l’information ne justifie pas toute communication, puisqu’il faut un lien entre l’image utilisée et le message véhiculé
La Cour le rappelle ici à l’éditeur de façon fort claire.
Bonne fin de journée à tous
Joëlle Verbrugge
Bien dit !
C’est toujours très instructif ces arrêtés et faut espérer que ça continue pour que chacun prenne bien conscience que mettre quelqu’un sur une photo et la publier a une implication juridique. 🙂
Il est effectivement intéressant de rappeler certaines règles disons de ” bienséance “.
Mais je regrette que bon nombre de mes pairs (je suis un éternel amateur) ne se soucient guère ni de l’utilisation de leur image ni des précautions qu’ils doivent prendre à l’égard de l’image de tiers.
Ceci état dit, je vous souhaite le même succès pour votre troisième édition.
Si le journal avait mandaté un photographe professionnel pour illustrer ses articles au lieu de piocher au pif dans une banque d’images – probablement la leur – cela leur serait revenu moins cher et ça aurait donné de l’activité à quelqu’un qui ne demande sûrement que ça…
le commentaire de “coq” me plaît bien…ce n’est pas la première fois que ça arrive….pour gagner 3 francs six sous les journaux piochent des images qui n’ont rien à voir avec leurs articles dans des banques d’images plutôt que de payer un photographe professionnel !!! mauvais calcul au final !!
Je tiens à rappeler que les photos de banques d’images et agences photographiques sont réalisées par des photographes professionnels qui en tirent des revenus complémentaires à leur travail de commande.
Monsieur Taquet,
Si vous entendez par là que la majorité des photographes qui contribuent aux banques d’images leur envoient des photos prises sur commande et ont donc déjà été payés pour leur travail, vous vous trompez lourdement. C’est le contraire – la grosse majorité de ces photographes (j’en fais partie) prennent des photos sans aucun paiement et leur contribution aux banques d’images est entièrement spéculative. Souvent, les revenus qu’ils en tirent ne couvrent même pas le temps consacré à la prise de vue, au “peaufinage” des images sur l’écran, au travail de sélection et à l’application de mots clés (qui demande beaucoup de temps).
En outre, depuis l’arrivée du numérique, les honoraires pour droits de reproduction ont énormément baissé, tout simplement parce que la plupart des banques d’images acceptent maintenant les photos de non-professionnels qui, grâce à la technologie, arrivent à produire des photos potables sans connaître grand-chose à la photographie.
Il s’ensuit qu’une bonne partie des contributeurs aux banques d’images sont “professionnels” en termes de savoir et de compétences, mais ont des activités autres que la photo pour leur permettre de joindre les deux bouts.
L’utilisation d’un fonds d’archive n’est pas en cause, mais le sérieux journalistique, en l’occurrence.
Tout à fait d’accord.