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Similitude, inspiration ou plagiat et parasitisme ?

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Bonjour

L’article d’aujourd’hui concerne la délicate question du plagiat en matière photographique.

En effet, s’il y a certes des codes fréquemment utilisés, des techniques ou méthodes qui font partie du patrimoine commun, à partir de quand il y  a-t-il plagiat ou parasitisme ? En d’autres termes, à partir de quand un photographe peut-il se plaindre de l’imitation de son travail par un autre ?

Cette question m’est fréquemment posée par certains photographes dont la notoriété augmente, et dont le travail leur paraît régulièrement imité au-delà des influences raisonnablement acceptables.

J’ai pu trouver une décision récente dans une affaire tout à fait comparable, ce qui me vaut cet article nocturne (il faut bien maintenir les neurones un peu en activité au milieu de ces festivités de fin d’année).

Les faits

Les héritiers de Jean-Louis SIEFF avaient attaqué la société Dolce & Gabbana en lui reprochant d’avoir plagié une célèbre photographie de l’artiste dans l’une de leurs campagnes publicitaires.

La photographie d’origine, en effet fort connue, était celle d’Yves-Saint Laurent ayant servi elle-même pour une campagne publicitaire d’une eau de toilette commercialisée par le célèbre créateur.

                                              © Jean-Louis SIEFF, 1971

De son côté, la firme italienne avait lancé une campagne publicitaire autour de la photographie suivante :

                                     © D & G – Photographe non précisé dans l’arrêt

Les héritiers du photographe ont dès lors saisi la justice.

L’arrêt de la Cour d’Appel (CA Paris, 6 novembre 2012 – RG° 12/05076)

La particularité de cette procédure fut que l’assignation fut lancée devant le Juge des référés, magistrat qui pour rappel ne peut se prononcer au fond mais est chargé de prononcer des mesures urgentes et provisoires.

L’action était fondée sur une disposition du Code de la Propriété Intellectuelle permettant à une juridiction d’ordonner la production d’informations relatives aux modes de diffusion d’une œuvre contrefaite (Art. L331-1-2 du CPI).  La disposition en question semble viser plus le cas de marchandises contrefaites, mais sans toutefois le préciser, et est insérée dans la partie du Code qui organise les moyens de lutte contre la contrefaçon. Il fallait oser, mais ici les héritiers du photographe ont été bien inspirés…

En l’espèce, les héritiers de Jean-Louis SIEFF sollicitaient que la firme italienne soit condamnée d’une part une somme provisionnelle à valoir sur le préjudice découlant de ce plagiat manifeste, et d’autre part de communiquer un relevé précis de toutes les utilisations faites de la photographie concernée, dans un délai de 48h et sous astreinte.

Au titre de leur argumentation, ils faisaient valoir “le caractère non sérieusement contestable des ressemblances d’ensemble existant entre les deux photos (nudité du modèle homme jeune et beau vêtu d’une paire de lunettes, la pose du modèle assis, l’éclairage, l’expression du modèle) ; qu’ils ajoutent que la combinaison de ces éléments crée une composition originale révélatrice de l’empreinte de la personnalité de M. S. et à ce titre, protégeable au titre du droit d’auteur et que les sociétés adverses ont exploité une image publicitaire reprenant les caractéristiques essentielles de la photographie de Jean Louis S.” et soutiennent que la société italienne s’est clairement placée “dans le sillage de la célèbre photographie de Jean Louis S. afin de bénéficier sans bourse déliée, de sa valeur, de sa notoriété et de son actualité et ont commis ainsi des agissements parasitaires engageant leur responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du code civil“. (Arrêt d’appel, pages 4 et 5).

En première instance, et sur une motivation dont je n’ai pas connaissance, le Juge des Référés avait toutefois débouté les héritiers (en tout ou en partie, je l’ignore), qui avaient alors interjeté appel.

Par un arrêt du 6 novembre 2012 (n° 12/05076), la Cour d’Appel de Paris va cette fois faire droit à cette demande, sur base d’une motivation bien rédigée :

“Considérant que les consorts S. établissent que leur auteur a réalisé en 1971 la photographie d’Yves S. présentant les caractéristiques suivantes :
– un modèle nu, un homme jeune vêtu seulement d’une paire de lunettes,
– la pose du modèle assis, visage droit face au photographe et le corps légèrement de côté qui s’appuie sur son bras droit ce qui relève l’épaule droite et abaisse son épaule gauche, le bras gauche posé sur les jambes et le genou droit relevé pour masquer l’entre jambes ;
– l’éclairage sur fond uni blanc créant un halo lumineux derrière le modèle, le reste du décor plongé dans l’ombre par un usage du noir et blanc fortement contrasté,
– l’expression du modèle fixant l’objectif, le visage impassible ;

Considérant que la combinaison de ces éléments crée une composition originale révélatrice de l’empreinte de son auteur, M. Jean Louis S. et donc protégeable au titre du droit d’auteur ;

Considérant qu’il est établi que cette photographie a notamment été exploitée comme image publicitaire pour le parfum YSL et a une notoriété incontestable ;

Considérant que l’examen de la photographie, objet de la campagne des intimées, reproduit un homme nu revêtu de ses seules lunettes, que la pose du modèle montre un visage droit face au photographe, un corps légèrement de côté qui s’appuie sur son bras droit ce qui relève l’épaule droite et abaisse l’épaule gauche, que le bras gauche est posé entre les deux jambes et le genou droit est relevé pour masquer l’entrejambes, qu’il apparaît un éclairage sur fond uni blanc lumineux derrière le modèle, le reste du décor dans le clair obscur, que le modèle montre une expression avec un visage impassible ;

Considérant que les caractéristiques essentielles de la photographie de M. S. sont ainsi reproduites par la photographie utilisée par la société DOLCE & GABBANA dans le cadre de sa campagne publicitaire ;

Considérant que les différences entre les deux photos liées à la couleur et à la coupe de cheveux ainsi qu’à l’allure athlétique du second modèle et au cadrage un peu plus serré ne suffisent pas pour donner une impression d’ensemble différente ; que la seconde photographie fait immédiatement penser à la première sans qu’elle puisse apparaître comme se bornant à s’en être inspirée ; qu’elle ne constitue pas une simple réminiscence mais bien une reproduction quasi à l’identique ;

Considérant qu’il ne peut, par ailleurs, en aucun cas, être considéré qu’il s’agissait d’un hommage en forme de pastiche alors que cette exception suppose un caractère humoristique que n’a absolument pas la campagne publicitaire en question qui était à seule fin commerciale ;

Considérant qu’en agissant ainsi sans avoir obtenu l’autorisation préalable des ayants droit de M. S., titulaires des droits sur la photographie de Yves S., pour la diffusion de cette photographie dans le cadre de la campagne publicitaire, les intimées leur ont causé un trouble manifestement illicite ;” (Arrêt, pages 5 et 6).

La démarche était audacieuse…  il y avait de hautes probabilités qu’un juge de référé se déclare incompétent en refusant d’examiner les similitudes éventuelles et en renvoyant les demandeurs directement devant le juge du fond. C’est peut-être d’ailleurs ce qu’a fait le premier juge, mais je n’ai pas pu trouver l’ordonnance.

Mais la Cour d’appel va admettre la similitude, en faire droit aux demandes provisoires qui lui sont soumises.

Au final, les trois héritiers obtiennent une condamnation provisionnelle au titre de la violation des droits moraux d’une part, des droits patrimoniaux d’autre part, et même au titre de l’agissement parasitaire, et à hauteur de 5.000 euros par poste et par héritier.

Et au-delà de cela, les mesures sollicitées sont ordonnées, puisque la société italienne et son homologue française, également à la cause, sont condamnées à produire “les documents relatifs aux investissements et exploitation de la photographie publicitaire litigieuse notamment le montant des droits versés au photographe, au modèle et aux agences de création et d’achat d’espace, le montant des investissements publicitaires tous médias, le nombre de supports fabriqués reproduisant l’image publicitaire litigieuse, le coût des fabrications, valorisation des investissements et de l’audience de chacune des opérations publicitaires réalisées à partir de ladite photographie ;” et ce dans un délai d’un mois sous peine d’astreinte;

L’inspiration a donc ses limites, et au-delà d’un certain seuil, il y a plagiat et/ou comportement parasitaire….  Il n’est pas mauvais de le rappeler…

C’est donc bien l’ensemble de la composition de l’image qui doit être examinée pour déterminer s’il y a plagiat….  et en l’espèce, la Cour écarte expressément l’argument d’une éventuelle caricature (laquelle aurait alors été autorisée), en précisant :

“Considérant qu’il ne peut, par ailleurs, en aucun cas, être considéré qu’il s’agissait d’un hommage en forme de pastiche alors que cette exception suppose un caractère humoristique que n’a absolument pas la campagne publicitaire en question qui était à seule fin commerciale ;

Bonne fin de soirée à tous.

Joëlle Verbrugge

 

 

 

 

9 commentaires sur cet article

    1. Ah pour ça, rien n’est moins sûr… il ne faut pas exclure qu’un tribunal considère que la photo d’origine n’est pas originale, de telle sorte que le plagiat n’en n’est pas un..
      Il semble par contre que la notoriété de l’auteur de la première photo puisse influencer la juridiction (dans cette exemple J-L Sieff n’est bien sûr pas n’importe qui !)… et j’imagine qu’il faudra, dans un cas comme celui-là, blinder le dossier de toutes les publications, distinctions ou reconnaissances du photographe de l’oeuvre originale..
      Nous verrons avec le temps comment réagissent les Tribunaux.

    1. Bonsoir
      Oui, avec une différence quand même.. car pour la photo du Che c’est précisément cette photo qui est reprise et adaptée (enfin du moins le plus souvent, sauf dans l’un des articles que j’avais publiés, où elle avait inspiré une affiche de film X).

      Ici ils ont refait une photo très similaire, sur le même modèle (lumière, pose du sujet, etc…)…

      Mais de la matière, ça il y en a, nous sommes bien d’accord..

      Bonne fin de soirée

      Joëlle

  1. Bonjour Joëlle, et merci pour le temps passé sur ces articles.
    Celui ci, mis à côté du précédent sur la peinture, ma laisse sans bien comprendre désormais ce que l’on peut et on ne peut pas faire.
    Je vais essayer d’être plus clair sur mes doutes (pardon pour le raisonnement par l’absurde parfois):

    si j’ai bien compris, si mon “œuvre” n’est pas originale, alors elle ne peut être protégée et d’autres peuvent la copier.
    mais alors, si dans le cas de la peinture dans l’autre article, se référer à une peinture classique vient enlever le caractère original de la photo (ce n’est même pas la même discipline !?), comment dès lors toute photo peut être jugée originale ? Et même les tableaux d’ailleurs. Car comment prouver que ça n’a jamais été dessiné auparavant ? Les descendants du peintre de lascaux quand il se manifestera sera riche : toutes ces photos, tableaux et calendriers d’animaux sont des plagiats de son œuvre originale du moins de son idée…
    Dans le cas du présent billet, comment Sief, dont j’aime par ailleurs beaucoup le travail / l’oeuvre, et (essayer de) reproduire certaines de ses images a été une des étapes de mon apprentissage de la photo (pur autodidacte), comment Sief (ou héritiers) peuvent dire que jamais auparavant une telle photo n’a été prise? Je veux dire par là, il y a une photo très connue de Marilyn, allongée nue sur un lit rouge, qui a été refaite des dizaines de fois par des dizaines et probablement centaines d’autres photographes. donc je peux toutes les reproduire ou utiliser (les variantes) sans crainte ? Car avec des critères aussi larges, elles sont toutes du plagiat, non? En fait même celle de Marilyn n’est pas forcement originale, car j’ai vu des images, de Agelou je crois, qui y ressemblent aussi. Et puis, des femmes nues allongées, il y a combien de tableaux de la sorte? Ou même dessinées sur des antiquités grecques ou étrusques (je crois)

    Il me semble que peu importe si l’éclairage est le même, et même la pose (il n’a pas inventé cette pose, pas plus qu’il n’a inventé la lumière – certains prétendent que c’est Dieu qui l’a faite 😉 ). A moins que ce ne soit la même personne (et encore), ça ne peut pas être du plagiat. Si je refaisais exactement la même photo, avec lui tout vieux (à supposer qu’il était en vie), serait-ce un plagiat ou une oeuvre originale? Car pour moi le choix de prendre en photo une personne à un moment donné de sa vie, constitue aussi un choix personnel. Etant donné que tous les autres éléments ne sont pas originaux (vu qu’ils ont été peints, sculptés ou photographiés des milliers de fois au cours de nos 4000 ans d’histoire), il ne reste d’original que la personne qui pose, et le moment ou le photographe décide de faire la photo, non?

    Enfin un dernier point : je me souviens avoir lu une fois que toutes les intrigues (dans leurs grandes lignes, leur schéma) que l’on trouve dans les films et les pièces de théâtre sont des variations d’un nombre limité de thèmes (6 ou 7), que les grecs ont exploré en détail il y a aussi plus de 2000 ans. Des lors, selon ces juges, je devrai pouvoir télécharger ce que je veux, vu qu’aucune histoire n’est vraiment originale et donc non protégeable ?

    Et quid de tous les portraits de face, simples et sobres? Tous des plagiats de la joconde?

    Enfin, un cas pratique : j’ai fait et refait (et je suis pas le seul) des dizaines de fois, la photo de l’ile de la cité depuis le pont des arts. J’en ai même fait un panorama, tiré sur 2m de long, qui rend pas mal. Mais étant donné que Cartier Bresson l’a fait avant moi, et c’est en voyant sa photo que je me suis dit que j’allais la faire, parce que l’endroit ainsi reproduit est beau, c’est du plagiat ? Ou le fait que la mienne soit en couleur et numérique suffit à la rendre originale (ce serait un comble) ? Et si c’est du plagiat, alors que peut-on photographier ? Car même si ce’st la plus connue, je suis certain que HCB n’était pas le premier à la faire. Etant donné qu’un paysage evolue très doucement, est ce que mes photos faites à Auvers sur Oise seront toutes jugées (si elles avaient été dignes de publication) comme étant non originales sous prétexte que Monet et Van Gogh ont peint ces endroits avant moi? Et les photos de nature morte ? Etc

    Il me semble que le raisonnement suivi par ces juges conduit à des situations inextricables, non ? Il y a t il une règle que l’on peut avoir en tête en tant que point de référence ? Par exemple , je fais aussi des photos 360°, pour des tirages à plat, pas que des animations internet. Mais je ne suis pas le premier à faire des photos panoramiques à 360°. E je ne suis certainement pas le premier à faire des photos de ces endroits. Donc elles n’ont plus rien d’original aux yeux de ces juges…

    Ces deux articles m’ont laissé dans le flou total… (embêtant en photo…)
    (j’essaierai d’être plus court à l’avenir 😉 )

  2. Bonjour Joëlle,
    Ce n’est pas la première fois que je passe lire des articles sur votre site, et je me décide enfin à vous adresser des “compliments” sur la variété mais aussi et surtout sur la qualité de vos écrits. De plus, le côté pédagogique est bien réel, tant il est vrai que la terminologie habituelle du droit est hermétique aux profanes.
    Encore merci et, puisque nous sommes encore en Janvier, meilleurs voeux pour 2013

  3. Je suis d’accord avec le long développement de Pablo, comment montrer qu’on est le premier à faire quelquechose. Dans les photos de nus par exemple, beaucoup de choses ont été faites et il suffit d’aller sur les forums pour voir que beaucoup de photos se ressemblent dans la forme ou le fond.
    après on va nous dire qu’un coucher de soleil en bord de mer c’est pas original, etc…

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