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Article invité : “L’oeil du web” par l’auteur du blog LexWeb

Bonjour à tous,

Une fois n’est pas coutume, voici un article rédigé par un autre juriste qui, à sa demande, ne souhaite pas voir son identité complète dévoilée. L’auteur de l’excellent blog “LexWeb”  nous propose en effet une petite synthèse du conflit droit à l’image/droit à l’information ou liberté d’expression artistique.

zoom_profileUne autre façon d’aborder la matière que j’expose souvent ici sous forme de cas concrets, ou que je schématise plus en détails dans mon livre. Notre invité est titulaire d’un master en Droit des Affaires, et est enseignant en droit classique et en droit des nouvelles technologies, aussi bien dans des instituts privés qu’en freelance. Merci à lui pour sa participation et l’intérêt qu’il manifeste à l’égard de ce blog.

Et au vu de l’importance du message, il n’est jamais inutile de multiplier les approches. Merci donc à lui, dont voici le texte :

L’œil du Web

Une image vaut mille mots” disait Confucius. Mais à l’heure des plateformes relationnelles du Web 2.0, une image peut valoir mille maux. Une femme découvrant que son fiancé la trompe grâce à une photographie du Google Maps russe (Yandex Maps), un homme apparaissant sur une photographie de Google Street View alors qu’il était en train d’uriner dans son jardin, ou un autre se faisant licencier après la diffusion sur YouTube d’une vidéo le montrant en train de sauver des enfants de l’attaque d’un requin alors qu’il était en arrêt maladie… voilà autant d’exemples qui prouvent qu’avec l’Internet, le droit à l’image des personnes se trouve bouleversé. Mais ce droit de la personnalité est-il aussi bien protégé sur l’Internet que sur le support papier ?

 

Pour vivre heureux, vivons cachés ! Cet adage semble avoir peu d’adeptes sur Internet puisque la plupart des utilisateurs du réseau prennent des risques avec leur identité en rendant volontairement publiques des informations sur eux-mêmes. Ainsi, 69% des utilisateurs de Flickr et 61% des utilisateurs de Facebook rendent publiques les photos publiées sur leurs comptes, alors qu’il leur est possible de les réserver à un espace privé.

Cependant, que ce soit dans la vie réelle ou au sein de l’environnement numérique, l’image d’une personne ne peut être utilisée librement par un tiers. En effet, l’article 9 du Code civil (Prolongement du droit à la vie privée) et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme permettent de s’opposer à toute fixation et utilisation sans droit, c’est-à-dire sans autorisation, de son image (principalement photographiée ou filmée). Toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée et de son image ((TGI Nanterre, 1re ch., 6 septembre 2012, M. C. c/ Sté Cerise Media)). Une autorisation doit nécessairement être donnée par la personne pour la reproduction de son image. Cependant, une autorisation pour une diffusion papier ne permet pas une reproduction sur le Web ((TGI de Paris, 17ème chambre, 7 juillet 2003)). Toutefois, les personnes ne donnent que très rarement leur autorisation à la diffusion de leur image. Selon une étude menée par la Cnil ((CNIL, Lettre Innovation et Prospective n° 4, mars 2013, Photos et reconnaissance faciale dans la vie numérique : quels usages et quels enjeux pour demain ?)), seuls 44 % des internautes demandent systématiquement l’avis des personnes reconnaissables sur une photographie avant de la publier sur les réseaux sociaux.

En revanche, certaines situations peuvent justifier l’atteinte à la vie privée. Ces situations se présentent dès lors que la photographie est en relation directe avec un événement d’actualité, qu’elle est nécessaire pour les besoins de l’information ((Cass., 1re chambre civile, 20 février 2001)) et que sa publication n’est pas justifiée par la seule recherche du sensationnel. La diffusion sur le Web d’une photo montrant un avocat en robe professionnelle, et ce alors qu’ « aucun motif lié à une exigence légitime d’information du public ne peut justifier cette publication qui concernait non pas un fait d’actualité d’importance mais un litige d’ordre privé » ((CA Versailles, 14e ch., 25 janvier 2012)), constitue une atteinte à son droit à l’image. Dans le même ordre d’idées, la mise en œuvre du droit à l’image sera écartée lorsque la personne n’est pas identifiable. Le caractère non identifiable peut résulter d’une technique de “floutage” ou de pixellisation, ou de l’apposition d’un bandeau sur le visage. Il a ainsi été jugé qu’il y avait absence d’atteinte au droit sur l’image lorsque la personne représentée n’était pas susceptible d’identification du fait de la taille minuscule de l’image, même si celle-ci pouvait être agrandie sur Internet ((Cass. 1re civ., 5 avril 2012)). Le droit à l’image doit céder devant le principe de liberté artistique. Ce principe étant protégé par les articles 11 DDHC de 1789 et 10 Convention EDH. Les juges on eu l’occasion de défendre la liberté artistique au dépend du droit à l’image dans deux affaires ou des photographies de parfait inconnues prises sans leurs autorisations avaient été publiées au sein d’un recueil de photographies, puis avait été reproduite au sein d’une œuvre audiovisuelle consacrée à l’auteur de ce recueil, ((TGI Paris, 2 juin 2004, M. Ben Salah c/ L. Delahaye, Agence Magnum et a et CA Paris, 5 oct. 2007, HK c/ La Martinière)). Cependant dans un arrêt du 5 novembre 2008, la Cour d’Appel de Paris à précisé que le droit à l’image devait céder devant la liberté d’expression artistique ” sauf dans le cas d’une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d’une particulière gravité”.La notion de vie privée et donc de droit à l’image a été définie à travers une abondante jurisprudence, souvent civile, mais dont les solutions peuvent sans difficulté être transposées en droit pénal. Ainsi l’article 226-1 du Code pénal protège l’image et les paroles privées des personnes. Sur ce fondement, un internaute a été condamné à neuf mois d’emprisonnement dont six avec sursis à la suite de la diffusion sur l’Internet d’une vidéo le mettant en scène avec son ex-petite amie. Suite à leur séparation, l’internaute avait décidé de publier ce film dont les images avaient été captées sans l’autorisation de la jeune fille ((T. corr. de Créteil, le 19 janvier 2006)). Par ailleurs de nombreux internautes ne réalisent pas que les photos et vidéos mises en ligne par leur soin peuvent être utilisées contre eux, à une époque où toutes les données transitant par la toile sont préalablement converties en valeurs numériques manipulables par ordinateur. Le montage photo ou vidéo est évidemment dangereux car il peut présenter une personne en un lieu ou en compagnie d’individus avec lesquels elle ne s’est jamais trouvée, ce qui constitue alors un délit sanctionné à l’article 226-8 du Code pénal qui vise les montages réalisés « avec l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention ». Enfin l’article 222-33-3 du Code pénal incrimine la pratique, en plein essor chez les adolescents notamment, du happy slapping, qui consiste à filmer et diffuser, généralement sur Internet, une agression physique, parfois perpétrée avec pour objet principal sa publication.

Cependant la loi se heurte souvent à une difficulté pratique quand il s’agit de sanctionner toute atteinte à l’image : les images circulent sur la toile comme des traînées de poudre et échappent à tout contrôle. C’est pour répondre à cette exigence de rapidité que la loi pour la confiance dans l’économie numérique, a introduit à son article 6,I,8 dit “référé Internet” l’autorisation de recourir au juge des référés pour  prévenir un dommage ou faire cesser toute atteinte en ligne. Le juge des référé peut ordonner l’interdiction de céder ou de diffuser par tout moyen les photographies ((CA Versailles, 14e ch., 5 juin 2013)).

Au final, le droit à l’image sur Internet ne serait-il pas le reflet de nos comportements ? En effet, si 75% des internautes ont conscience des risques d’exposition sur la toile et 43% d’entre eux avouent avoir été gênés par la présence d’une photographie de leur personne sur Internet, ils continuent malgré tout à affirmer leur présence sur le réseau en partageant et diffusant leurs photos et vidéos. Les internautes sont-ils rationnels ? En réalité, ils ont même tendance à pointer du doigt les dispositifs techniques de protection de la vie privée (formulaires des sites, profils des réseaux sociaux, cookies de navigation, etc.). C’est ainsi que de nombreux utilisateurs du réseau se tournent vers des sites tel que Snapchat ou Blink, permettant d’échanger des photos à durée de vie limitée. Une manière pour les internautes de se réapproprier leur vie privée. Reste à savoir cependant si l’on peut faire confiance au Web éphémère. 

LexWeb

10 commentaires sur cet article

  1. Bonjour,
    J’ai eu un peu peur en lisant cet article, que “l’image d’une personne ne peut être utilisée librement par un tiers” …
    Heureusement j’t ai trouvé un peu plus loin ce que j’avais compris en vous lisant, à savoir que ce principe est mis en défaut “dès lors que la photographie est en relation directe avec un événement d’actualité, qu’elle est nécessaire pour les besoins de l’information”, et que la jurisprudence précise que ” le droit à l’image devait céder devant la liberté d’expression artistique sauf dans le cas d’une publication contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d’une particulière gravité » (ajoutons : dans le cas d’une image prise dans un lieu public ?).
    Ouf !
    Je diffuse.
    Concernant les réseaux sociaux, il y a ce paradoxe de publier toutes ces informations personnelles, tout en parlant par ailleurs de droit à l’image, il y a aussi cette idée d’un système totalitaire d’une étendue et d’une profondeur que l’on n’a certainement jamais vue encore dans l’histoire de l’humanité, et plus prosaïquement, pour les auteurs, ces conditions d’utilisation par lesquelles les sociétés “offrant” ces services, s’arrogent des droits illimités et sans contrepartie (heureusement non exclusifs …) sur les oeuvres diffusées sur ces réseaux ou en lien avec ces réseaux.
    Mes chers amis photographes qui diffusent abondamment sur ces réseaux , des images d’une si grandes qualité, comprennent-ils bien ?
    Histoire de rebondir sur le sujet.

  2. Je suis un peu gênée par cet article, à divers titre.

    Ponctuellement, au passage, je relève la déclaration “69% des utilisateurs de Flickr et 61% des utilisateurs de Facebook rendent publiques les photos publiées sur leurs comptes, alors qu’il leur est possible de les réserver à un espace privé”.
    Amalgamer Flickr et Facebook, c’est démontrer une méconnaissance des espaces mentionnés : si Facebook est bien un réseau social, Flickr est une plateforme pour photographes, donc 69% de photos publiques (citez vos sources, comme dirait wikipedia ;)) c’est le moins qu’on puisse y souhaiter.
    C’est un point marginal sur la totalité de l’article, mais une petite erreur peut discréditer l’ensemble.

    Lequel est brouillon, empilant les données et les mentions de textes juridiques sans qu’on voit très bien où l’auteur veut aller, n’ajoutant rien aux informations claires et bien écrites dont l’auteur de ce blog nous régale. Mélangeant les données à des considérations vaguement passéistes et peu originales sur le web et ses dangers.

    Désolée pour votre confrère, Joelle, mais voilà, en comparaison avec vous il ne tient pas la route.

  3. Bonjour,
    Je remercie les fidèles lecteurs de Droit et Photographie pour leurs commentaires positifs. Cependant, je suis tout à fait ouvert aux critiques quand elles sont constructives.
    En ce qui concerne la critique suivante: “si Facebook est bien un réseau social, Flickr est une plateforme pour photographes, donc 69% de photos publiques (citez vos sources, comme dirait wikipedia ;))” Je vous précise que les sources de wikipedia ne sont pas toujours exactes. En effet si vous cherchez sur d’autres sites Internet la qualification de Flickr vous constaterez qu’il s’agit d’un réseau social de photos (je cite des sources journalistiques). Il ne s’agit donc pas d’une méconnaissance des espaces mentionnés.
    Enfin sur la critique: passéistes et peu originales sur le web et ses dangers. Les dangers du web sont actuels sinon la loi aurait certainement changé.
    Il est vrai que cet article d’adresse à des juristes et que les néophytes ne peuvent pas tout saisir. Je les invite à consulter des ouvrages d’introduction au droit qui peuvent certainement leur apporter quelques réponses mais, ne remplaceront certainement pas plusieurs années d’études de droit.

  4. N’en déplaise à certains, j’ai trouvé cet article très intéressant et comme toujours avec LexWeb, il y a de précieuses références. Peut être que la mise en page n’avantage pas ‘L’œil du Web”.

    Céline

  5. Très bon cet article. Le droit à l’image est souvent bafoué sur le web est pourtant il existe des normes juridiques. C’est toujours bon de le rappeler 🙂

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