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Critères d’évaluation du préjudice – Encore..

Bonjour

L’article d’aujourd’hui est une nouvelle fois consacré à l’indemnisation du préjudice en cas de contrefaçon, et fais suite aux articles publiés il y a peu à ce sujet.

Les faits

Une photographe italienne exposant ses œuvres un peu partout en Europe avait réalisé, sur commande passée par un important client, une photographie ayant servi à une campagne de publicité de ce client.

Cette photographie était une adaptation de la Cène, représentant un groupe de 6 jeunes femmes et un 1 jeune homme dans les mêmes positions que celles des personnages de l’œuvre de Léonard De Vinci. Cette photo avait déjà défrayé la chronique, ayant fait l’objet d’une procédure en référé à l’initiative d’associations catholiques qui avaient souhaité en voir interdire la diffusion. La photo n’était donc pas neutre, et faisait en elle-même parler d’elle.

Par la suite, une Association Loi 1901 dont l’objet était de promouvoir les Puces dans la Région parisienne et avait utilisé cette photographie (en s’adressant  au client pour lequel la photographe avait réalisé la première commande) pour créer son propre visuel, ce qui n’avait bien entendu pas été du goût de la photographe.   Elle avait donc mis l’Association en demeure de cesser toute utilisation de la photographie et de l’indemniser à concurrence des montants qu’elle fixait, avant de l’assigner, aucune solution amiable n’ayant pu être dégagée.  Le 1er client était intervenu volontairement à la procédure.

Le jugement

. Les demandes de la photographe

Au titre de ses préjudices, elle sollicitait les condamnations suivantes :
. qu’interdiction soit faite aux défendeurs de procéder à toute nouvelle utilisation du visuel, et qu’ils soient condamnés à démontrer avoir cessé toutes les utilisations passées (en ce compris sur le site internet de l’Association), condamnation assortie d’une astreinte
. que soit ordonnée la confiscation et la destruction des visuels commerciaux et publicitaires représentant la photo litigieuse
. une condamnation de 30.000 € au titre de son préjudice moral, et de 35.000 € au titre du volet patrimonial de son droit d’auteur
. ainsi que la condamnation à une publication judiciaire, à différents endroits, y   compris la page d’accueil du site de l’Association

. Le raisonnement du TGI

Un débat s’en était suivi quant à l’originalité de l’oeuvre, débat qui n’est pas le sujet de l’article d’aujourd’hui, mais qui fut donc tranché par le Tribunal en faveur de la photographe, le Tribunal considérant qu’elle avait imprimé au visuel l’empreinte de sa personnalité. Par contre, l’intervention du client d’origine (ici défendeur) était telle que le Tribunal considéra qu’il s’agissait d’une œuvre collective, la plaignante devant donc être considérée comme l’une des auteurs de l’œuvre, au même titre que le premier client à qui elle avait livré le visuel.

Sur cette base, le Tribunal de Grande Instance de Paris, au terme d’une procédure de plus de 2 ans 1/2, considéra (TGI Paris, 3ème ch., 3ème section, 4/5/2012, RG 10/00083) :

. que la plaignante, “si elle n’est pas titulaire de droits sur l’œuvre prise dans son   ensemble, est néanmoins titulaire de droits tant patrimoniaux que moral sur sa contribution, qui est caractérisée par son intervention dans la mise en place des      personnages, et par son travail sur la lumière. Dans la mesure où elle n’avait cédé ses      droits que pour une durée d’un an pour “tous prints” et internet par contrat du 28         octobre 2004, elle demeure titulaire de ses droits patrimoniaux. Quant au droit moral,         celui-ci est inaliénable. /…/”

. en examinant le visuel diffusé par l’Association et la photo d’origine, le Tribunal conclut qu’il s’agit d’une œuvre composite, l’Association ayant ajouté de nouveaux éléments à l’œuvre d’origine.

Or, et comme le prévoit l’article L113-4 du CPI, l’œuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, mais seulement sous réserve des droits de l’œuvre préexistante. En l’espèce, “si (la plaignante) n’est pas propriétaire de l’œuvre collective préexistante et ne dispose pas de droit sur celle-ci prise dans son ensemble, elle est néanmoins titulaire de droit sur sa contribution personnelle à cette œuvre“.  Dès lors que l’Association a utilisé celle-ci sans autorisation de la photographe, le Tribunal reconnaît donc l’existence d’une contrefaçon au sens de l’article L122-4 du CPI qui interdit “toute représentation intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur”.

. quant aux reproches faits par la demanderesse le TGI aborde tout d’abord le droit moral.
La plaignante invoquait d’une violation de son droit de divulgation de l’œuvre, ainsi que de son droit de paternité (pour ce dernier, du fait de l’absence de mention de son nom)  et enfin une atteinte à l’intégrité de l’œuvre.

Le TGI a écarté les deux premières demandes :

. la divulgation de l’œuvre avait déjà eu lieu lors de la livraison au premier client et de la cession de droits faite à celui-ci pour un an, l’œuvre ayant été ensuite utilisée pour la campagne de communication prévue

. l’initiateur d’une œuvre collective (ici le client d’origine) est titulaire d’un droit moral     et donc d’un droit de paternité qui l est propre sur l’œuvre collective prise dans son         ensemble, “il n’est tenu de mentionner le rôle créateur du contributeur que si celui-ci         en formule la demande“. Or, en l’espèce la photographe n’avait pas formulé une telle        demande, et mieux encore, ne s’était pas opposée à la diffusion de son visuel sans            mention de son nom dans le cadre de la campagne de pub du premier annonceur.

Mais il accueille la demande relative au droit à l’intégrité de l’œuvre, en notant que la contribution de la plaignante “a été dénaturée par les modifications qui ont été faites pour réaliser le visuel litigieux, notamment par l’amoncellement d’objets qui recouvrent les personnages, les aplats de couleurs vives et la délimitation de certains contours au crayon blanc qui confèrent à l’œuvre un aspect “street art”. Ces éléments enlèvent au positionnement des personnages son sens initial, et fait disparaître l’effet lumineux créé sur leurs peaux qui contribuait à leur donner un caractère sacré. Par ailleurs, le contributions de la demanderesse sont utilisées dans un contexte très différent du message artistique de la photographie initiale, qui avait une facture classique et dans laquelle la référence au religieux et le caractère provocateur étaient clairement apparents.  Il y a lieu de considérer en conséquence que le visuel litigieux, qui a été réalisé sans le consentement de la demanderesse, porte atteinte à l’intégrité et au respect dus à sa contribution.”

Au moment d’évaluer le préjudice, le tribunal relève que :

“L’article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que pour fixer les dommages et intérêts, le juge prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte. Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte.”

Le Tribunal détaille alors les utilisations qui ont été faites de l’image pour un événement qui se tenait de façon ponctuelle et une atteinte aux droits pendant 15 jours environ :

. des invitations cartonnées en 50.000 exemplaires
. des affichettes en 3.000 exemplaires
. affichage Internet,

La plaignante sollicitait une somme de 20.900 € soit le montant auquel elle avait cédé ses droits dans le cadre du premier contrat avec le client d’origine, tout en prenant en considération que sa renommée (et donc sa cote) avaient augmenté depuis cette commande initiale.

Le Tribunal tranche en relevant qu’il est vrai que la photographie dont elle est auteur contributeur est devenue célèbre depuis sa création. Toutefois, la somme contractuelle évoquée portait sur une cession pendant une durée d’un an alors que l’atteinte en cause a duré environ 15 jours”.

Au final, l’Association ainsi que le Client initial sont condamnés in solidum au paiement des montants suivants :

. la somme de 2.000 € au titre de la violation de son droit patrimonial
. la somme de 10.000 € au titre de la violation de son droit moral au respect de    l’intégrité de l’œuvre
.une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure, augmentée
. le Client initial est en outre condamné à garantir l’Association, de telle sorte qu’au final c’est lui qui supporte la charge de cette condamnation et le jugement est déclaré exécutoire par provision, ce qui signifie que même en cas d’appel, il pourra être exécuté.

Je n’ai pas connaissance qu’un appel ait été interjeté, mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas le cas.

Qu’en retenir ?

J’aurai l’occasion de revenir sur cet aspect des œuvres collectives, et sur la mention faite par le Tribunal quant au droit de paternité sur ce type d’œuvre.

Parallèlement à cela, il est rappelé – et c’est appréciable – que les dommages et intérêts alloués ne peuvent pas être inférieurs à ce qui aurait été dû si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser l’œuvre… en d’autres termes, un contrefacteur ne peut pas s’en tirer à moindre coût que s’il avait acquis valablement les droits d’utilisation ….

Cela semble un minimum – et c’est surtout inscrit dans la loi ! – , mais les juridictions qui le rappellent sont suffisamment rares pour que je le souligne.  Plus rares encore, les juridictions qui,  outre le rappel de la loi,  l’appliquent réellement !  Du moins au vu des montants souvent dérisoires accordés au titre des dommages et intérêts.

Enfin, le Tribunal doit bien sûr apprécier suivant les circonstances de chaque affaire. Ici, la durée de l’atteinte (communication autour d’une manifestation ponctuelle, et pendant une durée de 15 jours environ) ont abouti à diminuer considérablement les demandes de la plaignante, qui se basait quant à elle sur la valeur d’une cession de droits pour une durée d’un an.

Bonne journée et semaine à tous

 

Joëlle Verbrugge

 

 

 

 

 

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