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De l’importance du post-traitement

Bonjour à tous

L’article d’aujourd’hui traite d’une question que l’on me pose souvent, et qui pourrait être résumée comme suit : “Afin de convaincre un tribunal de l’originalité d’une photo, les différents traitements que nous lui appliquons au moment de la post-production sont-ils un argument suffisant ? “

JV - SPB - Boxe Thai - 519

Ainsi, cette photo serait-elle protégeable au titre du droit d’auteur, dans l’esprit d’un magistrat? J’ai appliqué un effet n&b, intensifié même les couleurs, et recadré en carré. Puis-je invoquer ces interventions pour conforter l’existence d’une empreinte personnelle laissée à l’oeuvre dans l’état actuel de la jurisprudence ?

Et vous verrez ci-dessous que si j’ai choisi cette photo pour l’illustration, cela n’est pas par hasard. Il s’agit d’une des miennes, mais l’affaire que nous évoquons aujourd’hui concernait également une photo de boxe, elle-aussi passée en n&b par son auteur, qui s’était trouvé lui aussi au pied du ring.

Les faits

En 2005, un photographe spécialisé en photo sportive prend une photo lors d’un tournoi de boxe “pieds-poings”. L’un des boxeurs figurant sur la photo avait ensuite utilisé – sans autorisation – ladite photographie pour en faire un logo  pour l’association à laquelle il appartenait, ce logo ayant été utilisé sur le site Internet de l’association, sur des affiches, sur une vidéo et sur des tee-shirts et sweat-shirts. Il faut toutefois préciser que le logo ne reprenait pas la photo telle qu’elle se présentait, mais l’adaptait pour ne montrer que des silhouettes et accentuer, semble-t-il, l’attaque du pied en direction du visage. Je n’ai toutefois pas vu ni la photo ni le logo, et ne peux me baser que sur les maigres éléments du jugement.

Le photographe avait alors tenté une négociation, mais qui n’avait pas abouti, de telle sorte qu’il avait alors assigné à la fois le boxeur lui-même et l’association en question aux fins d’une part d’obtenir une condamnation financière compensant la violation de ses droits d’auteur, et d’autre part de faire interdire toute nouvelle utilisation du logo réalisé à partir de sa photo, ainsi que la publication du jugement à intervenir.

Le jugement (TGI Paris, 8/11/2013, RG 11/13120)

Sur l’originalité, qui fut nécessairement abordée dans les arguments des parties, le Tribunal “constate en effet qu’au stade de la phase préparatoire, le photographe bien que placé au pied du ring, a choisi son emplacement autour de l’enceinte et donc l’angle de prise de vue, qu’il a fait le choix d’un appareil argentique et qu’il a choisi une focale et une ouverture du diaphragme afin d’obtenir un cliché net. Lors de la prise de vue, il a attendu pour déclencher l’appareil, l’instant où l’un des boxeurs attaque jambe tendue, le pied en direction du visage de son adversaire, lequel est en position de recul. Le choix de cet instant précis est avéré, au vu des négatifs, qui démontrent que (le demandeur) n’a pas travaillé en rafale.

En outre, la combinaison du choix du cadrage, de la luminosité, de la contre-plongée et de l’inclinaison de l’appareil met l’accent sur l’attaquant qui domine visuellement son adversaire, ce qui démontre un effort personnel de création du photographe.

Enfin, lors du tirage du cliché, (le demandeur) a choisi de recadrer la photographie qui est versée en original au débat, afin d’en accentuer le caractère penché et d’insister sur l’impression dominante (du défendeur) qui surplombe l’autre boxeur). Il a également fait le choix de procéder à un tirage en noir et blanc afin d’obtenir une luminosité et des reliefs expressifs sur les corps et les visages et a réalisé un tirage très contrasté pour faire disparaître des éléments d’arrière plan.

A travers ces différents choix, la photographie litigieuse est bien une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par ses choix libres et créatifs lors de la réalisation de cette photographie, qui ne se limite donc pas à une simple prestation technique.
Il s’ensuit qu’elle doit être protégée par le droit d’auteur.”

La photo étant protégeable, le Tribunal passe ensuite à la question de la contrefaçon. Il décrit le logo réalisé de la façon suivante : Il ressort du PV (d’huissier) que le logo figuratif (de l’association) reproduit deux silhouettes pleines de boxeurs en plein combat, l’un avec le pied qui s’avance vers le visage de son adversaire, l’autre bien campé sur ses pieds dans une position de garde.
Il résulte des pièces versées au débat, et notamment des extraits de journaux, que cette action d’attaque est classique en kick-boxing. Or, la reprise de ce seul élément, sur lequel le photographe n’a opéré aucun choix artistique à l’exclusion de toute autre caractéristique tenant aux choix du photographe lors de la phase préparatoire, de la prise de vue ou du tirage, confère au logo un effet esthétique qui se distingue nettement de la photographie.

Par conséquent, les silhouettes de boxeurs reprises dans le logo ne sont pas des éléments protégés au titre du droit d’auteur et (le photographe) doit être débouté de son action en contrefaçon”.

Qu’en penser ?

En l’espèce, et dans la première partie du jugement, c’est l’ensemble du travail du photographe qui a convaincu le Tribunal d’être face à une oeuvre protégeable. Le post-traitement et notamment le choix du noir & blanc en faisaient partie, mais les choix opérés au moment de déclencher ont également été pris en compte.

La situation se corse toutefois puisque ce n’est pas l’ensemble de la photo qui a été reprise, telle qu’elle se présentait, mais une “adaptation” présentée sous forme de “silhouettes pleines” mettant en exergue surtout l’attaque du pied. Je n’ai vu la photo d’origine ni le logo litigieux, mais on aurait pu aussi imaginer que le Tribunal, retenant la protection pour la photo, déduise de l’adaptation qu’une atteinte avait été faite à l’intégrité de l’oeuvre, du fait de l’adaptation non autorisée.

Difficile de me faire une opinion sans avoir vu les visuels concernés.

Mais la contradiction entre la première partie et la seconde partie du jugement peuvent étonner.

Par ailleurs, je ne peux que regretter par contre cette mention quant aux prises de vue en rafale…  comment faire admettre à un magistrat que même une rafale n’exclut pas d’une part un tri postérieur, et d’autre part un apport créatif sur le post-traitement ? Ce qui, ici, semble implicitement exclu par le libellé du jugement.

Notons également que ce jugement est intéressant dans le cadre du conflit fréquent qui oppose le sujet d’une photo (ici le boxeur) qui fait usage de celle-ci, et l’auteur de la photo qui s’oppose à cet usage au nom de son droit d’auteur. Il arrive en effet fréquemment (voir ce que j’indique souvent pour les artistes de scène) qu’à ce moment, le sujet excipe de son droit à l’image pour contrer l’action du photographe. Le débat n’a toutefois pas été abordé ici, ou du moins n’est-il pas évoqué dans le jugement.

Quant aux photographes, ils ont donc intérêt, à en croire le jugement, à ce qu’une photo contrefaite l’ait été dans sa totalité….

…. et ce nonobstant le Code qui prévoit, rappelons-le, que “L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre” (Art. L121-1 alinéa 1er du CPI). C’est ce que l’on nomme le “droit (moral) au respect de l’intégrité de l’oeuvre”.

Par contre, il est tout aussi évident qu’aucun photographe n’inventera de posture de boxe, par nature inhérente au sport lui-même. Délicat équilibre..

Joëlle Verbrugge

 

7 commentaires sur cet article

  1. En même temps, tout le monde passe son temps à “s’inspirer” de visuels tierces. Il me paraît quand-même difficile d’attaquer à chaque fois qu’une photo (ou autre illustration, mais c’est évidemment flagrant en photo) ressemble un peu trop à une photo qu’on aurait prise, non?
    À cet égard, je comprends le point de vue du juge.
    Et ça devient encore pire, aujourd’hui, avec les post-productions originales qui sont sans cesse (essayées d’être) copiées avec, pour résultat, des photos identiques (quant au sujet) qui essayent en plus de se ressembler visuellement!!!

    1. Effectivement, quelle création est absolument originale ? Il faut laisser un certain droit à la ré-interprétation d’œuvres existantes, que ce soit en photographie (plus largement en imagerie), en musique, en architecture, en écriture…

      Je pense également que c’est ce principe qu’a défendu le juge.

      Il n’empêche que l’auteur de la photographie originale aurait pu voir son crédit mentionné, a minima, et sans même passer par le tribunal. Je trouve d’ailleurs dommage que le juge n’ait pas jugé bon d’imposer cela, même sans compensation financière, par respect pour le travail de chacun.

  2. La différence entre l’analyse de l’image et le jugement est étonnant….

    Dans le jugement, est ce que le boxeur reconnait avoir utilisé la photo afin de créer le logo ? Si oui ca serait d’autant plus étonnant, si non, le juge a peut etre considéré que le logo était une nouvelle oeuvre.

    Je suis en train de lire “droit à l’image” et j’espere y trouver la réponse/limite à la question création d’une oeuvre à partir d’une oeuvre existante

    1. Le boxeur reconnaissait bien avoir utilisé la photo du photographe plaignant oui, là-dessus il n’y avait pas de discussion..

      Par contre “Droit à l’image” parle de .. droit à l’image.. et non de droit d’auteur… dont vous ne trouverez pas de développements relatifs au droit d’auteur dans cet ouvrage, sauf dans la stricte limite où le droit d’un auteur d’une oeuvre représentée sur une photo peut être en concurrence avec le droit du photographe de diffuser cette même photographie, comme vous le verrez..

      Ne pas confondre, donc, droit à l’image et droit d’auteur. A cet égard les développements contenus dans l’introduction du livre doivent vous éclairer.

    2. J’avais deja droit d’auteur 😉 Je ne suis pas pro, donc je suis peut etre passé rapidement dessus dans “le droit d’auteur”.

      Ma question était plutot ai je le droit de faire une image d’une chose protégée par le droit d’auteur. Et si oui dans quelles limites.

  3. Le juge reste me semble-t-il dans la même logique. C’est le post-traitement, réalisé cette fois par le graphiste, qui confère au logo son caractère d’originalité.

    En ce qui concerne le respect de l’intégrité de l’oeuvre le juge, pour justifier de sa protection par le droit d’auteur, ne la considère pas comme un tout , mais comme la somme de différents éléments qu’il va trier pour séparer ce qui serait original de ce qui ne le serait pas. Un petit peu comme si l’on disait que le sourire de la Joconde était original, mais pas ses yeux.

    J’ai le sentiment que les juges, pour caractériser l’originalité des œuvres photographiques, s’écartent de plus en plus de la logique du droit d’auteur en matière d’œuvres de l’esprit et entrent dans la logique du droit des dessins et modèles. C’est un domaine que je ne connais pas, mais il me semble que dans le cas de la copie présumée d’une robe par exemple, le juge va lister les ressemblances et les différences.

  4. Ce jugement laisse supposer que le post traitement définit aussi bien une oeuvre originale que la prise de vue et les décisions du photographe à ce moment là.
    Dont acte.
    Mais pourquoi le sportif a t il pris justement cette photo et pas une autre ?
    Aurait il pu choisir une autre photo avec le même résultat en terme de force de communication ?
    Ce sont des questions que les juges semblent éviter de se poser.
    Enfin la volonté supposée de ne pas payer la photo n’apparait pas dans le jugement. Là non plus les juges ne peuvent pas être dupes mais évitent apparemment d’aborder la question.

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