EIRL et photographe : qu’en est-il ?
Publié le 16 juin 2010
Bonjour
Quelques mots sur un futur nouveau statut/régime fiscal qui entrera en vigueur le 1er janvier 2011
(A l’heure où cet article est transféré sur le nouveau blog, la seconde édition du livre “Vendre ses photos”, sortie en octobre 2011 a plus longuement détaillé cette matière. Si vous êtes intéressé par le sujet, je vous suggère de prendre connaissance de la version actualisée dans le livre).
– De quoi s’agit-il ??
Vous avez peut-être entendu parler au début de l’année 2010 d’un projet de loi visant à instaurer un nouveau “statut” nommé :
ENTREPRISE INDIVIDUELLE A RESPONSABILITE LIMITEE (EIRL)
Ce projet a début sur une loi n°2010-658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, publiée au J.O. aujourd’hui et qui m’amène donc à me pencher un peu sur ce sujet.
L’idée tout à fait louable et qui aurait dû être mise en oeuvre depuis longtemps, est de permettre à un professionnel qui exerce en nom propre (et donc PAS dans le cadre d’une société à responsabilité) de créer une scission dans le patrimoine personnel de ce professionnel qui au moment de son inscription devra déclarer ceux de ses biens qui seront affectés à son activité professionnelle, de façon à les distinguer du patrimoine personnel.
Ainsi, dans l’esprit de ce projet de loi, ce professionnel, en cas de faillite, ne pourra faire l’objet de saisies que sur le patrimoine PROFESSIONNEL. A l’inverse, est-il précisé, les créanciers personnels de l’entrepreneur ne pourront pas toucher aux biens professionnels.
Cela revient donc à créer, sur la tête d’une seule et même personne physique, deux masses patrimoniales distinctes, pour calquer ce régime sur celui des sociétés à responsabilité limitées qui offrent bien sûr la même protection, mais au prix d’une comptabilité plus lourde, de la nécessité de rédiger des statuts, etc…
L’idée est louable, intéressante bien sûr, mais reste à voir dans quelle mesure elle pourra s’appliquer aux photographes, et dans quel cadre elle sera, en pratique, mise en oeuvre par le législateur (en ce compris les arrêtés éventuels d’application), avant de foncer tête baissée dans ce Nième régime fiscal qui pourrait encore sérieusement compliquer les choses dans l’esprit des photographes (et autres professionnels) en mal de critères de choix pour s’établir…
Pour me faire une idée, je me suis donc plongée tant dans le texte de loi que dans la transcription des débats parlementaires sur le sujet.
– Ce nouveau régime fiscal sera-t-il ouvert aux photographes ??
Un site officiel a d’ores et déjà été créé.
L’exposé du constat de la situation actuelle, “catégorise” les actuels entrepreneurs indépendants (“entrepreneur” étant bien sûr à entendre au sens très large, et visant toute activité professionnelle exercée en qualité d’indépendant) de façon très schématique de la façon suivante :
. agriculteurs
. artistes/auteurs
. artisans
. commerçants
. professions libérales
La mention des artistes/auteurs parmi les entrepreneurs indépendants est bien entendu incontournable, mais cela ne signifie pas pour autant que le régime fiscal envisagé sera également applicable pour les auteurs-photographes (et s’il l’est, sera-t-il à conseiller ?).
Pour les artisans par contre il semble envisageable, sauf à examiner bien sûr les implications qu’il a au niveau de la tenue de la comptabilité etc…
Voyons donc cela plus en détails.
– L’étude du texte de la loi et des débats parlementaires
Après indiqué que l’affectatin d’un bien par le professionnel à son activité professionnelle devrait se faire au moment de son inscription, et faire l’objet d’une déclaration déposée soit au registre de publicité légale dont il dépend, soit au “registre tenu au greffe du tribunal statuant en matière commerciale“, et devrait comporter, lorsqu’un immeuble en fait partie, un acte notarié pour tout ou partie de cet immeuble en fonction de la partie affectée à l’activité professionnelle, la loi indique que l’irrespect de ces formalités entrainerait l’inopposabilité de cette affectation aux créanciers de l’entrepreneur.
Je vous fais grâce des détails sur les justifications à apporter (notamment évaluation de certains biens par un commissaires aux comptes, un expert-comptable, etc… (mesure tout à fait logique par ailleurs dans l’esprit de la loi)).
La loi fait ensuite mention des obligations comptables de l’EIRL (notamment le dépôt annuel de sa comptabilité au même endroit que là où il a préalablement déposé sa déclaration d’affectation. Il est fait mention tant des “comptes annuels” (ce qui pourrait donc faire référence au régime de déclaration contrôlée) qu’aux “obligations comptables simplifiées” (visant donc les régimes de micro ou auto-entrepreneur).
En d’autres termes, et si je reprends la distinction que je faisais dans un précédent article entre d’une part le STATUT et d’autre part le REGIME fiscal, le législateur vient donc de créer une sorte de notion hybride et à mi-chemin entre les deux stades du raisonnement que j’essayais d’expliquer et de clarifier, puisque le nouveau “statut” permettrait ensuite le choix entre SOIT une comptabilité avec déclaration contrôlée, soit une forme “simplifiée”… mais que cela ne supprimerait pas, en amont, le choix nécessaire du photographe entre un statut d’auteur et un statut d’artisan…
Pour ma part, je ne m’étonnerai donc plus que les choses soient de plus en plus floues dans l’esprit des photographes, et il deviendra un jour difficile d’expliquer tout cela en des termes plus clairs…
Mais qu’en est-il à présent de l’application de ce “statut/régime” aux photographes ?
– Est-il applicable aux photographes ?
1) Les artisans photographes
L’ensemble du régime étant calqué sur celui d’une SARL (ou d’une EURL), rien ne s’oppose à mon sens à ce qu’un artisan-photographe en fasse-choix.
Il aura à étudier de près la question des obligations au niveau comptables, tant pendant la durée de son activité que dès le moment de son inscription, mais pourquoi pas, s’il a suffisamment de biens professionnels à protéger de ses éventuels créanciers personnels, ou inversément.
2) Les auteurs-photographes
A ce niveau, la réponse me paraît par contre devoir être négative.
Différents éléments doivent en effet être mis en avant :
. au moment de l’INSCRIPTION du professionnel, il faudrait que la déclaration d’affectation soit faite au …. Tribunal de COMMERCE ! .. détail qui certes pourrait n’être que de pure forme, mais heurte à mon sens sévèrement les principes selon lesquels l’auteur n’a PAS un statut de commerçant
. ensuite, annuellement, il faudrait que ce même auteur dépose sa comptabilité au même greffe du Tribunal de commerce…
. l’ensemble du statut et des obligations prévues par la loi sont en outre calqués sur la société à responsabilité limitée, de telle sorte que “l’atmosphère générale” est clairement celle d’une activité commerciale
Au titre de résumé des formalités d’inscription, le site officiel précise en outre :
“Les formalités de création de votre entreprise seront réduites au minimum. Il suffira de demander votre immatriculation, en tant que personne physique, auprès du centre de formalités des entreprises situé :
* à la chambre de commerce et d’industrie pour les commerçants,
* à la chambre de métiers et de l’artisanat pour les artisans,
* au greffe du tribunal de commerce pour les agents commerciaux,
* à l’Urssaf pour les professions libérales.
La notion de “formalités réduites au minimum” reste déjà fort relative eu égard à l’obligation de faire établir des évaluations par comptables, notaires etc.. du patrimoine affecté (obligation je le rappelle tout à fait logique, mais lourde et sans doute onéreuse), mais surtout, cette présentation résumée ne détaille pas à quel endroit les auteurs/artistes devraient, quant à eux, effectuer leur dépôt. Et sauf à considérer un auteur-photographe comme une profession libérale et à l’envoyer donc faire sa déclaration.. à l’URSSAF (que le but de notre statut est précisément d’éviter !), je vois mal à quel titre on pourrait soutenir que ce statut est applicable aux auteurs-photographes (et autres statuts d’artistes).
L’examen de la loi ne révèle pas qu’il ait été tenu compte de ces mêmes auteurs/artistes… je ne vois aucune mention à leur sujet, pas plus que dans les débats parlementaires.
Les références constantes au Code de commerce et au Tribunal de commerce font à mon sens sortir les auteurs du champ d’application de cette loi.
Pour toutes ces raisons, il me semble que même à supposer même qu’on confirme quelque part que ce statut est ouvert aux auteurs (ce qui reste à démontrer !), il serait dangereux d’y mettre un pied, sauf à perdre, à terme, notre spécificité d’artistes et de nous faire tout simplement “phagocyter” par une série d’obligations tout à fait commerciales… dans ce cas alors, plus de distinction nécessaire entre auteur et artisan.. certes cela facilitera mes explications, mais je ne suis pas sûre que cela soit dans l’intérêt des auteurs…
Tout ceci n’est encore qu’une première approche, le texte est tout récent et bien sûr pas encore d’application… mais il me semblait utile de fournir déjà quelques éléments à la lecture de ce qu’il prévoit.
Affaire à suivre là-aussi.
Joëlle Verbrugge
Commentaire posté par Maltese le 16/6/2010
Merci Joelle de cette premiere analyse.. Voila qui est fort interressant pour la protection des biens des artisans ! J’en faisais la remarque le mois dernier aupres d’un elu.. Cette proposition de loi ayant été annoncé par notre President en debut d’anneé, (lors du debat TV entre Mr Sarkozy et des invités.)depuis nous n’avions plus de nouvelles. Le texte est sorti ! C’est une avancée a souligner..
Mais… qu’en est il pour ceux deja etabli ? Quel cout ? car ce enieme statut ne se substitue pas automatiquement au statut des societés en nom propre ? soit donc demarches, recreation de societé… Quel dommage ! Il aurait eté preferable un avenant, (ou je ne sais quoi…)
Quand à la palette de statuts proposés, ( un de + !! ) je suis de meme tres inquiete..
A quand un statut unique pour les photographes !
Outre que cela entraine des clivages au sein meme de la profession, des problemes pour parler a l’unisson, des differences de fiscalités comme tu le soulignes…des impossibilités de repondre a telles ou telles demandes d’un client.. Un luxe un comble de nos jours !
Comment les jeunes peuvent s’y retrouver, c’est comme si un maçon avait differents statuts selon ce qu’il construit : une piscine, une maison ou un garage..
Vraiment, je ne comprends pas qu’on aille ainsi droit dans le mur ! A force de compliquer, diviser, plus personne ne deviendra photographe professionnel.
Une modernisation est a envisager, sans cela. Il devient dangereux de mettre les pieds partout, les statuts etant tout simplement inadaptés à notre profession.
Bien a toi
Merci
Nadine Maltese
Le statut ne se substituera sûrement pas à ceux en place
Mieux encore, de longues discussions ont eu lieu (et auront encore lieu) sur le sort des créances déjà existantes au moment où un “entrepreneur” veut adopter le statut.. dans l’urgence je n’ai pas pu approfondir cette question, mais il y a évidemment un écueil possible : que des indépendants fassent choix de cette structure pour éventuellement organiser une insolvabilité (actuelle ou future)… bref donc, je crois qu’on n’a pas fini d’entendre parler du statut ainsi créé.
En outre la loi prévoit la possibilité, à partir de 2013, de prévoir plusieurs affectations, donc à croire le texte de la loi (mais il n’est pas clair) éventuellement la possibilité de 3 masses ou plus pour un seul individu.. là ça frôle l’hérésie à mon sens, et en tout cas vive les complications…
Wait & see donc..
Joëlle
Commentaire laissé par Jérome Durenne le 16/6/2010
Bonsoir Joëlle,
merci pour cette excellente analyse !
Encore une fois je suis persuadé du bien fondé de mon assiduité à votre blog.
C’est une mine d’informations énorme que beaucoup de photographes devraient parcourir plus souvent.
Merci encore.
Cordialement.
J.Durenne
.. puissent-ils vous entendre ;-)))
😉
Réponse laissée par Maltese le 16/6/2010
On y travaille, on relait 🙂 Merci pour ce que tu nous offres Joelle, si gentiment.
En ce qui concerne une organisation d’insolvabilité, en effet une breche est ouverte…Mais comme l’expliquait un agriculteur sur le plateau TV, avoir travaillé toute sa vie et voir partir sa maison, (parfois a cause d’associés peu scrupuleux) est insoutenable..
De meme, hesiter a acheter alors que la famille s’est aggrandie..des banquiers frileux des lors que vous annoncez votre statut ou profession… Il va y avoir des derives, c’est sur.. on a pas fini d’en parler….
mais un bien pour la protection d’un patrimoine, ce qui aujourd’hui constitue un poids levé aux artisans. On ne finira pas SDF.
Merci,
Amitiés
Nadine
Oui tout à fait pour les investissements familiaux.. maintenant, ne pas perdre de vue non plus que les banquiers pourraient éventuellement continuer à exiger des sûretés personnelles, certains débats parlementaires évoquaient la question..
Faudra donc voir en pratique comment ça s’organise et comment c’est géré par tous les intervenants.. je reste un peu dubitative, mais bon, peut-être suis-je aussi trop “prudente”/”négative”.. va savoir 😉
Merci pour le relai des infos 😉
Réponse laissée par Maltese le 16/6/2010
Si les banquiers continuent a demander des garanties sur biens personnels…Retour a la case zero… En effet, crise financiere et immo oblige, les banquiers sont plus que jamais prudents, ils analysent de pres les dossiers.. Adieu le credit pour le d3+600+400 +…..la maison… Rires !!! ah dommage, c’etait beau de rever quelques heures.
Il est de mise de rester dubitative/negative/realiste ?oh oui ! de meme, que nous annonce 2011 🙂
un enieme statut dont on n’a du mal a definir les contours et bases d’applications ” à son premier jour, un nouveau statut unique ? : “auteur-photographe” ? mystere..
Deluge à Marseille ! On dit “mariage pluvieux, mariage heureux”… allez souhaitons bon vent à ce nouveau texte, reunissant peut etre le monde de la Photographie.. 🙂
merci de tes avis et conseils
amitiés
Nadine
Bah, ne soyons pas non plus négatifs/ves… il faudra surtout voir à l’usage comment ça se mettra en place.
Là ce n’est qu’une première analyse sans le moindre recul… le reste dépendra des éventuels arrêtés d’application et, peu à peu, de la jurisprudence en cas de conflit.
Commentaire laissé par Pierre Mairé le 17/6/2010
Merci pour la qualité et la clarté des articles de ce blog : c’est un vrai plaisir.
ah tiens, qui voilà..
Merci, et ravie que le blog te plaise..
J’espère que les photos aériennes marchent toujours bien ;-))) Bon vols et continue ce genre de saines lectures 😉
Commentaire laissé par Olivier le 18/6/2010
Bonjour,
Merci pour votre travail très précis, pour tous ces articles très intéressants et mines d’informations inestimables.
En attendant une éventuelle évolution du statut de photographe, il est déjà possible pour un auteur-photographe de protéger son patrimoine privé en réalisant un acte notarié (coût +/-600 €) de “déclaration d’insaisissabilité de sa résidence principale”. En cas de dettes professionnelles non honorées, les créanciers ne pourront plus se “servir” sur le patrimoine privé mais uniquement sur les biens professionnels. C’est déjà cela et je pense une sage précaution à envisager.
Bonjour.
Oui en effet, mais sans perdre de vue que la déclaration faite chez le notaire ne concerne qu’un bien précis.. même si vous changez ensuite de maison il faut refaire la démarche pour le bien suivant, et surtout ne concerna que l’immeuble.. et pour autant qu’il serve de précidence familiale et principale.
Mais il est exact que cela peut déjà être une protection utile dans l’immédiat, merci de le rappeler.
Joëlle Verbrugge
Commentaire laissé par eirl le 2/7/2010
Pour vous rassurer, le dispositif de l’EIRL n’est pas ouvert aux auteurs mais seulement aux entreprises individuelles indépendamment de leur forme : entreprise individuelle classique mais aussi micro-entreprise et auto-entrepreneur.
Bonsoir
Je ne sais pas si ça me “rassure” mais ça confirme en effet mon analyse.
Joëlle Verbrugge
Commentaire laissé par Olivier Darmont le 6/8/2010
Merci pour l’ensemble de ces informations qui me sont très utiles. Je consulte également le site
http://planete-entrepreneur-individuel.fr/
qui est aussi très pertinent. Tous les mécanismes de l’entreprise individuelle à risque limité sont passés à la loupe. Rien n’est laissé au hasard : création, fiscalité, régime social, etc. On y trouve pratiquement tout.
Bien cordialement.