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FICHE RAPIDE N°1 – Cession gratuite de droits d’auteur : faut-il un acte notarié ?

Bonjour à tous,

Cette fiche rapide est, possiblement, la première d’une série. Si ce format vous plaît, n’hésitez surtout pas à réagir sous l’article (NDLR : les commentaires n’apparaissent pas immédiatement, ne vous étonnez pas… je reviens régulièrement les valider, qu’ils soient positifs ou négatifs), ce qui me confirmera que je peux continuer de mon côté à prévoir d’autres sujets.

N’hésitez pas, également, à faire tourner dans votre entourage.

La question examinée aujourd’hui concerne les cessions de droits d’exploitation sur une œuvre protégée par le droit d’auteur, et plus précisément les cessions consenties à titre gratuit.

Il ne s’agit pas ici de discuter de l’utilité/du bien fondé de céder gratuitement des droits. Partons du principe que pour l’une ou l’autre raison – par exemple pour aider une association ou une ONG qu’un photographe souhaiterait aider – le titulaire des droits de propriété intellectuelle souhaite accorder un droit d’utilisation sur une ou plusieurs œuvres.

Je ne m’étends pas non plus sur les conditions classiques que doit revêtir cette cession (limitation dans la durée, dans l’étendue géographique et quant aux supports autorisés), pour me concentrer sur les spécificités liées à la gratuité de la cession.

Un article du Code de la propriété intellectuelle vise expressément les cessions de droits à titre gratuit :

« L’auteur est libre de mettre ses oeuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu’il a conclues. » (Art. L122-7-1 du Code de la propriété intellectuelle).

Si j’avais publié cette fiche rapide avant 2022, elle aurait pu s’arrêter à ce stade. Mais ça, c’était avant….

 

Depuis un peu plus de deux ans, certaines décisions ont été publiées dans un sens plus contraignant. Des juridictions ont en effet considéré qu’OUTRE l’article L122-7-1 du Code de la propriété intellectuelle cité ci-dessus, il fallait, en parallèle, appliquer les règles générales du droit civil (auxquelles le Code de la propriété intellectuelle ne déroge pas explicitement), et notamment l’article 931 du Code civil.

En vertu de cet article :

« Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité. » (Art. 931 C.c.)

Voir quelques références en note sous cet article.1Voir notamment TJ Paris, 8/2/2022, RG 19/14142 à propos d’une cession de dessin & modèle ;  TJ Paris, 6/7/2023, RG 23/02616 à propos d’un droit d’auteur sur un récit autobiographique faisant l’objet d’un contrat d’édition. Dans cette affaire, en plus, les conditions de l’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle n’avaient pas, non plus, été respectées : aucune limitation dans la durée/étendue géographique/supports autorisés, ce qui justifiait également la nullité du contrat ;  TJ Paris, référés, 11/9/2024, RG 24/50726 à propos du droit d’auteur sur trois marionnettes ;  TJ Lyon, 9/4/2024, RG 20/05900 à propos d’une marque ;  Une décision en ce sens avait aussi été rendue en 1987 à propos d’un film de François TRUFFAUT (CA Versailles, 20/1/1987, D. 1988, somm. P. 207, obs. Colombet), mais le sujet ne semble pas avoir fait l’objet, depuis lors, d’autres décisions marquantes, si j’en crois la recherche rapide à laquelle je me suis livrée. Par contre, certains juristes s’y sont attardés depuis lors dans la doctrine.

La sanction, en cas d’absence d’acte notarié, serait alors la NULLITÉ du contrat de cession !

 

Que retenir de cette évolution (ou ce début d’évolution) dans votre pratique quotidienne ?

Voici les situations les plus fréquentes que vous risquez de rencontrer :

        • Un interlocuteur insiste sur les bonnes raisons que vous auriez de lui accorder une gratuité sur la cession de vos droits d’auteur. De vôtre côté, vous n’êtes pas convaincu, et souhaitez au contraire être rémunéré en proportion de l’importance de l’utilisation envisagée. Dans ce cas, l’évolution de la jurisprudence vous aidera : « Monsieur, en admettant même que nous nous entendions sur une gratuité, l’évolution récente de la jurisprudence nous obligerait à passer devant un notaire ce qui entraînerait de toute façon des frais. Tant qu’à payer, pourquoi ne pas nous simplifier la vie et prévoir une cession contre rémunération, de façon plus classique ?
        • Tout le monde s’entend sur le principe de la gratuité
              • Soit vous respectez cette exigence que semble vouloir installer la jurisprudence. Dans ce cas, vous vous entendez aussi avec le bénéficiaire de votre générosité pour qu’il prenne en charge les frais de notaire et de donation.
              • Soit vous faites abstraction de cette exigence d’acte authentique. Dans ce cas, si un litige surgit avec votre interlocuteur, il doit être informé que vous pourrez saisir un tribunal, demander la nullité de la cession, et possiblement faire reconnaître le caractère contrefaisant (illicite) des utilisations de votre/vos œuvre(s).

Si cette jurisprudence devait s’installer dans la durée (ce qui n’est pas encore démontré), cela créerait par contre une importante insécurité juridique pour tous les bénéficiaires de cessions à titre gratuit accordées par les auteurs d’œuvres. Ces contrats seraient alors potentiellement annulables à tout moment, sauf à ce qu’une régularisation intervienne pendant la durée de validité de la cession, donc avant l’expiration de la durée nécessairement fixée.

Le débat n’est pas clos dans la doctrine et certains auteurs émettent des critiques importantes relatives à cette évolution, ainsi qu’aux analyses développées par les juges dans ces affaires. Il serait trop long d’évoquer les arguments dans cette « fiche rapide », mais le sujet est à suivre de très près. Je ne manquerai pas d’y revenir à l’avenir. En outre, il est encore trop tôt pour présumer de la multiplication de décisions allant toutes dans le même sens.

Enfin, notez qu’une exigence identique pourrait éventuellement être appliquée à des contrats concernant d’autres droits en lien avec l’image :  le droit à l’image, le droit voisin d’un artiste sur l’image de son interprétation, le droit d’un organisateur de manifestation sportive sur l’image de son événement, etc. Je n’ai pas trouvé à ce jour de jurisprudence dans le même sens au sujet de ces autres droits, et ne suis apparemment pas la seule à avoir cherché en vain. 2Voir notamment Julien GROSSLERNER et Samuel BRAMI, « Peut-on céder gratuitement un droit immatériel sans passer devant notaire ? », Légipresse Octobre 2023, pp. 559 et suivantes

À très bientôt,

Joëlle Verbrugge

 

 

 

Références

  • 1
    Voir notamment TJ Paris, 8/2/2022, RG 19/14142 à propos d’une cession de dessin & modèle ;  TJ Paris, 6/7/2023, RG 23/02616 à propos d’un droit d’auteur sur un récit autobiographique faisant l’objet d’un contrat d’édition. Dans cette affaire, en plus, les conditions de l’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle n’avaient pas, non plus, été respectées : aucune limitation dans la durée/étendue géographique/supports autorisés, ce qui justifiait également la nullité du contrat ;  TJ Paris, référés, 11/9/2024, RG 24/50726 à propos du droit d’auteur sur trois marionnettes ;  TJ Lyon, 9/4/2024, RG 20/05900 à propos d’une marque ;  Une décision en ce sens avait aussi été rendue en 1987 à propos d’un film de François TRUFFAUT (CA Versailles, 20/1/1987, D. 1988, somm. P. 207, obs. Colombet), mais le sujet ne semble pas avoir fait l’objet, depuis lors, d’autres décisions marquantes, si j’en crois la recherche rapide à laquelle je me suis livrée. Par contre, certains juristes s’y sont attardés depuis lors dans la doctrine.
  • 2
    Voir notamment Julien GROSSLERNER et Samuel BRAMI, « Peut-on céder gratuitement un droit immatériel sans passer devant notaire ? », Légipresse Octobre 2023, pp. 559 et suivantes

20 commentaires sur cet article

  1. Quand j’ai vu qu’il fallait un acte notarié, j’ai trouvé cela bien compliqué. En fait, l’utilisation que vous en faites, ouvre des perspectives “intéressantes” pour les auteurs. C’est un eprotection, une aide à la négociation. bravo !

  2. Intéressant. Merci pour ce partage. Mais je ne me sens pas concernée par d’éventuels actes notariés, ou contrats : la photo c’est un hobby en ce qui me concerne et pas mon métier.

    1. Mais si vous deviez offrir des droits d’utilisation à un tiers, cela n’en resterait pas moins une donation.
      La règle ne distingue pas selon votre statut ou absence de statut professionnel
      Bien entendu si vous ne cédez jamais de droits, ce qui est parfaitement votre droit aussi (sans jeu de mot stupide), là en effet vous n’êtes pas concernée par cette info.
      Merci toutefois de m’avoir lue

  3. Merci Joelle pour ce mémo. Reçu par mail, il est facile d’accès. Je suis fan de l’idée que vous en publiez d’autres de ce type là sur les sujets auxquels nous sommes confrontés ou susceptibles de l’être.

  4. Merci!
    Interessant, d’autant plus sur la question de la cession de droit à l’image qui se pose potentiellement…
    Même si je vois mal la réalisation concrète d’un acte notarié à chaque fois qu’on fait un contrat de cession du droit à l’image… il faudrait créer l’abonnement notarié qui va avec

  5. Merci pour ce travail de fond, inlassable… encore une fois. Bien sûr que je t’encourage à continuer car nous en avons tous besoin et seule une spécialiste du droit peut le faire. Personnellement, cela sécurise mon esprit donc mon activité. Bien amicalement.

  6. Vraiment très intéressant. Sujet méconnu, même dans des milieux qui s’intéressent à la photographie comme mon club photo. Des fiches courtes, synthétiques comme celle ci sont vraiment très utiles

  7. Bonjour et merci pour vos articles toujours aussi précis et concis.
    Simple proposition : la cession pour 1 euro symbolique suffirait-elle à mettre fin à cette lourdeur administrative ?

    1. Bonjour,
      A mon sens non, car il s’agirait alors d’une “donation déguisée”…
      C’est bien sûr l’une des “solutions” suggérées, mais en pratique selon moi ça ne réglera rien. Je ferai des recherches sur ce point précis dans le cadre de la rédaction de mon futur ouvrage sur les cessions de droits.

  8. En fait, cet état du droit, qui semble assez aberrant, est tout à fait profitable à l’auteur, puisque toute cession à titre gratuit de ses droits devient plus ou moins révocable. Par contre, il créé une insécurité totale pour le bénéficiaire des droits.

    Solution simple en attendant un éventuel retour à plus de mesure, vu que personne ne va passer devant un notaire pour une cession gratuite de droits : les céder pour un euro symbolique. De ce fait, ce n’est plus une cession à titre gratuit mais bien une cession payante.

  9. Merci pour ces informations précieuses. Ce principe de fiche est très utile indéniablement.
    Convaincue que le passage chez le notaire ne se fera quasi jamais, je trouve la solution de Bruno intéressante, faire une facture à 0€ ou 1€ symbolique – comme le suggère Bertrand – pour réduire l’inquiétude du bénéficiaire des droits.

  10. Merci Joelle pour ce format court et précis.
    Vous permettez à un photographe amateur, comme moi, de comprendre les arcanes de la justice sur un sujet qui nous est cher.
    Le sujet traité peut éventuellement “nous” concerner et en tous cas, me semble-t-il, ouvre la voie vers une certaine sécurité juridique pour des photos dont on a cédé le droit à des associations, office de tourisme, etc…..

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