IA ET PROTECTION DES OEUVRES PRÉEXISTANTES : UNE TRÈS BELLE VICTOIRE DES AUTEURS AUX USA
Publié le 12 février 2025

Sommaire
Bonjour à tous,
L’actualité juridique de l’IA est décidément très chargée pour l’instant.
Le contexte
Vous souvenez-vous de la première décision rendue sur le territoire de l’Union européenne concernant la protection des droits d’auteurs d’oeuvres préexistantes ? Il s’agissait du jugement prononcé en Allemagne fin septembre, et auquel j’avais consacré un article.
Sur le terrain européen, la question était donc de savoir si l’utilisation d’oeuvres préexistantes dans la phase d’apprentissage de l’IA était, ou non, susceptible d’être couverte par l’exception dite “de fouille de textes et de données” :
- Si oui, aucune contrefaçon ne peut être reprochée à la société exploitant l’IA (ou permettant son entrainement).
- Si non, par contre, il y a bien contrefaçon.
Dans cette décision allemande, le tribunal avait tranché dans un sens DÉfavorable au photographe qui, à ce moment, m’annonçait son intention de faire appel.
Le jugement rendu hier aux USA
Aujourd’hui, on apprend par contre qu’une direction totalemement opposée semble être prise aux USA. Alors que les médias s’indignent d’une volonté politique du nouveau gouvernement américain de déréguler l’IA, les juridictions (ou du moins celle qui vient de se prononcer dans le Delaware) semblent vouloir protéger les auteurs.
Dans l’affaire qui oppose les sociétés Thomson Reuters et West Publishing, d’une part, à la société Ross Intelligence, d’autre part, un très beau jugement vient d’être rendu.
Pour en savoir plus sur la genèse de cette affaire, les lecteurs qui ont déjà acquis mon ouvrage pourront trouver un résumé du litige en page 148. Je ne reviens pas sur ces antécédents, et invite simplement les autres lecteurs à se procurer cet ouvrage puisque je vais m’y référer chaque fois qu’une affaire évolue.
Aux USA, il faut comprendre qu’il n’existe pas à ce jour d’exception de “fouille de textes et de données” comme sur le territoire européen.
Par contre, le moyen de défense le plus souvent utilisé par les parties poursuivies pour contrefaçon suite à l’utilisation d’oeuvres préexistantes dans la phase d’entraînement de l’IA invoquent la notion de “fair use”.
Dans mon ouvrage, j’ai également très longuement expliqué cette notion, en donnant de nombreux exemples relatifs à des litiges concernant la photographies (indépendamment de l’IA), avant d’examiner si cette exception pouvait, selon les auteurs de doctrine les plus qualifiés, s’appliquer au cas précis de l’entraînement des IA (voir mon ouvrage, en pages 118 à 126).
C’est donc sur ce terrain que la société Ross Intelligence Inc., poursuivie dans cette affaire, avait tenté d’échapper aux griefs de contrefaçon suite à l’utilisation des contenus publiés par les parties demanderesses, Thomson Reuters et West Publishing.
Cette fois, ce sont les demandeurs (titulaires des droits d’auteur) qui l’emportent.
Les juges vont en effet considérer, notamment :
- Que l’utilisation faite par la société poursuivie (ROSS) a bien une nature commerciale.
- Que les contenus dérivés ne sont pas “transformatifs”. Or, pour invoquer le Fair Use comme justification d’une reprise de contenu protégé, il faut dans le droit américain avoir transformé ces contenus pour leur apporter, en quelque sorte, une plus-value ou offrir un angle différent. La condition n’était pas réunie ici selon les juges.
“L’utilisation de Ross (la société poursuivie) n’est pas transformative parce qu’elle n’a pas de “but supplémentaire ou différent” de celle de Thomson Reuters.
Ross utilisait les notes d’en-têtes de Thomson Reuters comme données d’IA pour créer un outil de recherche juridique destiné à concurrencer (les demanderesses).”
Le tribunal compare également la présentation des contenus, trop semblable à son goût, et dès lors rejette l’application du Fair Use pour l’ensemble de ces raisons.
Les juges estiment également qu’une autre raison d’écarter le Fair use est l’atteinte que l’utilisation des oeuvres a créée sur le marché dans lequel agissent Thomson Reuters et West Publishing : en d’autres termes, en créant un produit de subsitution, l’IA détourne potentiellement des clients.
Outre cela, le jugement rendu est également intéressant sur la question de l’originalité des contenus dont la protection était revendiquée. Certes, il ne s’agissait pas ici d’images, mais de contenus textuels constitués de résumés de textes juridiques, mais cela n’a pas empêché les juges d’admettre une originalité suffisante pour que soit reconnu un droit d’auteur.
Et ensuite ?
Cette décision va inévitablement susciter des kilomètres et des kilomètres de doctrine juridique, ce qui est parfait pour affiner les analyses. Mais vous disposez donc au moins d’une première approche rassurante.
Car il est également évident que ce jugement va être invoqué dans l’ensemble des autres procédures en cours aux USA.
De nombreuses d’entre elles sont énumérées dans mon ouvrage, et donneront également lieu à des mises à jour ici dans le blog.
Si vous souhaitez soutenir mon travail, n’hésitez donc pas à approfondir ces questions. Tout cela est expliqué de façon claire et compréhensible par tous dans le Chapitre 2 de “IA & image – Guide juridique.“
À très bientôt.
Joëlle Verbrugge