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La vidéo & audio-surveillance devant la justice française

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Bonjour à tous,

Dans la droite ligne du Chapitre 8 de mon dernier ouvrage, il m’a semblé utile de commenter aujourd’hui un jugement récemment prononcé par le Tribunal administatif d’Orléans en matière de vidéo (et audio) surveillance.

Les faits

Le 12 octobre 2021, le Maire d’Orléans signait un contrat avec la société SENSIVIC en vue de la mise en oeuvre d’une “expérimentation” dans la ville. Il s’agissait d’installer des dispositifs permettant la détection de sons “en particulier la détection automatisée des bruits anormaux“.  Des caméras de viodéoprotection étaient associées au dispositif installé. Le but était qu’en cas de survenance de certains bruits (bris de vitres, détonation, cris, etc.) les caméras se déclenchent et s’orientent vers la source du bruit, émettant un signalement au centre de sécurité chargé du dispositif, lequel pouvaitt alors identifier la personne se trouvant à l’origine ou à proximité du bruit.

L’Association La Quadrature du Net (voir son article à ce sujet) avait alors déposé, le 12 décembre 2021 un recours visant à faire annuler cette convention signée entre le Maire et la société. Il a fallu attendre le 12 juillet 2024, soit 2 ans 1/2 plus tard, pour qu’un jugement soit rendu !

Le jugement (TA Orléans, 12/7/2024, n°2104478)

Les demandes

La Quadrature du Net demandait au Tribunal :

          • D’annuler la convention du 2 avril 2021 signée entre le Maire d’Orélans et la société Sensivic.
          • D’enjoindre à la Commune de cesser toute utilisation du dispositif de surveillance des sons, et d’effacer toutes les données collectées, sous peine d’astreinte

La Quadrature du Net soutenait en effet que ce dispositif mettait en place un traitement de données personnelles (et ce qu’il y ait, ou non, couplage avec les caméras de vidéosurveillance), et que ce dispositif portait atteinte non seulement au RGPD et à la loi française dite “Informatique et libertés” (loi du 6/1/1978), mais également à l’article 8 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, protégeant la vie privée. L’expérimentation menée constituait donc une ingérence grave dans le droit à la vie prive et à la protection des données personnelles.

La défense de la Commune d’Orléans

Pour sa défense, la Commune d’Orléans soutenait :

        • Que la requête était irrecevable pour différents motifs, sur lequels je ne m’étendrai pas, cette défense ayant été écartée par le Tribunal.
        • Que “l’expérimentation” contestée était de toute façon terminée (ce qui sous entendait que la requête n’avait dès lors plus d’objet).
        • Que le système ne captait pas de sons, mais uniquement des vibrations, et n’impliquait aucun traitement de données personnelles, même s’il était potentiellement couplé à des caméras de surveillance. En outre, l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme garantit à chaque individu un droit à la sécurité. Or, selon la Commune poursuivie, “tout ce qui n’est pas interdit par la loi ne peut être empêché“, et la loi n’interdit pas un tel dispositif, la convention signée entre la société et le Maire de la commune ne peut pas être annulée.

La décision rendue

Sans m’attarder sur les questions de recevabilité, qui ont été tranchées en faveur de l’association demanderesse, voyons ce qui a été décidé sur le fond des demandes.

Le  Tribunal administratif s’est d’abord penché sur la description de la technologie mise en place (jugement, p.6). Le jugement – dans lequel je souligne moi-même certains termes – est rédigé en ces termes :

“En tant qu’ils collectent et utilisent ainsi des informations se rapportant à des personnes susceptibles, au moyen des caméras avec lesquelles ils sont couplés, d’être identifiées par l’opérateur, les dispositifs litigieux procèdent ainsi au traitement de données personnelles au sens (du RGPD). Si la Commune d’Orléans fait valoir que lesdits dispositifs ne sont pas nécessairement couplés aux caméras de vidéoprotection, ce couplage est prévu par la convention litigieuse /…/ et il ressort tant de la délibération par laquelle le Conseil municipal d’Orléans a autorisé le Maire à signer cette convention que des déclarations publiques de l’adjoint au Maire chargé de la sécurité, que l’objet même de l’expérimentation et son intérêt pour la Ville d’Orléans résident dans ce couplage.” (jugement, p.6).

Difficile, donc, pour la Commune d’Orléans, de venir plaider le contraire de ce qui figure dans le contrat signé, d’une part, et dans les déclarations publiques faites par l’Adjoint au Maire. Ou, autrement formulé, “on ne peut pas d’une part se targuer publiquement d’assurer la sécurité au moyen de dispositifs dont on vante les mérites, et d’autre part en minimiser l’importance lorsqu’il s’agit de rendre des comptes quant à une éventuelle violation de la loi“.

Le Tribunal administratif relève ensuite que le traitement des données personnelles, “à le supposer utile pour l’exercice des pouvoirs de police confiés au Maire” (jugement, p.6) ne remplit “aucune des conditions prévues par l’article 5 de la loi du 6/1/1978“. Dans la suite du paragraphe, le Tribunal affirme en outre que la nécessité du traitement n’est pas démontrée au regard du Code général des Collectivités territoriales (jugement p.6).

Le Tribunal se penche ensuite sur la demande d’annulation de la Convention signée entre le Maire et la société Sensivic. Il rappelle tout d’abord que, les articles 2 (droit à la sécurité) et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, invoqués par la Commune, ne lui sont ici d’aucune utilité :

“Enfin, /…/ la Commune d’Orléans ne peut invoquer utilement l’article 5 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, aux termes duquel “La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.” Le droit à la sûreté garanti par l’article 2 de la même Déclaration ne peut, pas plus, être invoqué par la Commune, dès lors en tout état de cause que celle-ci n’invoque aucun risque pour la sûreté des personnes mais uniquement des risques pour leur sécurité.” (jugement, p.6).

Enfin, très logiquement, le Tribunal conclut donc :

“Il résulte de ce qui précède que l’objet même de la convention du 12 octobre 2021 (NDLR : entre le Maire et la société Sensivic) consiste en la mise en oeuvre d’un dispositif contraire à la loi. /…/ il y a lieu dès lors de prononcer l’annulation de cette convention, dès lors qu’une telle annulation ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.” (jugement p.7)

Sur les mesures ordonnées, le Tribunal relève que le système a été DÉcouplé du dispositif de vidéoportection, de telle sorte qu’il n’est plus nécessaire d’ordonner une telle mesure. Il relève également que le dispositif ne permettait aucun ernegistrement des données, ce qui prive aussi d’objet la demande à ce sujet.

Par contre, la convention passée entre le Maire et la société Sensivic est bien annulée, comme évoqué ci-dessus. Et une somme de 1500 € est allouée à la Quadrature du Net, sur base de l’article 761-1 du Code de justice administrative (il s’agit de l’équivalent, en droit administratif, de l’article 700 du Code de procédure civile que la plupart d’entre vous connaissent déjà).

En quoi ceci complète-t-il mon ouvrage ?

Dans le Chapitre 8 de mon récent ouvrage, je consacre de longs développements aux questions de la vidéosurveillance algorithmique et de la reconnaissance faciale. J’y détaille notamment l’enchaînement des “expérimentations” au titre desquelles les Maires de nombreuses villes prétendent mettre la charrue avant les boeufs. Dans bien des cas, en effet, ces “expériences” se mettent en place sans le moindre débat démocratique ou, lorsque débat il y a, dans des limites qui excèdent manifestement les objectifs annoncés.

Or, même si personne ne conteste lutter contre la criminalité, la question qui est véritablement en jeu est la suivante : ces dispositifs de vidéosurveillance ont-ils permis, dans la pratique, de diminuer la criminalité ET/OU d’augmenter le nombre d’arrestationsn des auteurs de ces actes ? Vous lirez dans mon ouvrage que c’est loin d’être démontré.

Dans la balance qui doit être faite entre, d’une part, le droit de chacun à la sécurité et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée, le législateur doit veiller à fonder ses décisions sur des éléments tangibles et démontrables et doit, surtout, respecter les limites fixées par le fameux RGPD et, en France, par la loi de 1978 (dite “Loi informatique et libertés”). À l’heure où on exige de chaque petite entreprise qu’elle se soumette à des obligations très lourdes quant à la protection des données, il ne faudrait pas oublier que les risques majeurs à ce niveau viennent essentiellement des dispositifs installés de plus en plus régulièrement dans l’espace public.

Il s’agit là d’un véritable changement de paradigme dans une société où, en principe, nous devons pouvoir circuler librement sans être enregistrés et/ou filmés puis voir nos moindres faits et gestes intégrés dans des bases de données tentaculaires sur lesquelles plus personne n’a, de fait, le moindre contrôle.

Un récent post, partagé sur LinkedIn, a montré que l’utilisation de ces systèmes tend à devenir non seulement systématique, mais également démesuré au regard des objectifs poursuivis.

Que pensez-vous en effet de ce qui suit ?  La Ville d’Arcachon annonçait récemment que des caméras de vidéosurveillance seront utilisées pour verbaliser certains comportements, tels que le fait de se promener en ville torse nu (voir article du Figaro).

Sur Linkedin, un spécialiste de la Sûreté et de la Sécurité, Christian BELPAIRE (dont je vous suggère de suivre les publications fort bien argumentées) réagissait en rappelant que ce type d’utilisation des caméras de vidéosurveillance était abusif.

Avec la mesure indispensable à ces sujets, il terminait sa publication dans les termes suivants :

Nous observons que mettre en avant la videoprotection sur ce genre de sujet releve d’un manque de recul et correspond a une réaction politique et technique disproportionnée face à des problèmes qui devraient être gérés par des médiateurs ( saisonniers) de rue.
La videoprotection/videosurveillance sont nécessaires voir indispensables dans certaines situations. Les études d’impact sont plus que jamais indispensables et doivent conditionner le subventionnement par un contrôle strict de l’étude.
Les caméras ne peuvent être considérées comme des baguettes magiques qui peu à peu installent une société de surveillance et de contrôle social. A l’heure où le déficit de l’état est collosal, il m’apparaît urgent de revoir certains subventionnement.
C’est juste mon avis.” (Christian BELPAIRE, Post  Linkedin).

Je suis pour ma part ravie que des professionnels du secteur, au lieu de n’avoir les yeux braqués que sur les immenses profits que ces technologies peuvent représenter, n’hésitent pas à s’exprimer en cas d’abus, et à garder un oeil critique et une approche légaliste et mesurée.

Or, force est de constater une tendance assez générale à “expérimenter” à tout va, sans débat démocratique préalable. Je rappelle, pour qui le souhaite, que la table des matières de mon ouvrage est librement consultable à partir de l’article de présentation que je publiais ICI.

À très bientôt,

Joëlle Verbrugge

 

 

 

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