Les beaux jugements du 11 septembre – Episode 3
Publié le 27 novembre 2014
Sommaire
Bonjour,
Deux de mes récents articles étaient relatifs à deux jugements rendus le 11 septembre 2014, traitant tous deux d’originalité (entre autres sujets), dans des affaires qui m’avaient été confiées.
Je renvoie les lecteurs aux articles publiés ICI et ICI
Le même jour était également rendu un autre jugement – toujours sur la question de l’originalité en droit d’auteur – qui mérite qu’on s’y attarde. Le photographe impliqué, assisté quant à lui de son propre conseil, a eu la gentillesse de me tenir informée et de me transmettre ensuite la décision qui n’a pas fait l’objet d’appel, de telle sorte qu’elle est également devenue définitive. Il me fait en outre le plaisir de commenter le jugement. Ne ratez donc pas ses précisions sous ma signature au bas de cette page.
Voyons cela de plus près.
Les faits
En 2012, l’éditeur d’un magazine consacré à l’art commandait à un photographe professionnel une photographie du “Génie de la Bastille” pour illustrer la couverture d’un numéro à paraître en janvier 2013.
Le photographe s’exécuta, et livra à l’éditeur la photo suivante, qu’il a bien voulu me communiquer pour illustrer cet article.
L’éditeur confirma ensuite au photographe que la photo avait bien été retenue pour faire la couverture du numéro envisagé. Le photographe céda alors ses droits pour une somme déjà fort raisonnable de 321 euros TTC, la cession mentionnant : “Vente d’une photographie du Génie de la Bastille pour la couverture du magazine Connaissance des Arts”. Le prix de cette cession fut imposé par l’éditeur, qui avait déjà la photo en sa possession, et réglé par ses soins.
Par la suite, le photographe s’aperçut toutefois qu’outre la couverture – pour laquelle la cession avait été opérée – la photo était reproduite en page intérieure du magazine, ainsi que sur le site Internet (sans mention de son nom d’auteur) et sur des affiches promotionnelles en devanture des kiosques et librairies. La photo avait en outre fait l’objet d’un recadrage, lui aussi sans l’accord de l’auteur et la couleur du ciel avait été modifiée. Au final, la couverture reproduisait un détail de la photo, dans une vignette circulaire, le reste de la couverture étant un fond uni doré.
Aucun accord amiable n’ayant pu être trouvé, il assigna l’éditeur devant le TGI de Paris.
Le jugement (TGI Paris, 3ème ch., 1ère section, 11/9/2014, RG 13/06338).
Devant le TGI, le photographe demandait que soit constatée la contrefaçon du fait de l’utilisation non autorisée à l’intérieur du magazine, sur le site web et sur les affiches promotionnelles, et sollicitait qu’il soit fait interdiction à l’éditeur de poursuivre l’utilisation de cette photographie sous quelque forme que ce soit. Il était en outre demandé au Tribunal d’ordonner une publication.
En terme de montants, les demandes se chiffraient à 10.000 euros (soit 6.000 pour l’atteinte aux droits patrimoniaux et 4.000 pour les droits moraux), et une astreinte était sollicitée en cas d’utilisation non-autorisée après la date du jugement à intervenir.
Très classiquement, l’éditeur se défendait en invoquant le fait que la photo était dépourvue d’originalité et ne portait pas l’empreinte de la personnalité de son auteur. A titre subsidiaire, et si le Tribunal devait retenir l’originalité, l’éditeur relevait que l’utilisation sur les affiches de promotion annonçant la sortie du magazine “incluait nécessairement sa représentation pour la promotion de celui-ci”.
. Sur l’originalité tout d’abord, les arguments développés étaient les suivants :
Le Tribunal, rappelant que le Code de la propriété intellectuelle confère une protection à l’oeuvre quelle que soit son mérite ou sa destination (art. L112-1 du CPI), et revenant également sur l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne dont j’avais fait mention dans l’affaire précédemment commentée, reconnaît une originalité à la photographie litigieuse :
. Sur l’indemnisation, le TGI va relever le fait que la photo avait, déjà en couverture du magazine, fait l’objet d’un recadrage non autorisé, et que le nom du photographe n’avait pas été mentionné “que ce soit sur le magazine lui-même, sur le affiches ou sur le site Internet de la société défenderesse qui informe le public de ses parutions”. Il soulignait toutefois qu’une indemnisation amiable avait été proposée par l’éditeur à hauteur de 1000 euros et avait fait paraitre un rectificatif dans le magazine suivant, mais que cette proposition n’avait pas été acceptée par le Photographe.
Le Tribunal condamne à un montant de 1000 euros au titre du recadrage et de la modification de la couleur du ciel, mais considère que l’atteinte portée à son droit moral par le défaut de mention de son nom n’est plus avérée puisqu’un correctif a été publié par la suite.
Restait la question de l’exploitation sur les affiches apposées en kiosques et dans les librairies pour annoncer la sortie du magazine. Sur ce point, le jugement fut moins favorable, estimant qu’il s’agissait d’une suite nécessaire de la publication en couverture :
Qu’en penser ?
Sur la question de l’originalité, l’affaire n’était pas facile, et la reconnaissance par le TGI du caractère protégeable de l’oeuvre est une belle victoire.
Il semble que cet arrêt de la CJUE soit une aide efficace dans ce type de cas, nous aurons l’occasion d’y revenir.
Quant à l’indemnisation, elle s’avère par contre relativement faible au final, et ce alors que le TGI avait pris soin de rappeler le contenu du Code de la Propriété intellectuelle dont l’article L331-1-3 rappelle les critères à prendre en considération pour fixer les dommages et intérêts :
Enfin, j’aurai l’occasion de revenir dans un prochain article (déjà programmé et rédigé) sur cette question des “accessoires” considérés comme “normaux” en fonction des usages.
Sujet à suivre donc.
Ne ratez pas, sous ma signature, le commentaire du photographe concerné, que je remercie encore de m’avoir aimablement tenu informé de l’évolution de son litige.
Joëlle Verbrugge
* * *
Commentaire du photographe Francis APESTEGUY
“Pour la contrefaçon des affiches etc, le TGI s’est appuyé sur un arrêt de la Cour de Cassation de 2002 qui dit que dans le prix de le photo tout est compris;
Je commence à bien l’aimer ce petit arrêt de la CJUE ! ^^
On va enfin ne plus voir de trucs complètements stupides dans nos TGI, tels que des décisions basés uniquement sur des critères techniques (mode de prise de vue, rafales… tout ces trucs qui ne sont que des outils pour créer).
Bon, faut quand même justifier d’avoir “paramétré” sa prise de vue (on ne peux pas utiliser les preset du boîtier, il faut absolument avoir fait le sien, ou une post-prod suffit ?)
Bonjour Joëlle,
Toujours très intéressant, merci une nouvelle fois… 🙂
Pour ce qui est des affichettes, je trouve aussi normal que le Tribunal rejette la demande car en effet, cela fait partie de la promo “normale” et je pense que décemment, un photographe qui vend une photo pour un livre, ou équivalent, ne peut quand-même pas demander un prix supplémentaire pour l’utilisation de cette même photo à des fins de publicité pour l’œuvre principale. Ce n’est pas comme s’ils avaient voulu l’utiliser pour vendre autre chose quand-même.
Mais bon… c’est mon point de vue. L’important est que le photographe ait eu gain de cause car en effet, il avait assez raison à la lecture des ce compte-rendu.
Tropicalement! 🙂
Jean-Marc
Ce qui me semble important à retenir dans le cas de tous ces récents jugements, c’est l’élargissement très clair de la notion d’originalité, ce en faveur des auteurs.
Bonjour,
Je suis quand même curieux de connaitre l’arrêt de la cour de cassation de 2002 dont parle Francis Apesteguy qui dit que dans le prix d’une photo tout est compris !!??
J’ai pu le récupérer et il sera intégré à un prochain article qui est déjà rédigé. J’y reviendrai en détails en expliquant justement le fondement de cette décision.
Allez !!
Encore quelques dizaines d’années…çà avance
courage pour les générations montantes ;))
Top… Comme d’hab. Merci pour ces articles hyper formateurs.
Je me demande juste…ai je le droit de partager sur mon mur sans transgresser le droit d auteur…republier n est ce pas de la contrefeçon…mdr.
Affaire a suivre
Bonjour,
Le principe du réseau social est celui-là 🙂 relayer l’info en partageant mon post renverra les gens sur mon blog, et vous ne violez rien du tout, vous les informez 😉 Aucun tracas bien sûr, et avec mes remerciements puisqu’alors vous générerez même de nouveaux visiteurs sur mon blog.. qui eux-mêmes seront ravis d’avoir été informés..
Du bon usage du réseau social 😉
Il n’en serait autrement que si vous faisiez un copié/collé de mon article complet pour le republier ailleurs 😉
Cordialement,
Joëlle Verbrugge
Merci de partager votre expérience !
Il ne se passe pas un instant sans que l’on doive rappeler le droit élémentaire à des personnes ignares ou feignant de l’être. Car il n’y a pas que les sociétés d’édition. Il y a aussi les associations, les municipalités et sociétés commerciales, qui confient des tâches de « communication » à des personnes qui n’ont pas la formation juridique de base du respect des droits d’auteur…
Bonjour
Si tout le monde, ou presque, qui sait à peu près prendre un photo de tel statue ou autre objet public arrive à la vendre 200, 250 ou 350 euros à une revue ou un éditeur ou autre banque d’image, alors je vais sortir mon matériel plus souvent !
Je partage l’avis que cette photo, artistiquement, n’était pas exceptionnelle et unique, même si en droit ce n’est pas fondé, tout le monde ou presque étant capable de réaliser le même cliché, cadré quasiment de manière identique, et avec un ciel approchant pour peu que les conditions de lumière soient très proches, voire quasi similaires.
Quelle serait alors ma propriété intellectuelle ou autre pour ce cliché “copié” d’un autre déjà existant ? (volontairement ou non du reste).
Cldt
DP