Les limites de la presse gratuite ?
Publié le 25 février 2010
Sommaire
Bonsoir,
Sur la suggestion d’un lecteur, j’ai été amenée à me pencher sur un “service” proposé aux photographes par le célèbre quotidien gratuit “Métro”, et dont les modalités ne peuvent que laisser perplexe au regard des règles du droit français de la propriété intellectuelle..
Certes, le photographe signe ou ne signe pas… choisit ou non d’y participer, mais en amont se posent une série de questions auxquelles je vous suggère de rester attentifs.
I. La description du service
Tout le monde connait sans doute le quotidien gratuit “Métro”, dont le grand mérite fut depuis sa création de permettre une information gratuite pour les personnes qui ne veulent (ou surtout, et c’est là que l’intention est d’autant plus louable) ne PEUVENT pas se payer un journal quotidien…
Au moment de sa création, l’initiative fut à juste titre saluée et dans son principe, continue à mon sens à démocratiser le droit à l’information. Cet état de fait n’est pas modifié et la publication mérite d’être en elle-même soutenue pour ces raisons…
Cela étant, se pose donc inévitablement la question du financement de ce type de publication, puisque personne ne conteste qu’une publication de presse, quelle qu’elle soit, coûte cher, la liberté d’expression et l’indépendance des médias étant souvent bridée par des considérations purement pécuniaires.
La publicité génère sans aucun doute des revenus substantiels, mais manifestement pas assez puisque le concept intitulé “Métro Reporter”, et dont les éléments essentiels sont définis et exposés sur le site du quotidien consiste à proposer aux photographes de transmettre leurs photographies relatives à un événement d’actualité, après création d’un compte personnel.
Voir deux liens pour le détail des modalités proposées aux photographes, ici et là.
A la lecture de ces conditions générales, et tout comme le photographe qui a attiré mon attention sur cette question, je ne peux que relever différentes mentions qui me paraissent en contradiction avec les règles générales en matière de droit d’auteur en droit français.
Voyons cela de plus près.
II. Le système en deux mots
Vous avez pris une photographie (ou une vidéo) d’un événement en rapport avec l’actualité, que vous soyez professionnel ou non. Vous souhaitez partager cette photo et éventuellement vous la faire payer pour une publication quelconque.
Après création de votre compte, vous soumettez donc la photo qui sera dans un premier temps publiée sur “un espace communautaire spécialement dédié à cet effet sur le Site“, à un emplacement choisi par METRO. Cette insertion est tout à fait gratuite.
Si METRO s’avère intéressé par la reproduction de votre photo (ou vidéo) dans l’une de ses publications dans un délai de 24h, vous en êtes informé par courrier électronique. Il peut s’agir tant de l’édition papier que de l’édition web ou mobile.
Ce sont les conditions proposées pour la reproduction de ce cliché qui donnent lieu à commentaires ci-dessous.
III. Analyse des conditions générales proposées
A) Les tarifs proposés par METRO pour l’achat des droits de reproduction sont énumérés dans les conditions générales, sous l’article 3.5 et vont de 10 à 70 €, selon l’utilisation qui sera faite de votre photographie, prix nets après déduction des cotisations AGESSA (au moins les charges sociales sont retenues à la source et payées parle diffuseur ce qui permet au minimum d’éviter un système “façon microstock” ! – mais ceci n’est pas non plus conforme au statut habituel des journalistes… ce qui méritera un article distinct un peu plus tard… )
Les tarifs sont ce qu’ils sont et il n’entre pas ici dans mon propos de critiquer ce point : en tant que photographes, vous êtes libres de les trouver satisfaisants ou non; et d’adhérer donc ou de ne pas adhérer au système. J’ai une petite idée du sens dans lequel la majorité va se prononcer…
Professionnel, vous aurez en plus à établir une facture éventuellement avec TVA si vous y êtes assujetti.Le mécanisme à cet égard est classique et n’appelle pas de commentaire.
B) Le point qui par contre pose difficulté est celui de l’étendue de la licence que prétend acquérir METRO, en son article 3.4 :
1° – METRO dispose pendant 24h (à partir de la mise en ligne sur l’espace communautaire) d’une priorité sur l’achat de la photo.
En d’autres termes, vous vous engagez donc à ne pas proposer cette même photographie pendant ce délai à quelque autre parution que ce soit, dans l’attente de la décision de METRO.
Il n’y a là rien d’illégal, libre à vous à nouveau d’adhérer au système ou non
2° – EN CAS d’achat par METRO d’une licence sur votre photographie, cette licence doit être considérée comme accordée A TITRE EXCLUSIF pour des durées variables en fonction du support de la photographie :
. exclusivité de 30 jours pour une reproduction sur support papier (le prix de la licence pour une publication papier variait entre 20 et 70 € selon l’étendue géographique de la publication – voir art. 3.5. des conditions générales)
. et de 5 ans pour une publication électronique sur le site internet et sur la version mobile de celui-ci (rappelons que pour une publication uniquement par voie électronique, site internet et mobile, le prix de la licence telle que défini à l’article 3.5 se montait à 10 €)
3° – SI PAR CONTRE METRO n’achète pas votre photographie dans ce délai appelé “Période d’exclusivité”, cette même photo sera proposée à la vente via un site partenaire, CITIZENSIDE, dont les conditions générales auront été approuvées obligatoirement par le photographe au moment de la création de son compte.
Cela offre donc en effet au photographe une possibilité de plus large diffusion de sa photo, à des conditions auxquelles, à nouveau, le photographe est libre d’adhérer ou non
4° – L’article 3.4. se termine par 3 paragraphes sur lesquels il n’est pas inutile de s’attarder un peu :
. “Vous acceptez d’ores et déjà que METRO puisse adjoindre à vos Documents, sous sa seule et unique responsabilité, tout texte de son choix, ainsi que supprimer la légende dont vous êtes l’auteur”
A ce sujet, différentes difficultés peuvent se poser.
Rappelez vous du cas d’espèce dont je parlais dans l’article “La jurisprudence ne perd pas la tête” : la femme photographiée sur un banc et qui, voyant sa photo publiée, n’avait pas aimé du tout l’initiative du photographe…
Celui-ci était encore seul responsable du contexte, de la présentation ou de l’éventuel commentaire ajouté sous sa photo.
Imaginons à présent que vous proposiez une photographie, avec un commentaire purement factuel, et qu’ensuite METRO vous achète la licence de la photo, et, supprimant le commentaire de votre cru, y ajoute un commentaire jugé par un Tribunal comme totalement insultant, injurieux ou causant un préjudice à quelque titre que ce soit.
Certes les conditions générales que nous venons de citer prévoient que cette modification se fait “sous sa seule et unique responsabilité“, mais croyez vous que le sujet de la photo, par hypothèse assez furieux pour introduire une procédure, s’embarrassera de cette précision ?
Même si, en définitive, le Tribunal condamnera à cet égard (plus que vraisemblablement, mais on ne peut bien sûr jamais le certifier à 100%) METRO à vous garantir de toute condamnation éventuellement prononcée à votre encontre, pour arriver à cela vous aurez dû supporter :
. de longs mois (ou années) de procédure,
. les honoraires d’un avocat qui aura développé des pages de conclusions à titre principal sur la responsabilité de METRO dans le commentaire joint à la photo (gardez surtout les preuves du commentaire que vous aviez suggéré vous-même !!!), et à titre subsidiaire, pour ne rien laisser au hasard, sur le caractère éventuellement abusif de la demande du plaignant..
Sauf à prévoir une jolie indemnisation par METRO de vos frais (en ce compris les conséquences morales du procès), je doute fort que vous sortiez gagnant de cette aventure.
Et je ne parle même pas ici de votre droit d’auteur sur la légende elle-même, qui reste encore de votre cru au départ..
Il me semble qu’une possibilité plus constructive serait, pour METRO, de réserver la possibilité de proposer au photographe une autre légende, en s’engageant à obtenir de ce dernier l’autorisation sur le texte proposé.
Ainsi au moins l’essentiel du danger serait écarté, le photographe conserverait un contrôle sur ce qui est publié (ou ce qui accompagne sa photo), et pourrait s’opposer à ce que celle-ci soit utilisée pour illustrer une idéologie à laquelle il n’adhère pas forcément
. “Vous reconnaissez et acceptez que vos documents pourront faire l’objet de modifications notamment quant à leur cadrage, leur format et leurs couleurs, ainsi que d’altérations ou de dégradations dans la qualité de l’image et du son en raison des contraintes et nécessités techniques notamment liées à leur impression, leur encodage, leur compression ou leur diffusion internet”
Cette disposition, telle que rédigée, est selon moi une renonciation anticipée au droit moral qu’a l’auteur au respect de son oeuvre (art L 121-1 du Code de la Propriété intellectuelle).
Ce droit, classé dans les droits moraux de l’auteur, est en tant que tel perpétuel et inaliénable… et la jurisprudence refuse de façon constante de reconnaître la validité de renonciations anticipées par l’auteur à ses droits moraux… (voir notamment Cass. 1ère Civ. 5 décembre 2006, Didier B., Gilbert M. et SNAC c/ Universal Music Publishing et autres, consultable notamment sur l’excellent site Juritel à cette adresse
C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit en l’espèce…
Sur le fond, à présent.. si l’on peut comprendre une nécessité de compression de l’image, ou de modification de ses couleurs pour une publication selon certaines données techniques, le principe d’un blanc seing donné par l’auteur pour tout recadrage de la photo devient nettement plus dangereux…. ce n’est pas à des photographes que je vais apprendre qu’on peut faire dire à un cliché le contraire de ce que l’auteur a voulu faire passer comme message, simplement en recadrant ne fût-ce que légèrement, ce qui peut aboutir à supprimer un élément jugé comme essentiel au moment du déclenchement..
. “Vos documents seront crédités à votre nom, tel que vous nous l’aurez déclaré, en qualité d’auteur”
Il s’agit là de l’application pure et simple du même article L 121-1 du Code de la Propriété intellectuelle… il est donc heureux qu’à ce niveau la disposition soit respectée…
… et permette ainsi aux sujets potentiellement mécontents de la légende qui pourrait avoir été ajoutée sous le cliché, d’identifier rapidement le photographe qui est l’auteur du cliché.. et dont ils n’auront aucun moyen de déterminer qu’il n’est, par contre, PAS l’auteur de ladite légende..
5°) Enfin, sur une autre page du site, contenant un résumé sous le titre « Metro Reporter, comment ça marche », figure un petit paragraphe également susceptible de causer des difficultés.
« Puis-je changer d’avis après avoir envoyé une photo à Metro ?
Non. Quand vous êtes membre de Metro Reporter et que vous nous envoyez une photo, vous nous accordez automatiquement une licence exclusive internationale pendant une période de 3 mois. Cet accord ne peut être révoqué même si vous ne faites plus partie des membres de Metro Reporter. Après cette période de trois mois, la licence devient non-exclusive. »
(http://metroreporter.metrofrance.com/fr/comment-vendre-photos-videos/faq.html)
Rappelons toutefois que le « droit de retrait », également appelé « Droit de repentir », permet à l’auteur, à tout moment, de retirer son œuvre du marché, à charge pour lui bien sûr de dédommager le détenteur de l’œuvre du préjudice subi. (Art. L 121-4 du Code de la Propriété intellectuelle).
Certes ce droit n’est, en pratique, pas souvent mis en œuvre – du fait bien sûr de l’obligation de dédommagement qui, dans les principes, est tout à justifiable et logique -, mais il n’en reste pas moins que le droit de repentir, qui figure également parmi les droits moraux de l’auteur, est en ce sens lui aussi inaliénable et incessible..
Tel que rédigé ce paragraphe contient à nouveau une renonciation anticipée à l’exercice de ce droit..
Renonciation que, dans la même mesure et pour les mêmes raisons que ci-avant, la jurisprudence condamne unanimement.
* * *
En conséquence donc, méfiance en l’état actuel.. si le service tel qu’il existe peut avoir des avantages que chaque photographe est libre de trouver utiles, diffuser une publication gratuite n’autorise pas à ce jour – et on peut s’en réjouir ! – à piétiner les dispositions légales ou les enseignements jurisprudentiels.. il me semble que le texte, tel que rédigé, mériterait un petit ajustement pour, à tout le moins, se confirmer aux conditions légales minimales d’une protection des auteurs conforme au prescrit de la loi.
Joëlle Verbrugge
Commentaire laissé par Frédéric Augendre le 25/2/2010
Bonjour,
Les tarifs et les conditions d’exclusivité de Métro choquent. Non seulement ils veulent acheter les droits à vil prix, mais ils veulent se garder les images pour eux. Les photographes, selon moi, ne devraient pas se laisser abuser par ces conditions. Pour le reste, mon avis diffère du vôtre : le recadrage est une pratique courante en presse, et les légendes sont – classiquement – réalisées par la rédaction. Cela devrait relever, normalement, du contrat de confiance entre le photographe et le journal. De même que l’auteur d’un article sait que son papier peut, pour des raisons légitimes, être coupé, accompagné d’un titre différent, etc. Ce n’est pas cette pratique qui est en soi condamnable, mais l’usage détourné qui en est fait parfois, et qui conduit à trahir le propos de l’auteur. Si Métro ne fait que contractualiser un usage, il n’ y a pas scandale à mes yeux.
Une dernière précision : à mon avis, le quotidien gratuit est un modèle économique, et il relève d’une démarche capitalistique et non pas citoyenne, en tous cas, pas plus citoyenne que celle de la presse payante. La presse libre est un élément de la démocratie, quelque que soit le prix de vente des journaux considérés.
Cordialement,
Frédéric Augendre,
Journaliste de l’écrit et de l’image
http://www.textimage.fr
Bonsoir.. merci pour votre commentaire et votre éclairage.
Il est exact que je connais mal encore les pratiques en matière de recadrage dans la presse, et que je raisonne plus en juriste.
Votre éclairage est donc utile, merci pour votre intervention.
Commentaire laissé par Davee le 26/2/2010
Bonjour, j’avais lu les les CG, par curriosité. Je n’avais pas saisi la “subtilité” sur la durée des licenses, je l’avais entendu comme un “droit d’utilisation” simplement, non pas “a titre exclusif”. du coup ça prends un autre sens.
Et tout ce qui concerne la manipulation de l’image (hormis les contraintes techniques liées à l’impression ou la diffusion web), le recadrage et le changement d’une éventuelle légende, laisse trop de liberté sur la modification du sens de l’image, à mon avis.
avec toutes les complications que celà peut donner à l’auteur, comme vous l’avez noté dans votre article.
Pour finir, je ne sais pas quoi penser de cette démarche de la part de Métro, donner l’information gatuite pourquoi pas c’est louable, mas d’un autre côté ils se construisent une banque d’image avec un contenu dont on ne sait pas trop ce qu’il vont en faire. Ils peuvent en toucher les droits pendant 5 ans au détriment des auteurs, si j’ai bien compris, et ça c’est pas très louable.
A+
david.
Réponse de Frédéric Augendre le 26/2/2010 :
Je vais passer pour un mauvais coucheur et quelqu’un qui se répète, mais par pitié, cessons de considérer que “donner l’information gratuite c’est louable” :
– les journaux gratuits ne donnent pas l’information, ils donnent une information, à mon sens beaucoup moins fouillée et pertinent que celle délivrée par les journaux payants;
– ce n’est pas de la part du groupe international Métro une démarche philantropique, c’est un choix commercial, un point c’est tout ! Pas forcément critiquable, mais pas particulièrement louable non plus.
J’attire votre attention sur le fait que la presse gratuite a, au passage, donné à penser que l’information ne coûtait rien. Faut-il s’étonner que Métro considère aujourd’hui que les photos ne valent qu’une poignée de cerises ?
Frédéric Augendre
Commentaire laissé par Christophe Doucet le 26/2/2010
Bonjour,
un article très intéressant qui dénonce, une fois de plus, des dérives de plus en plus courantes dans l’appropriation de l’image, et de ses droits.
Pour répondre à Frédéric sur le point des recadrages, biensûr que c’est une pratique courante et légitime pour des raisons éditioriales, mais il est aussi très facile de sortir une photo de son contexte en recadrant, et lui faire dire ce qu’elle ne représentait pas au départ, la rendre utilisable dans un contexte totalement différent de celui de la prise de vue etc… Il aurait été très facile à Metro d’annoncer l’éventualité de recadrage, tout en marquant sa bonne volonté dans le respect du message véhiculé par la photo et du contexte de prise de vue, ce qui n’est pas le cas ici.
Que risquerait un photographe qui ne respecterait pas les clauses d’un tel contrat, et notamment celle d’exclusivité, faute de pouvoir exercer son droit de retrait pourtant inaliénable?
Enfin, avec ce type de contrat, Metro se prive aussi d’éventuelles bonnes images et de potentiels vrais scoups. Les photographes un tant soit peu avertis, connaissent la valeur de telles images, et éviteront donc soigneusement ce type de contrat.
Commentaire laissé par Christophe le 1/3/2010
Je fais de la photo en amateur et jamais je serai le “reporter” de quiconque. Il y a des professionnels pour faire le boulot.
Aujourd’hui, en photo, c’est du grand n’importe quoi. Des amateurs, moins chers et plus naifs, prennent tout doucement la place des pros. Une réglementation d’un autre âge dont, de plus en plus, tout le monde se fout, soyons clairs.
Le nombre de pros restants dans quelques années les afflaibliera face à la presse et autres médias consommateurs d’images.
Peut-être que le ministère concerné devrait recadrer un peu les choses et surtout les simplifier.
Bientôt il sera trop tard …
Commentaire laissé par Bijou le Tord le 1/3/2010
Videos , films, reportages à la télévision puis réalisés en photos par un photographe amateur. Est-ce légal ? merci.
Commentaire laissé par Taz le 4/3/2010
Une petite question, est ce que le fait que Métro ait l’exclusivité implique qu’ils peuvent la revendre? Après tout si un autre magazine ou journal veut acheter la photo, nous ne pouvons pas, mais Metro ne peut pas non plus, ils n’ont le droit que de la publier; Me suis je tromper. Merci Thomas