Les professionnels et la médiation de la consommation
Publié le 13 mai 2020
Sommaire
Bonjour à tous,
Au programme de l’article de ce jour, un sujet sur lequel je devais revenir depuis un moment mais sans avoir le temps de préparer cet article comme il se devait. Je n’ai certes pas beaucoup plus de temps maintenant, devant aussi – comme tous les professionnels – redresser la barre en cette période difficile, mais les questions fusent soudain de tous côtés, et il est donc plus simple d’y répondre de façon complète.
La médiation de la consommation, qu’est-ce que c’est ? D’où ça vient ?
Depuis une ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 modifiant l’article 612-1 du Code de la consommation, “tout consommateur a le droit de recourir gratuitement à un médiateur de la consommation en vue de la résolution amiable du litige qui l’oppose à un professionnel”.
Le même texte précise ensuite : “À cet effet, le professionnel garantit au consommateur le recours effectif à un dispositif de médiation de la consommation” (voir l’article complet ICI).
En pratique, et bien que le texte complet de l’article semble laisser au professionnel le choix de mettre en oeuvre son propre moyen de médiation (puisque l’article dit aussi : “Le professionnel peut mettre en place son propre dispositif de médiation de la consommation ou proposer au consommateur le recours à tout autre médiateur de la consommation répondant aux exigences du présent titre.”), cela se traduit en réalité par l’obligation de faire appel à un médiateur agréé.
Avant de saisir le médiateur de la consommation, le particulier devra tout d’abord justifier qu’il a tenté “au préalable de résoudre son litige directement auprès du professionnel par une réclamation écrite” (Art. L612-2 du Code de la consommation).
Le médiateur refusera également d’être saisi dans certains cas :
. Si la demande est “manifestement infondée ou abusive”
. Si le litige a déjà été précédemment examiné par un autre médiateur ou par un tribunal, ou que la procédure (médiation ou judiciaire) est encore en cours.
. Si le consommateur a introduit sa demande auprès du médiateur dans un délai supérieur à un an à compter de sa réclamation écrite auprès du professionnel.
. Ou si, enfin, le litige n’entre pas dans son champ de compétence. (Art. L612-2 du Code de la consommation).
L’étrange entrée en vigueur des dispositions
Bien que ces obligations soient en vigueur depuis 2016, leur mise en oeuvre, selon les secteurs d’activité, se fait de façon assez disparate.
Certaines organisations professionnelles (c’est le cas notamment pour les avocats via le Conseil National des Barreaux) ont mis en place un système de médiation unique auquel ses membres sont d’office inscrits, et dont ceux-ci paient le coût – ainsi mutualisé – en même temps que leurs cotisations ordinales ou professionnelles. Mais cela est loin d’être une généralité, et bon nombre de secteurs professionnels n’ont pas mutualisé les coûts et la négociation avec des structures de médiation, laissant ainsi les professionnels gérer seuls cette obligation.
Et c’est précisément la raison pour laquelle, tous secteurs d’activités confondus, il règne encore un certain flou sur ce le sujet. Il semble que dans bien des cas, les Chambres de métiers, les CCI, et les formateurs lors des Stages de préparation à l’installation ne l’évoquent absolument pas.
Voir notamment, pour ceux qui sont micro-entrepreneurs, les informations sur le portail officiel ICI.
“Obligatoire” ? Mais pour qui ?
L’adhésion à une structure de médiation de la consommation est donc “obligatoire”. Mais pour qui, et comment ?
Le professionnel a en effet l’obligation d’adhérer à une telle structure.
Par contre, le professionnel ne peut absolument pas inclure dans son contrat une clause qui obligerait aussi le consommateur à mettre en oeuvre la médiation préalablement à la saisine d’un juge. Une telle clause est interdite (Art. L612-4 du Code de la consommation.
Et dès lors, le consommateur, de son côté, n’est absolument pas obligé de saisir le médiateur en cas de litige avec le professionnel, et peut choisir de passer directement à la procédure judiciaire.
Reste la question inverse : le professionnel est-il lui-même obligé de saisir le médiateur pour tout litige avec son client ? La réponse est négative : le professionnel, qui a pourtant payé pour cette adhésion obligatoire, ne peut pas saisir lui-même le médiateur de la consommation en cas de litige avec son client… Il peut par contre bien sûr, s’il sent qu’une négociation reste possible, suggérer à son client de saisir le médiateur de la consommation, mais rien n’y obligera le client…
Le portail des micro-entrepreneurs, lorsqu’il évoque la question, formalise la réponse de la façon suivante :
Pour quels photographes ?
La médiation de la consommation s’applique dès qu’un professionnel est en lien avec un consommateur.
Par « consommateur » on entend de toute façon les particuliers, agissant dans le cadre de leur vie privée.
Une question reste toutefois en suspend – et c’est l’une des multiples raisons qui m’ont poussée à attendre avant d’écrire enfin sur la question -, c’est la possibilité éventuelle de considérer comme « consommateur » un professionnel dont la structure est de taille très réduite, et qui conclut un contrat dans le cadre de son activité, sur un sujet qui sort de ses propres compétences. Il a notamment été jugé – et j’en reparlerai dans un article « Jurimage » dans quelques jours, qu’au niveau du droit de rétractation que le Code de la consommation réserve en principe aux particuliers pour les commandes à distance ou les ventes à domicile, ce droit de rétractation devait aussi s’appliquer aux professionnels, dans certaines conditions. Cette possibilité a ensuite été ajoutée dans la loi. Mais la question n’est à ma connaissance pas encore tranchée de savoir si la médiation de la consommation peut aussi être considérée comme obligatoire entre un professionnel et un autre professionnel dans certaines conditions. À titre d’exemple, si un photographe réalise des photos « corporate » pour un petit artisan cordonnier exerçant seul et que survient un litige, peut-on considérer que le cordonnier est, alors, dans la même situation qu’un particulier, et peut exiger de faire appel à la médiation de la consommation ? J’aurais tendance à considérer que non, mais sauf erreur ce point n’a pas encore été tranché.
Médiation de la consommation et « modes alternatifs de règlement des litiges (MARD) » sont-ils synonymes ?
Pas tout à fait, bien que ces notions visent toutes deux la recherche de solutions amiables.
La « médiation de la consommation », dont il est question aujourd’hui, ne s’applique donc que dans les relations professionnels/consommateur. Voir toutefois la remarque que je mentionnais plus haut sur l’extension éventuelle à certains professionnels, qui n’est à ma connaissance pas encore tranchée.
De leur côté, les « modes amiables de règlement des litiges » sont plus vastes et l’appellation est généralement utilisée pour les litiges entre professionnels. Ces modes amiables peuvent inclure certes une médiation mais aussi une conciliation ou une procédure participative.
J’évoquerai ces notions dans un article ultérieur.
Combien ça coûte ?
Le coût de l’adhésion à une structure de médiation de la consommation peut être très variable, et je ne peux que vous encourager, si votre organisation professionnelle n’a pas encore négocié de tarifs préférentiels avec certains médiateurs, à contacter différentes structures pour obtenir des estimations.
Ce coût peut se ventiler de différentes manières (tous les postes de facturation ne sont pas systématiques, cela dépend d’un médiateur à l’autre) :
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- Il y a en principe toujours un tarif annuel d’adhésion. Votre engagement est conclu nécessairement pour trois ans, donc en pratique, le tarif sera appliqué trois années de suite.
- Au moment de la survenance d’un litige, une “étude de recevabilité” sera faite, et peut avoir un coût (généralement minime).
- Si la demande est recevable, la médiation elle-même est également facturable (mais l’accord que vous trouverez avec le client peut inclure la prise en charge par celui-ci du coût de cette médiation, le cas échéant). Ces frais peuvent être fixes, variables ou même dépendre du montant ou de la complexité du litige, ou encore du temps passé, du nombre d’appels téléphoniques, etc.
- Le renoncement par le professionnel qui ne souhaiterait pas entamer le processus de médiation alors que le médiateur estime la demande recevable peut également avoir un coût. Tous les médiateurs ne facturent pas ce type de frais bien qu’il semble que la CECMC (Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation – voir ici) le leur recommande pour inciter plus encore le professionnel à accepter et mener à bien la médiation.
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Ces coûts à charge du professionnel (donc VOUS, photographe professionnel, dans la relation photographe/client particulier que j’évoque aujourd’hui). Il s’agit bien sûr de frais professionnels déductibles, mais ce sera à vous de les payer et donc de les répercuter sur l’ensemble de vos devis, comme vous le feriez d’une assurance responsabilité civile (laquelle, pour rappel, n’est pas légalement obligatoire à ce stade, mais en pratique totalement indispensable).
Posez dès lors toutes les questions et étudiez en détails les modalités de rémunération du médiateur au moment de comparer les prix.
Quel est mon avis sur cette obligation légale ?
Mon rôle est de vous expliquer la loi, et de vous aider à l’appliquer.
Ceci ne m’empêche toutefois pas de faire part de mon opinion personnelle et, en matière de médiation de la consommation, j’ai tendance à penser que si le but est louable et intéressant, la mise en œuvre par le législateur est, à mon humble avis, détournée du but initial.
Je m’explique…
Le but est louable et intéressant
Depuis que j’ai commencé ce métier (de fou), les conditions d’accès à la justice pour les particuliers ou les professionnels se sont considérablement dégradées. L’engorgement des tribunaux génère un arriéré judiciaire énorme, ce qui entraîne des frais plus importants puisque les procédures sont plus longues. Certaines modifications légales ont aussi institué des règles de compétences très particulières qui peuvent conduire à augmenter encore les frais (voir notamment l’article consacré à la compétence des juridictions en matière de propriété intellectuelle).
Les charges importantes, voire démesurées, qui sont imposées aux professionnels (avocats et huissiers notamment) entraînent à leur tour une augmentation des honoraires.
Tous ces éléments conduisent forcément à redouter une procédure et à vouloir l’éviter lorsqu’elle est évitable, ce qui se fait, en pratique, par la négociation.
De fait, depuis des décennies, les premiers intervenants qui peuvent aider à cette négociation – si les parties n’y arrivent pas seules – sont les avocats. En pratique, près de 70 % des dossiers contentieux que j’ouvre s’achèvent ainsi, simplement, à l’aide d’une négociation entre avocats.
Il est également très utile de prévoir un mode « externe » de médiation pour aider les parties et leurs avocats lorsque la négociation s’enlise mais que chacun veut éviter la procédure et trouver une solution acceptable.
Notez que la médiation n’est pas un arbitrage. Cela signifie que le médiateur n’a le plus souvent aucune formation juridique à la base et est chargé d’appliquer des principes de communication non violente pour recréer le dialogue et, parfois, trouver des solutions qui vont au-delà des stricts principes juridiques, ce qui les rend plus acceptables et utiles pour chaque partie. En d’autres termes, le médiateur ne remplace pas le juge, il fait en sorte que les parties n’en aient plus besoin !
La mise en œuvre est détournée du but initial
Pour négocier et rechercher une solution amiable, il faut être au moins deux…
Ce que je reproche au système tel qu’il existe actuellement, c’est son caractère obligatoire, contraignant (du fait de l’amende prévue en cas de carence) et d’une certaine manière « infantilisant ».
Le caractère obligatoire et contraignant
Je l’ai dit plus haut, le professionnel qui est en lien avec des consommateurs a l’obligation d’adhérer à une structure de médiation de la consommation.
Le coût est supporté par ce professionnel lui-même alors que c’est au consommateur qu’il appartient de choisir s’il souhaite mettre en œuvre la médiation ou, au contraire, partir directement au contentieux devant un magistrat.
Ce faisant, le législateur a créé un mécanisme qui n’a à mon sens pour but que de désengorger les tribunaux. Si le problème d’arriéré judiciaire est réel, il ne me paraît pas qu’il revienne aux professionnels, tous secteurs confondus, d’en supporter les conséquences financières… L’engorgement des tribunaux est le résultat d’une politique budgétaire dans laquelle la Justice, au sens large, est bien souvent le parent pauvre des dépenses étatiques annuelles, et tenter de régler en partie le problème en éloignant les justiciables des tribunaux n’est pas une solution.
Et si l’on voulait réellement favoriser la négociation dans tous les cas, pourquoi ne pas autoriser le professionnel à saisir lui-même le médiateur en cas de litige ? On fait à mon sens peser une obligation déséquilibrée sur ce dernier : il a l’obligation de payer pour adhérer, mais ne peut apparemment pas saisir lui-même le médiateur, sans être certain que ses clients le feront car eux-mêmes n’y sont pas obligés.
Le caractère « infantilisant »
Les parties ont déjà la possibilité, sans qu’une loi les y oblige, de choisir la négociation, et disposent de toutes les armes pour mettre en œuvre une négociation si elles le souhaitent. Si leurs avocats respectifs n’y parviennent pas, des structures de médiation existent depuis de longues années, sans qu’il soit – à mon avis – nécessaire d’obliger le professionnel à y adhérer moyennant de nouveaux frais pour laisser au consommateur le choix d’y recourir au non.
Ceci n’est toutefois qu’un avis personnel…
Et donc, en pratique, que faire ?
Si vous êtes photographes professionnel ET si vous avez affaire à des particuliers, ce qui est donc quasiment toujours le cas pour les artisans photographes mais peut l’être aussi pour un auteur qui vendrait des tirages numérotés et signés à des particuliers (c’est la seule interaction possible que je vois en ce qui le concerne), vous avez l’obligation d’ajouter à vos contrats ou conditions générales une clause renseignant l’identité du médiateur de la consommation auprès de qui vous êtes inscrit.
C’est, en pratique, le médiateur lui-même, lorsque vous avez adhéré à sa structure, qui vous transmettra le modèle de clause adaptée et complète que vous n’aurez plus qu’à ajouter à vos différents documents.
Où trouver les médiateurs ?
Le site officiel relève, quant au choix du médiateur, les options suivantes :
Un site officiel reprend une liste des médiateurs, par secteur. Certains rattachés à des fédérations professionnelles (mais il n’y en a pas pour la photographie), d’autres par secteur géographique.
VOIR LA PAGE OFFICIELLE contenant la liste des médiateurs agréés. Lorsque vous contactez un médiateur de la consommation, vérifiez toujours qu’il est bien agréé pour ne pas être vous-même victime d’une arnaque (voir plus bas).
Il suffit d’ajouter le nom du médiateur dans nos contrats ?
Non… avant d’ajouter quelque clause que ce soit, ce sera à vous à prendre contact avec un médiateur, à demander des informations sur ses tarifs (et ce qu’ils couvrent, puisque cela peut varier considérablement !).
Notez aussi que le médiateur que le choix vous engagera pour un minimum de 3 ans. Il est donc doublement (ou triplement) utile de bien comparer !
Lorsque vous aurez fait votre choix ET que vous aurez, effectivement, adhéré à sa structure ET payé le coût de cette adhésion, le médiateur vous transmettra lui-même la clause à ajouter à vos contrats et documents.
La sanction
Ah oui… j’oubliais…
“Tout manquement aux obligations d’information /…/ est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3.000 € pour une personne physique et 15.000 € pour une personne morale” (Art. L641-1 du Code de la consommation)
Qui dit “obligation” dit aussi “arnaques fréquentes”
Enfin, l’imagination de certains étant débordante, qui dit “obligation légale” dit rapidement aussi “arnaques”.
Ainsi, au moment où je prépare cet article, je vois sur le site officiel un avertissement que vous trouverez en cliquant sur le visuel ci-dessous :
Soyez donc vigilant en contactant les médiateurs. Vérifiez qu’il s’agit bien de structures agréées.
Et n’hésitez pas à vous regrouper, aussi nombreux que possible, pour négocier des conditions intéressantes. Prenez également en considération la connaissance qu’a le médiateur de votre secteur d’activité, ce qui peut être un atout important.
Voilà…. vous savez tout.
Excellente journée à vous, bonne reprise.
Joëlle Verbrugge
Bonjour Joëlle, merci pour cet article je suis en train de me déclarer photographe et j’avoue être surprise beaucoup d’entrepreneurs autour de moi semblent ne pas être informés et n’ont jamais entendu parlé de cette obligation. Un conseiller de la BGE me confirme comme vous que c’est bel et bien obligatoire mais je ne sais absolument pas quel médiateur choisir.
Bonjour
Ah oui, je ne l’ai pas inventé l’obligation, rassurez-vous. D’autant que sur le fond, vous avez lu ce que j’en pense….
Si vous exercez sous forme d’artisan en micro-entreprise, regardez du côté de la fédération des micro-entrepreneurs, qui propose un lien vers un service de ce style sauf erreur.
Sinon regardez dans la liste officielle dont j’ai mis le lien dans l’article.
N’hésitez pas, comme je l’indique aussi, à demander plusieurs tarifs à des structures différentes, cela peut varier considérablement d’une structure à l’autre.
Bonjour, je suis dans les starting-blocks pour créer mon statut d’autoentrepreneur et je découvre cette obligation de souscrire à un dispositif de médiation. Je vais en contacter mais quand vous parlez des tarifs qui varient énormément, dans quelle fourchette de prix sommes-nous ? Quelques euros par an ? dizaines d’euros ? ou plus ?
Merci pour votre article et point de vue !