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L’exception d’information ne permet pas toutes les dérives

Sommaire

 

Bonjour à tous,

L’article d’aujourd’hui concerne un autre jugement reçu le 11 septembre dernier, et dans lequel les droits du photographe étaient également reconnus suite à une diffusion non-autorisée de 12 de ses photos au milieu d’un documentaire diffusé sur une chaine nationale. A cette occasion, le TGI de Paris a eu l’occasion de rappeler que “l’exception d’information”, dont il a déjà été question à différentes reprises dans ce blog, et notamment ICI, ne permettait pas toutes les dérives…

Les faits

Un photographe dont l’une des spécialités est la photo de yachts au profit de commanditaires divers avait eu l’occasion, dans son activité professionnelle, de photographier le fameux “Reborn” de Bernard TAPIE.

Lors de la diffusion sur une chaine de TV nationale d’un documentaire partiellement consacré à cette personnalité, le photographe avait eu la désagréable surprise de constater que 12 de ses photographies se trouvaient insérées dans le documentaire, en plein écran, et ce bien entendu sans que son autorisation n’ait été sollicitée et sans la moindre mention de son nom en tant qu’auteur.

Photos_SRD© Stephane Rodriguez de la Vega

Une mise en demeure envoyée au diffuseur ne permit pas même d’entamer le dialogue, de telle sorte qu’une procédure fut lancée.

Dans sa demande, le photographe apportait des éléments démontrant sa qualité d’auteur des images (notamment le fait qu’il exploitait les photos en son nom, notamment sur son site Internet professionnel), ainsi qu’une attestation de l’agence ayant commandé les clichés à l’origine et les factures établies à l’époque. Enfin, il produisait une copie du documentaire avec un minutage précis des apparitions des 12 photographies.

De son côté, la chaîne invoquait :

. le défaut de preuve de la qualité d’auteur
. le défaut d’originalité des photographies
. et “l’exception d’information” contenue à l’article L122-5 9ème du Code de la propriété intellectuelle, qui l’autorisait selon elle à faire usage de ces visuels.

Le jugement (TGI Paris, 11/9/2014, RG 13/06707)

Face aux arguments de la partie adverse, nous avions longuement plaidé et démontré :

Sur la qualité d’auteur du plaignant

Nous invoquions à cet égard que l’exploitation des photos par le photographe demandeur se faisait de façon paisible en son nom, ce qui permettait en vertu de la présomption de l’article L113-1 du Code de la Propriété intellectuelle de considérer comme admise sa qualité d’auteur. Pour rappel, cet article est rédigé comme suit :

“La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée.” (Art L113-1 CPI).

Cette précision était rendue indispensable puisque la Chaîne invoquait le fait que les mêmes photos étaient exploitées à la fois par la société qui les avait commandées à l’origine, mais en outre avaient été reprises sur Internet par d’autres sites. En réponse, nous avions souligné que le fait que d’autres actes de contrefaçon avaient été commis par des sites tiers ne privait pas le photographe de son droit de paternité sur les photographies concernées. Bien entendu, le demandeur produisait également les factures établies à l’origine pour son propre client, ainsi que les fichiers numériques des séries concernées.

Sur ce point, le Tribunal va reconnaître la qualité d’auteur au photographe :

 Jugt - extrait 1

Jugt - extrait 1 - 2

Jugt - extrait 1-3

– Sur l’originalité

En ce qui concerne l’originalité, la défenderesse soutenait, de façon désormais très classique, que les 12 photographies litigieuses ne portaient pas la marque de la personnalité de l’auteur, et n’étaient qu’une simple prestation technique. Elle se fondait notamment sur le contenu d’une interview qui avait été donnée par le photographe à un organe de presse, et dans laquelle il regrettait, de façon générale, que la clientèle ait tendance à confondre prestation technique et apport artistique. En outre, s’agissant de photographies réalisées sur commande, elle déniait toute intervention personnelle du photographe, qui n’aurait donc été qu’un exécutant à son sens.

Dans les conclusions produites, nous avions, pour chaque photographie, détaillé précisément les choix artistiques opérés par le plaignant, et répondu ensuite par voie de secondes conclusions aux remarques de la défenderesse, de telle sorte que le Tribunal avait  en sa possession une argumentation complète, image par image, comme l’exige la jurisprudence.

En présence de tous ces éléments, le Tribunal considéra tout d’abord que la défenderesse ne pouvait pas tirer argument d’un extrait d’interview et qu’il fallait examiner les photos une par une. Les magistrats accueillirent ensuite les arguments évoqués pour chacune des 12 photographies. A titre d’exemple, voici ce que contient le jugement sur l’une d’entre elles que je vous reproduis également pour une meilleure compréhension :

 SRD_7947

 © Stephane Rodriguez de la Vega

Jugt - extrait 2 - analyse photoPhoto par photo, le Tribunal va donc admettre l’originalité des 12 visuels utilisés par la défenderesse lors du montage du documentaire.

– Sur l’exception d’information

Restait alors à évoquer l’exception d’information contenue dans le Code de la Propriété intellectuelle, et dont le jugement rappelle l’objet et les limites :

Jugt - extrait 3

 Il faut en effet, lorsque cette exception est mise en oeuvre :

. que le nom de l’auteur d’une oeuvre soit mentionné
. que l’utilisation entre dans le cadre de “l’information immédiate” et soit “en relation       directe” avec cette information
. qu’en tout état de cause, et puisque le nom du photographe ne figurait pas sur le site sur lequel elle avait elle-même trouvé les photos, elle ne pouvait pas le deviner et en faire mention à son tour

Nous plaidions à cet égard :

. que l’actualité n’était pas brûlante concernant M. Bernard TAPIE au moment de la diffusion du documentaire, les affaires récentes n’ayant éclaté que postérieurement à la première diffusion du documentaire

. que le nom du photographe n’était en tout état de cause pas mentionné dans le documentaire, ce qui suffisait déjà à constituer la contrefaçon,

. et que l’utilisation des photos n’était en outre pas proportionnée, sachant que le journaliste ayant tourné le documentaire s’était lui-même rendu sur le yacht, et que l’utilité de faire usage de 12 photographies en plein écran s’avérait donc très contestable

. et que, de jurisprudence constante, la bonne foi était inopérante en matière de contrefaçon, la défenderesse ayant en outre (en sa qualité de professionnelle) connaissance des règles en la matière

Tranchant entre ces positions contradictoires, le Tribunal considéra :

Jugt - extrait 4Jugt - Extrait 4-1– Quant au préjudice

Enfin, quant au préjudice, le Tribunal accorde au plaignant les montants suivants :

. 5000 € au titre des droits patrimoniaux (reproduction non autorisée)
. 4000 € au titre des droits moraux (floutage des bords des photos, défaut de crédit photographique)
. 5000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile

et ordonne l’exécution provisoire du jugement.

– Quant aux rediffusions de cet documentaire

Notons, pour être complets, que nous sollicitions également la condamnation de la chaîne à produire la grille complète des rediffusions du documentaire, ainsi que des cessions à des chaînes tierces, afin d’évaluer plus complètement les droits dus à ce titre. Sur ce point par contre, le Tribunal estima que nous échouïons à rapporter la preuve de ces diffusions. Il aurait fallu, sur ce point, opérer sans doute un constat d’huissier pour les quelques traces trouvées ça et là, mais le coût de l’opération avait malheureusement dissuadé le demandeur. Et le Tribunal n’a pas fait droit à cette demande tendant à obliger la chaine à produire elle-même la grille complète des utilisations du documentaire, considérant que la charge de la preuve des rediffusions invoquées nous incombait.

Que retenir de ce jugement ?

L’enseignement de ce jugement est en réalité contenu dans le titre de mon article : l’exception d’information ne permet pas toutes les dérives.

La presse (écrite, radio ou télévisée) a tendance à le perdre de vue de plus en plus souvent, et il est heureux que cette affaire ait permis à nouveau de rappeler les limites de ce fameux article L122-5 9ème du Code de la Propriété intellectuelle.

Sur la question de l’originalité, il démontre en outre qu’une description précise, complète et systématique des choix artistiques opérés par le photographe au moment tant de la prise de vue que du post-traitement (notamment pour la photo en noir et blanc, où ses choix de post-production sont mis en avant) permet au Tribunal de bien appréhender le rôle du photographe.

Le jugement étant désormais définitif, à défaut d’appel, il m’a semblé important de venir vous en faire l’analyse.

Bonne semaine à tous,

                               Joëlle Verbrugge

6 commentaires sur cet article

  1. Bravo !
    Bravo de ne pas avoir flanché face à un géant de la sorte. Un bon exemple pour beaucoup que de faire valoir ses droits. Et nous en sommes de plus en plus victimes de ce genre de comportements, car à l’heure où tout le monde a internet dans sa poche il est si facile de s’approprier le travail d’autrui…

  2. Quand le lobbying de la presse magazine avait réussi à convaincre le ministère de faire une exception au droit d’auteur j’ai eu la responsabilité de représenter les photographes dans les négociations et réussi à clarifier le texte qui est devenu le 9ème de l’article L122-5.
    Les éditeurs de presse voulaient tout faire, tout gratuit et sans l’obligation de respecter la citation du nom de l’auteur !
    Heureusement le ministère nous a entendu et le 9ème de l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle autorise seulement la publication en lien directe avec le sujet (par exemple : la publication de l’affiche d’une exposition pour annoncer l’événement) et rien de plus !

  3. Merci Joëlle pour cette information éclairée qui rappelle “aux soit disant grands” qu’ils ne détiennent en rien le droit de bafouer le droit.

  4. La persévérance a été gagnante, bravo ravoir résisté et bravo à vos avocats.
    En conclusion ne rien laisser au hasard et être vigilant

    1. Merci, à vrai dire l’avocat c’est moi précisément, avec un confrère parisien qui plaidait sur place.
      Il s’agit d’un dossier dont j’ai eu à m’occuper pour un client photographe.
      Et bien entendu il convenait de résister, oui.. 😉

      Joëlle Verbrugge

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