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Photo et originalité : un parcours d’obstacles

Bonjour

L’article d’aujourd’hui est consacré à un arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau en matière d’originalité des photos.

Les faits

Une Association qui a pour objet l’organisation de compétitions équestres avait conclu un accord verbal avec un photographe. En vertu de cet accord, ce photographe se chargeait des prises de vue lors des compétitions et livrait ses négatifs (les faits se passent entre 1991 et 1998), en contrepartie de quoi il disposait d’un stand, d’une publicité dans le programme officiel des compétitions, de la diffusion de messages publicitaires sonores pendant les manifestations et de la fourniture de repas.  Cet accord s’était tacitement renouvelé jusqu’en 1998.

Les parties ont ensuite mis fin à leur accord, et après la rupture de cet accord, le photographe reprocha à l’Association de continuer à utiliser ses visuels malgré la  circonstance que leur collaboration s’était interrompue, et assigna l’Association sur base des dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle (et donc de la contrefaçon).  Il visait notamment l’impression d’affiches et visuels pour la manifestation de 1999 ainsi que 15.000 tracts, 8.000 billets d’entrée, 25.000 dépliants publicitaires.

Le Tribunal de Grande Instance de Pau avait débouté le photographe de l’ensemble de ses demandes. Il interjeta donc appel.

L’arrêt

Par un arrêt du 10 janvier 2006 (RG 04/01989), la Cour d’Appel de Pau confirma toutefois le jugement entrepris.

En défense, l’Association relevait que le prix de la cession de droits avait été payé par les prestations fournies en nature (mise à disposition d’un stand, etc…) et que si par impossible la Cour devait rejeter cette argumentation, il fallait alors condamner le photographe au remboursement des importants frais engagés pour la fourniture de ces prestations. Mais son argumentation principale restait le manque d’originalité des photographies litigieuses.

La Cour se prononça en ces termes :

Qu’en l’espèce, les photographies litigieuses sont constituées pour une première série de scènes saisies lors d’exercices de sauts en extérieur, montrant de profil ou de semi-profil le cavalier et sa monture en plein effort en train de s’élever au dessus de l’obstacle, et pour une seconde série de la pose des lauréats avec leur monture après la remise des prix

Que seule le première série prête à discussion puisque la seconde est
d’une évidente extrême banalité ;

Que cette première série est certes le résultat d’une maîtrise technique de son auteur, photographe professionnel de son état ; qu’elle a cependant été réalisée sans que le photographe, qui n’a joué aucun rôle dans la phase préparatoire à la prise des clichés, n’ait pu vraiment décidé ni du lieu, ni du moment où la photographie devait être prise, ni de l’élaboration du cadre ou d’un éclairage particulier, ni encore de la position du cavalier et de sa monture ; que la représentation qui en est donnée n’est donc ni particulièrement originale, ni révélatrice d’une véritable création ;
Qu’il convient donc de dire que ces photographies ne peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur et de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur X… de l’ensemble de ses demandes ;”

Qu’en retenir ?

L’enseignement le plus important de cet arrêt semble être, une fois encore, l’utilité de la rédaction d’un contrat clair et précis.

En effet, l’accord ici était verbal.. et en ce sens, rien n’avait bien sûr été prévu pour l’hypothèse où le contrat était rompu en ce qui concerne l’utilisation des visuels. C’est pourtant un point qui aurait pu être abordé dans une convention mieux formalisée, prévoyant par exemple que la cession du droit d’utiliser les photographies durerait aussi longtemps que l’accès du photographe serait assuré sur les compétitions, les prestations assurées par l’Association étant considérées comme la rémunération de cette cession.

En l’espèce point d’écrit…  et donc le Tribunal, et à sa suite la Cour d’appel, déplacent le débat sur le terrain de l’originalité.
Et ici, si l’on peut comprendre éventuellement que les photos des vainqueurs tenant leurs trophées, aient pu manquer d’un minimum d’empreinte de la personnalité du photographe, l’appréciation est par contre plus sévère en ce qui concerne les séries de passage d’obstacles.  Je n’ai certes pas vu les photos en question, mais il reste tout à fait possible pour un photographe d’imprimer sa personnalité à une photo de ce style.

Le photographe fut débouté, et condamné d’ailleurs au paiement d’une somme de 1.200 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile.

Prudence donc, et délimitez contractuellement vos droits !!

Joëlle Verbrugge

Visuel d’accroche : -© Pixelia -Licence Creative Commons

9 commentaires sur cet article

  1. Et ceci montre en lumière encore une fois le concept très bizarre en France d’”originalité”.

    Avec la logique de La Cour une grande partie des photos prises dans le monde, « même » par les photographes professionnelles, ne seraient pas protégés par le droit d’auteur.

    Pensez p.e. à Martin Parr (http://tinyurl.com/d95qxgc) ou d’ailleurs à la plus part de photos de sport. Selon le raisonnement de La Cour guère possible de les protéger par copyright.

    Etrange.

  2. A moins que l’APN ait été sur trépied fixé toute la session et qu’il ait été déclenché par un système de détection du passage d’obstacle par le cheval, les photos sont forcément :
    1 – uniques par le cadre choisi par le photograhe (ce même sur trépied toute la journée ou semaine)
    2 – uniques de par les compositions retenues (triptyque obstacle-cheval-jockey + l’arrière-plan évidemment)
    3 – uniques également de par les choix techniques (ouverture, tps pose, pellicule même du coup, ….)

    Qu’un tribunal ne voit pas cela me fait très très peur pour l’avenir !

    Après, la leçon clairement à retenir est de toujours passer par l’écrit finalement. Bonjour l’usine à gaz 😉

  3. Le juge a déjà pris des photos équestres ???? L’originalité est patente et chaque photographe a sa marque de fabrique, position, cadrage serré ou large, instant de la prise de photo, etc.
    Si on suit l’argumentation du juge, toute photo de sport voire prise en extérieur est inoriginale
    “qui n’a joué aucun rôle dans la phase préparatoire à la prise des clichés, n’ait pu vraiment décidé ni du lieu, ni du moment où la photographie devait être prise, ni de l’élaboration du cadre ou d’un éclairage particulier, ni encore de la position du cavalier et de sa monture ; ”
    la photo s’est figé un instant que l’on n’a pas provoqué en général. Or pour le juge le fait que cet instant n’est pas été provoqué fait que ce n’est pas original au sens ou n’importe qui s’étant trouvé là à cet instant aurait réussi la même performance.
    Je vais aller exploiter les photos de Doisneau, après tout il n’y a rien d’original….

  4. Dès le début de cette affaire le photographe en question n’a eu vis à vis de son client une attitude d’auteur, en particulier en acceptant de livrer ses négatifs, qui sont la propriété inaliénable des auteurs. La suite est à l’avenant. Au jour du procès, c’était au photographe d’apporter la preuve intellectuelle que son travail était original, au sens compris plus bas, il ne l’a pas fait et ce n’est pas le fait des photos elle-mêmes.

    Extrait du code de la propriété intellectuelle :

    Indifférence du mérite, de la destination, du genre

    L’art. L.112-1 du CPI dispose que le CPI protège « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite et la destination ». Cela signifie qu’un juge ne devra pas écarter la protection par le droit d’auteur sur la base des caractéristiques susmentionnées. L’unique critère pour bénéficier de la protection des droits d’auteurs est l’originalité.

    Originalité
    L’originalité est une notion clé du droit d’auteur. En effet, pour qu’une œuvre profite de la protection du droit d’auteur, le juge vérifiera que la création a une forme originale.

    Cela signifie d’une part que les idées ne trouvent pas de protection légale dans le code de la propriété intellectuelle et d’autre part impose que l’auteur démontre que son œuvre est originale.

    En matière de contrefaçon, l’auteur doit construire une argumentation construite pour convaincre le juge que son œuvre est originale. Dans bon nombre d’affaires, la protection du droit d’auteur est écartée du fait que l’auteur n’a pas mené d’argumentaire suffisamment solide démontrant l’originalité de son oeuvre.

  5. J’ai l’impression que ce n’est hélas pas si facile de se positionner comme auteur en tant que photographe, sans doute parce que prendre des photos est à la portée de tout le monde. Il est très accessible et usuel de prendre des photos avec des reflex ou smartphones, même de les partager sur internet et les réseaux sociaux, donc la “valeur” d’une photo me semble compliquée à défendre. Il faudrait sûrement une loi encore plus stricte pour protéger les photographes, même sans contrat d’auteur. Notre homme, qui se définit comme photographe professionnel, devrait être à ce titre entièrement protégé, que l’on trouve ses clichés originaux ou non. Il s’est déplacé, a utilisé son matériel comme un expert et a vendu ses services dans un cadre précis. Si l’acheteur modifie à sa guise le cadre d’utilisation des photos prévu au départ, il ne respecte pas leur accord et devrait demander officiellement une autorisation.
    Bref, je trouve ça terriblement injuste que ce photographe ait dû payer des dommages et intérêts à l’acheteur et non pas l’inverse.
    Si l’acheteur a fait appel à ce photographe en particulier, c’était bien pour ses compétences et sa capacité à prendre des clichés originaux, sinon l’acheteur aurait pu prendre les photos lui-même.
    De toute façon l’originalité d’une photo est bien trop difficile à évaluer : qui pourrait être suffisamment bien placé pour juger objectivement de l’originalité d’une photo ? Il faudrait au moins l’avis de plusieurs personnes (?), de compétences assurées (?), d’horizons différents (?)…
    Par ailleurs un amateur, qui ne gagne pas sa vie en vendant des photos, peut tout à fait produire des clichés plus originaux qu’un photographe soit-disant professionnel. C’est une question de regard, de personnalité, de culture, d’intuition, de sensibilité, de connaissance… de chance aussi. Je suis donc aussi en faveur d’une protection des photographes “amateurs”, même quand la photo a été prise sur un smartphone…

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