Photos de mariage, originalité, contrefaçon et presse people
Publié le 20 mars 2012
Bonjour
L’article d’aujourd’hui aurait presque pu être inséré dans la dernière chronique de “Compétence photo”, puisque j’y traitais des aspects juridiques de la photo de mariage..
Mais j’aurais dépassé l’espace imparti,….
…. je vous propose donc en parallèle de cette chronique l’analyse d’un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux rendu le 12 décembre 2011.
Les faits
Une comédienne et son fiancé avaient décidé de s’unir par le mariage, et avaient fait appel à un photographe pour couvrir la cérémonie.
Le contrat signé entre le photographe et les mariés prévoyait la livraison d’un DVD contenant entre 1400 et 2000 photos, pour un reportage allant de l’essayage de la robe chez le créateur jusqu’à la soirée clôturant le jour de la cérémonie.
Le photographe avait été en outre particulièrement rapide, puisqu’il livrait dès le lendemain du mariage le DVD contenant l’intégralité des clichés pris à cette occasion.
Près d’une semaine après cet événement, il découvrait dans un magazine “people” diverses photographies qui figuraient sur le DVD, et qui, pire encore, étaient créditées non pas à son nom, mais au nom d’une agence “Starface”. Enfin, ces photos avaient fait l’objet de modifications (“recadrage, réduction ou agrandissement” mentionne l’arrêt).
L’un des sites internet de l’actrice avait en outre reproduit une partie de ces photographies litigieuses.
Le photographe avait donc assigné :
. les mariés
. l’éditeur du magazine
. et la fameuse agence dont le nom figurait comme “auteur” des photos en question
Dans un jugement du 23 mars 2010, le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux avait débouté le photographe de ses demandes à l’encontre des mariés et de l’éditeur, et l’avait condamné à verser aux mariés la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile. Par contre, l’agence avait été considérée comme responsable, et avait été condamnée à verser au photographe une somme de 20.000 € au titre de dommages et intérêts du chef de préjudice moral et matériel, du fait des violations diverses du droit d’auteur du photographe.
Cette agence a donc interjeté appel du jugement rendu, ce qui a saisi la Cour d’Appel de Bordeaux.
L’arrêt (CA Bordeaux, 12/12/2011 – RG 10/03186)
A l’appui de son appel, l’agence condamnée en première instance avait invoqué :
. qu’elle avait reçu les photographies de l’actrice elle-même, qui lui avait assuré qu’elle détenait l’ensemble des droits sur ces photos;
. que les photographies ne présentaient en outre aucun caractère d’originalité, et à ce titre ne pouvaient pas être protégées par le droit d’auteur “car il s’agit de photographies prises sur le vif ne traduisant aucun effort créatif du photographe et attendues pour un reportage de mariage.”
. le photographe aurait donné son accord pour la reproduction dans le magazine, accord verbal déduit par l’agence de différents éléments du dossier
. et son nom figurait en tant que diffuseur et non auteur
. il n’aurait enfin subi aucun préjudice puisque de leur côté les mariés n’avaient pas donné leur accord au photographe pour la diffusion des clichés dans la presse, de telle sorte qu’il n’aurait pas pu en tirer un quelconque profit
. à titre subsidiaire, et même s’il devait avoir droit à une indemnisation quelconque,celle-ci ne devait être selon l’agence que purement symbolique, du fait de l’absence totale de notoriété du photographe
Un joli mélange des genres, donc, où il est question de droit à l’image pour justifier d’une atteinte aux droits d’auteur du photographe, et où l’on voudrait, du côté de l’agence, retenir au titre des critères donnant droit à une protection, la notoriété du photographe ayant appuyé sur le déclencheur…
Je vous fais grâce des arguments invoqués par les mariés et par le photographe lui-même, pour m’attarder sur la réponse de la Cour sur les différents points énumérés ci-dessus, réponse dont le contenu rassurera bien entendu l’ensemble des artisans-photographes pratiquant cette discipline :
. Sur le droit à l’image :
“Si les époux S. peuvent se prévaloir de leur droit à l’image concernant les photographies qui ont été prises dans le cadre de ce contrat qui étaient destinées à constituer le témoignage souvenir d’une cérémonie particulièrement importante dans leur vie personnelle, il n’en demeure pas moins que ce dernier ne peut être considéré comme prépondérant au regard des droits propres conservés par le photographe sur son oeuvre dés lors qu’elle revêt un caractère original et qu’il n’a procédé à la cession d’aucun droit de diffusion de celle ci. “
(Arrêt, page 6)
. Sur le prétendu accord du photographe pour la publication :
La Cour analyse les éléments avancés par l’Agence et par les mariés, et considère que ceux-ci ne suffisent pas à rapporter la preuve de l’accord du photographe. Elle relève également que la “diffusion” des photos, dans un cas comme celui-là, s’entend essentiellement de la “sphère familiale et amicale”
.Sur l’originalité :
“Pour bénéficier de la protection légale offerte par les dispositions des articles L 122 – 4 et L122 – 1 et L122 – 2 relative aux droits de reproduction d’une oeuvre, M T. doit rapporter la preuve du caractère original de ses photographies.
Ce dernier est notamment établi par la composition et la mise en scène qui se retrouvent sur certaines photographies qui ont été reproduites dans le journal (… ) telles que celle relative au dernier essayage de la robe de mariée présenté de dos en cours de laçage et en abîme devant un miroir et celle reproduisant en gros plan la main de la mariée ornée de son alliance mais également d’un bracelet plus original symbolisant l’union des époux.
Il se traduit également par la capacité reconnue unanimement au photographe Fréderic T. de se fondre dans une cérémonie de mariage pour capter les moments singuliers de celle ci de manière discrète et impromptue qui en font le charme et qui a conduit un certain nombre de ses clients à le choisir ainsi que l’établissent les témoignages de Mme R., de M Lionel L. T., de Mme C. et de Mme G.. Cette capacité l’a notamment poussé à choisir un grand angle pour intégrer dans le cliché la majesté de l’église dans laquelle s’est déroulée la cérémonie de mariage ( photographie de la sortie des mariés de l’église ) et en revanche à privilégier l’ usage d’une longue focale lors des instants symboliques de cette journée. Il favorise l’emploi de la lumière naturelle au lieu du flash.
Il apparaît d’ailleurs que l’empreinte de ce photographe telle qu’elle vient d’être décrite et se traduit dans les photographies publiées dans le journal (…) objets du présent litige, lui confère la possibilité de réaliser notamment sur le plan régional des photographies publicitaires de qualité pour des marques reconnues au titre desquelles il conserve ses droits d’auteur ainsi qu’en atteste la mention de son nom sur celles ci (publicités pour la marque /…/ et /…/ dans Le Guide du mariage Bordeaux et sa région mais également /…/ dans /…/ ). M F. gérant du journal BORDEAUX ACTU souligne la capacité de M T. à trouver l angle de prise de vues et les bons moments de prise afin de publier des articles complets de qualité idéale’.
Les douze photographies issues du corpus de plus de 1200 clichés pris pour la plupart sur le vif qui ont été publiés dans le journal /…/ et ont donné lieu à une remise qui s’est opérée le lendemain de la cérémonie de mariage dans les temps de la prise de vue sans possibilité de retouche traduisent d’autant plus l’originalité de l’oeuvre de M T..
En conséquence il y a lieu de considérer que c’est à bon droit que M T. revendique le droit de se prévaloir de la protection du droit d’auteur au titre des photographies précitées. Le jugement sera donc infirmé de ce chef. ” (Arrêt, pages 8 et 9)
. Sur l’obligation à réparation au titre de la diffusion sans autorisation de l’auteur par voie de presse :
La Cour rend à cet égard des attendus contenant une vraie condamnation de la démarche des mariés :
“En préambule il sera relevé que les époux S. et particulièrement Mme Jennifer L. alors qu’ils avaient acquis les photographies aux fins d’un usage limité à leur sphère privée n’ont pas hésité dans un souci de promotion de l’activité professionnelle de celle ci particulièrement friande de la publicité offerte par les médias à les remettre à l’agence /…/ , agence de presse dont ils ne peuvent prétendre avoir ignoré qu’elle les destinait à une publication dans le journal /…/ . Cette remise s’est opérée manifestement sans indication d’une quelconque réserve des droits de diffusion de l’oeuvre de M T. dont les époux S. ne pouvaient ignorer l’existence à ce titre. De ce fait M T. est manifestement en droit de rechercher leur responsabilité au titre du processus de violation de ses droits d’auteur.” (Arrêt, page 7)
Sur cette base, les mariés qui n’avaient pas été inquiétés par le TGI de Bordeaux, se verront donc condamnés comme nous l’évoquerons dans un instant.
Et la Cour précise, quant à l’Agence cette fois :
” Il en va bien évidemment de même de celle de la société /…/ qui en sa qualité de professionnelle, notamment de la diffusion de photographies dans la presse en contre partie de rémunérations, a vendu douze photographies qu’elle n’a au passage pas hésité à modifier sans l’accord de leur auteur, en s’appropriant la qualité d’auteur de ces dernières sans vérifier si elles étaient libres de droit de diffusion.” (Arrêt, page 7)
Le préjudice du photographe est donc bien établi, du fait de :
. la publication sans son autorisation
. l’impossibilité pour lui d’assurer la maitrise du choix des photos
. l’absence de choix laissé quant aux retouches opérées
. et la publication sans indication de son nom d’auteur
. ainsi que l’impossibilité pour lui de négocier le montant de la cession des droits sur ses photographies par leur véritable auteur
En conséquence, la Cour a condamné les mariés ET l’agence à payer au photographe les montants suivants :
. 10.000 € au titre de son préjudice moral
. 15.000 € au titre de son préjudice matériel
. 4.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile ainsi qu’à l’intégralité des frais et dépens
L’agence, qui est considérée comme ayant trompé l’éditeur sur les droits de diffusion des photographies, est en outre condamnée au profit de ce dernier au paiement d’une somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du même Code de Procédure
– Qu’en penser ?
Il est tout d’abord heureux que la Cour ne soit pas entrée dans le jeu de l’Agence et des mariés, et ait argumenté de façon complète quant à l’originalité.
On peut juste regretter par contre qu’il lui ait semblé nécessaire de justifier des publications passées du photographe… Si l’on comprend que celui-ci ait mis ces éléments en avant, l’originalité d’une photo s’apprécie toutefois en fonction de la photo elle-même, et non de la notoriété et des qualités de son auteur de façon générale.
Que se serait-il passé si les mêmes photos, d’une qualité identique, avaient été livrées par un photographe encore inconnu (ce qui ne l’empêchait pas d’être talentueux) ?
Au titre des enseignements intéressants, citons également une nouvelle mention de ce qu’un intervenant professionnel (ici l’Agence) doit vérifier elle-même si les photographies qu’elle diffuse sont libres de droit de diffusion. Cette obligation avait déjà été évoquée dans des billets précédents.
Un arrêt emprunt de bon sens donc, avec juste cette petite réserve sur l’utilité qu’il y avait à examiner la notoriété du photographe. Mais je me réjouis pour lui de l’issue de cette pénible affaire.
A très bientôt.
Joëlle Verbrugge
merci pour ce billet 🙂 !
Bienvenue au “n’importe quoi” dans les prétoires, si les juges doivent décider quelles sont les “” photographies prises sur le vif ne traduisant aucun effort créatif du photographe et attendues pour un reportage de mariage. “” !!
A part cette parenthèse, beau jugement bien ciselé ( toutes des citations en italique bleu ).
Mérite une grande … publicité.
Et encore bravo pour votre travail de belle vulgarisation.
Merci beaucoup pour l’explication et d’avoir relaté cette affaire. C’est riche d’enseignements et indispensable de comprendre ce qu’il peut arriver aux photos une fois livrées aux clients… Merci beaucoup aussi pour votre article dans Compétence Photo, de nouveau, j’ai beaucoup appris!
Bonjour, et merci
Ravie d’avoir pu vous renseigner
Excellente après-midi à vous
Joëlle Verbrugge
Certes les juges jugent en leur âme et conscience, mais devant tant de différences voire d’incohérences en matière d’appréciation d’originalité…
Juger sur le caractère artistique/original et non sur la source/origine
Dés lors qu’une photo est publiée donc sélectionnée par un éditeur, chef photo, rédacteur en chef; achat d’art, icono, elle a par rapport aux autres un caractère original par son intérêt à illustrer, informer, un espace sur un média a travers, un évènement, un site, ou présenter un personnage dans la vie quotidienne… elle ne peut donc être considérée comme ordinaire, banale… et de ce fait devrait être protégée d’office.
Y a t’il dans la magistrature des juges capables de déterminer l’originalité d’une œuvre musicale? aussi
Un auteur connu dans un pays et inconnu dans un autre n’aurait plus ses œuvres protégées dans tel pays…, pour ceux qui évoquent le manque de notoriété de l’auteur…
Merci pour cette intéressante info
Bonjour ,
Je suis photographe , des mariés ont fait imprimer une de mes photos pour réaliser leurs remerciements de mariage sans autorisation et à mon insu .
Je fais donc appel au tribunal de proximité , la partie adverse joue sur le fait de la création vue de l’esprit , à moi de prouver d’accord , mai en plus il invoque l’utilisation familiale alors qu’ils ont fait imprimer par un professionnel de la reproduction 60 exemplaires de la photo récadrée pour enlever ma signature .
Une utilisation familiale est elle plausible ?
à bientôt
Christian Jarno