Présomption d’innocence et utilisation de l’image d’un tiers – Que dit le rapport Guiguou ?
Publié le 17 décembre 2021
Sommaire
Bonjour à tous,
Dans cet article, il sera question aujourd’hui de la présomption d’innocence, et du conflit fréquent entre cette présomption et le droit à l’image et/ou le droit au respect de la vie privée.
Depuis le 15 juin 2000, date de la loi Guiguou sur la présomption d’innocence, les techniques ont évolué. Le développement des réseaux sociaux peut notamment être un vecteur important de diffusion d’images ou d’informations susceptibles de porter atteinte à cette présomption.
Pour tenter d’évoluer avec la technique, un rapport a donc été commandé à un groupe de travail composé de 13 membres (magistrats, avocats, journalistes et enquêteurs). Ce groupe a lui-même auditionné plus de 80 personnes, et pris connaissances de différentes contributions écrites sur ce sujet, pour finalement déposée un rapport en date du 14 octobre 2021.
Notons que ce groupe de travait était, précisément, présidé par Mme Elisabeth Guiguou, ex-ministre de la Justice qui avait donné son nom à la loi du 15 juin 2000.
Rappel : les liens entre présomption d’innocence et droit à l’image/droit au respect de la vie privée
A l’heure actuelle, deux dispositions doivent être citées en cette matière.
Tout d’abord l’article 9-1 du Code civil, introduit lui-aussi au moment (et par) la Loi Guiguou :
De son côté, la loi de 1881 sur la liberté de la presse prévoit :
Cet article constitue donc une disposition pénale puisque sa violation entraîne potentiellement une peine pouvant aller jusqu’à 15.000 € d’amende.
Que dit le rapport à ce sujet ?
Je ne vais pas détailler l’ensemble du rapport, dont le lien est donné à la fin de cet article. Je me contente d’aborder ce qui touche directement à l’image des personnes, en lien avec cette présomption d’innocence, pour rester dans le thème de mon blog.
Parmi les quatre grands axes du rapport de 217 pages, à savoir :
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- l’éducation des citoyens aux grands principes du droit et au fonctionnement de la justice ;
- la formation des acteurs de la justice et des professionnels en lien avec l’institution judiciaire ;
- le renforcement de la communication de la justice sur son fonctionnement et son action ;
- l’adaptation du dispositif civil et pénal à l’inflation des atteintes, notamment lorsqu’elles sont commises sur Internet,
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c’est essentiellement le 4ème axe qui était susceptible d’accueillir des dispositions liées à l’image d’une personne, notamment sur les réseaux sociaux.
Le coeur des développements de ce rapport à ce sujet se trouve à partir de la page 62, sous le titre “Rendre la protection civile de la présomption d’innocence plus efficace”, rappelant tout d’abord l’historique de l’article 9-1 du Code civil.
Comment concilier ce principe avec la liberté d’expression des tiers d’une part et le droit à l’information d’autre part ?
J’énumère brièvement les mesures suggérées par le rapport lorsque celles-ci peuvent avoir une incidence sur l’utilisation de l’image des personnes protégées par cette présomption :
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- Le rapport suggère (p65) de permettre au Procureur de la République d’introduire lui-même les actions civiles basées sur l’article 9-1 du Code civil, au lieu de limiter – comme c’est le cas aujourd’hui – la possibilité d’action à la personne protégée par la présomption ou ses ayants droit.
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“On peut imaginer que, dans certaines circonstances le procureur de la République pourrait estimer utile voire opportun, d’engager une telle action pour faire cesser des atteintes manifestes à la présomption d’innocence notamment lorsqu’elles se manifestent avec violence sur les réseaux sociaux, la communication fondée sur le seul article 11 du code de procédure pénale pouvant s’avérer insuffisante pour maîtriser les attaques sur les plateformes en ligne, ce d’autant que la personne victime de ces attaques n’ose pas ou est dans l’impossibilité d’engager elle‐même l’action fondée sur l’article 9‐1 du code civil. “
Cela peut paraître étonnant dans la mesure où il existe déjà, comme je l’ai évoqué, une disposition pénale en cas de publication de l’image de l’intéressé, mais la proposition visera, en pratique, les hypothèses où l’éventuelle atteinte ne se ferait pas par le biais de la publication d’une image et/ou les cas où il n’y a pas de procédure pénale en cours (voir proposition suivante ci-dessous).
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- Le rapport suggère “d’approfondir” la réflexion sur la possibilité d’invoquer la présomption d’innocence même si aucune procédure pénale n’est en cours (p.69), à défaut d’un consensus sur ce point pendant les travaux du groupe d’étude.
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- À partir de la page 72, le rapport évoque la question de la régulation des réseaux sociaux. En d’autres termes, il s’agirait donc de limiter la liberté d’expression de façon “nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi” (comme l’exige la Cour européenne des Droits de l’Homme) notamment en prévoyant des “mécanismes efficaces pour mieux responsabiliser hébergeurs et opérateurs de plateformes en ligne en facilitant le retrait à bref délai des contenus illicites portant atteinte aux droits des personnes définis par la loi“.
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La proposition est bien sûr louable, le plus délicat sera de trouver un équilibre qui garantisse, d’un autre côté, que sur simple demande sans fondement, les propos d’un internaute ne soient pas effacés par une plateforme alors qu’ils ne contreviennent à aucune loi. La difficulté réside, comme toujours, dans la mise en pratique. Le rapport souligne qu’il existe déjà des dispositions légales susceptibles d’aboutir au même résultat, et notamment la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet, dite “Loi Avia” et de la loi du 24 août 2021 “confortant le respect des principes de la République” (voir à ce sujet en page 73 et suivantes du rapport).
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- Sur le plan pénal, le rapport touche surtout aux règles de la procédure pénale, et ne semble pas pouvoir avoir d’effet direct en matière d’utilisation de l’image d’une personne. Je ne m’y attarde donc pas.
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En conclusion
La principale modification qui pourrait avoir une importance dans le cadre de l’utilisation de l’image d’une personne – si la proposition contenue dans ce rapport est suivie d’effet – me semble être la possibilité pour le Ministère public d’actionner lui-même une procédure civile sur base de l’article 9-1 du Code civil. Sachant que, bien sûr, il peut déjà poursuivre sur base de l’article 35ter de la loi de 1991 sur la liberté de la presse. Il faudra bien sûr qu’une loi soit votée en ce sens.
Si l’esprit de la loi n’est pas détourné, on peut s’en réjouir : la présomption d’innocence fait partie des droits fondamentaux.
Il faudra donc veiller à ce qu’aucune poursuite ne soit, par contre, mise en oeuvre dans le but de faire disparaître les propos des lanceurs d’alertes et autres journalistes d’investigation.
Une remarque identique peut être faite quant aux procédures de régulation des réseaux, et à la responsabilisation des plateformes : il faudra éviter que les mesures législatives destinées à protéger la présomption d’innocence ne soient utilisées à des fins de censure. Délicat équilibre, comme toujours…
Voir également :
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- L’ouvrage “Droit à l’image et droit de faire des images”, Ed. KnowWare, 2ème éd., qui contient de nombreuses jurisprudences commentées sur ce sujet.
- Lien vers le texte intégral du rapport : http://www.presse.justice.gouv.fr/art_pix/Rapport%20pr%E9somption%20innocence%2020211015.pdf
- Lien vers la synthèse publiée sur le site du Ministère de la Justice :
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/20211014_synthese_rapport_presomption_innocence.pdf
À très bientôt,
Joëlle Verbrugge