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Rafales et scènes d’action sportive

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Bonjour à tous,

Revenons sur la question de l’originalité, qui souffre parfois des progrès faits par les performances des boîtiers actuels.

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Les faits

Deux photographes qui exerçaient sous forme de société commerciale avaient conclu un partenariat avec la société exploitant le Club de Football de leur ville.

Les parties avaient conclu trois conventions annuelles successives, aux termex desquelles les photographes assuraient la couverture photographique de l’activité sportive du club, en contrepartie de quoi des bannières publicitaires au nom de leur société étaient placées en divers endroits du stade.

Fin août 2008, la SARL des photographes, qui avait exécuté d’autres prestations non comprises dans le partenariat, adressait une facture au club de sport. Dans le même temps, le renouvellement du contrat de partenariat n’a pu se finaliser.

Les photographes, estimant alors que leurs photos étaient utilisées abusivement par le Club, assignèrent celui-ci en faisant valoir :

               – la rupture brutale et abusive des pourparlers commerciaux

               – la violation de leurs droits d’auteur sur les  photographies

Ils demandaient également la condamnation au paiement de leur dernière facture, correspondant aux prestations non-incluses dans le partenariat.

Relevons que l’action était donc introduite par les photographes à la fois en leur nom propre, en tant qu’auteur, et au nom de la société pour le premier chef de demande).

Par un jugement du 28 janvier 2011 (dont je n’ai pas eu copie), le TGI de Paris n’a que partiellement fait droit aux demandes en condamnant certes le club au paiement de la facture, d’un montant d’un plus de 4.000 euros, mais en déboutant les demandeurs en ce qui concerne la rupture des pourparlers ainsi que sur la question des droits d’auteur.

Les photographes et leur société ont donc interjeté appel.

L’arrêt (CA Paris, 14/11/2012, RG 11/03286)

Devant la Cour, les photographes réitéraient leurs demandes en précisant différents éléments :

– Sur la facture

Les photographes avançaient que la facture litigieuse visait bien des prestations (30 prises de vue de l’équipe pro en présence des partenaires)  non couvertes par le contrat de partenariat (qui ne visait que la photographie des seuls joueurs de l’équipe et des membres du staff administratif et technique destinée à devenir la photographie officielle de l’équipe).

Le Club avançait à titre principal que la prestation était bien inclue dans le partenariat et qu’à défaut, il fallait réduire cette facture à la somme de 500 €

Face à ces argumentations, la Cour va examiner le contenu du partenariat de départ,  le comparer avec la facture et la seule contestation émise avant la procédure par le Club (contestation qui ne concernait que 2 points précis parmi les 6 postes de facturation).

Elle conclut à cet égard que cette commande, par son intitulé, porte sur 30 prises de vue de l’équipe pro accompagnée des partenaires du club et ne peut se confondre avec la prestation prévue au contrat de partenariat portant sur les photographies individuelles des joueurs de l’équipe première; qu’au demeurant, le fait qu’elle ait fait l’objet d’une commande spéciale de la part du manager général du club montre qu’il s’agissait bien dans l’esprit des parties d’une prestation non prévue au contrat de partenariat” (CA Paris, 4/11/2012).

Les magistrats confirment donc le jugement entrepris, qui condamnait le Club à verser la quasi-totalité de la facture, à l’exception de deux postes qui avaient été valablement contestés avant l’introduction de la procédure.

– Sur la rupture des pourparlers

Les photographes invoquaient, au nom de leur société, la rupture brusque des pourparlers qui auraient dû amener à un 4ème contrat de partenariat, et réclamaient à ce titre une indemnisation de 10.000 €.

Le Club, quant à lui, argumentait en soutenant que la rupture était au contraire due à la SARL des photographes, qui avaient, début 2009, subordonné la signature du partenariat au règlement de la facture restant en souffrance.

La Cour a, à ce sujet, fait droit à la défense invoquée par le Club, en examinant la chronologie des échanges entre parties, et a donc débouté les photographes de ce chef de demande.

– Sur les droits d’auteur

Les photographes invoquaient la violation de leurs droits d’auteur sur 515 photos, divisées en différentes séries :

. 48 portraits de joueurs et de partenaires, dont il n’est ensuite plus réellement question dans le détail des argumentations

. 466 photos figurant dans un constat d’huissier
Pour toutes ces photos, les photographes invoquaient, de façon globale, qu’elles étaient “incontestablement originales” dans la mesure où ils avaient “librement et en toute indépendance choisi les sujets, les instants, les angles et les cadrages de chaque prise de vue, que l’ensemble de ces choix, qui leur sont propres, entraine nécessairement l’originalité des photographies de matches litigieuses.”  Ils invoquaient aussi travailler uniquement en mode manuel, et ne jamais utiliser de rafales

La Cour n’a cependant pas été réceptive à l’argumentation, et a estimé à ce sujet : “

Mais considérant qu’il ne s’agit que de simples allégations alors surtout que l’action sportive qui se déroule sur un stade sous les yeux du photographe professionnel exige une rapidité d’exécution lors de la prise de la photographie rendue aisée par les perfectionnements technologiques équipant les appareils photographiques numériques actuels tels que la prise de photographies en rafales ou le réglage automatique de l’obturateur, de la vitesse et de la lumière, ce qui constitue un atout pour le photographe sportif qui souhaite éviter de trop longs réglages nuisibles à l’action photographique.

Considérant d’autre part que si le choix des moyens techniques incombe au photographe, les situations qui, comme en l’espèce, s’offrent à son objectif au cours d’un match, ne sont que de banales scènes de jeu ou d’actions footbalistiques qui sont données à voir depuis des décennies dans tous les magazines sportifs; que la photographie prise au cours d’un match à l’insu des protagonistes n’est que le fruit du hasard qui trouve son origine dans les phases animées du jeu, dont tant la mise en oeuvre que le résultat échappe à la volonté du photographe qui ne fait qu’intercepter un instant fugace;

Considérant qu’il y a lieu de considérer que cet ensemble non-individualisé de photographies en ce qu’il ne révèle aucune recherche personnelle du photographe sur l’angle de prise de vue, le cadrage, les contrastes, la lumière et les physionomies n’est pas éligible à la protection du droit d’auteur;” (CA Paris, 14/11/2012).

. la photographie officielle de l’équipe de la ville, pour laquelle la Cour se prononça en ces termes :

“/…/ cette photographie est conforme aux représentations habituelles de groupe où les personnes sont disposées sur plusieurs rangs et alignées de manière à être toutes visibles et où le cadrage est dicté par la nécessité d’avoir l’ensemble des personnes sur la photographie, qu’enfin le lieu, en extérieur, est à peine visible; que l’ensemble de ces caractéristiques est banal pour ce genre de photos;  Considérant que les retouches ultérieures (recadrage, disparition des ombres, de bandes du terrain et des pieds du support au premier plan) ne sont que le résultat de manipulations techniques facilitées par l’emploi des logiciels de retouche photographique numérique et présentent également un caractère banal ne portant pas l’empreinte de la personnalité du photographe.”

J’ignore si un pourvoi a été formé contre cet arrêt.

Qu’en penser ?

Tout d’abord, et l’enseignement est ici conforme à la jurisprudence constante, qu’il faut, lorsqu’il s’agit d’originalité, démontrer PHOTO PAR PHOTO “les éléments de nature à caractériser pour chaque photographie l’empreinte de la personnalité du photographe” (Arrêt, p. 9). Ce qui, lorsque des centaines de photos sont concernées, s’avère rapidement ardu. Mais la Cour censure en des termes très clairs l’argumentation globale des photographes : “Considérant que la simple allégation que l’originalité doit être conférée non à quelques photographies sans davantage de précision mais à l’ensemble des photographies versées aux débats ne remplit pas cette condition, les auteurs des photographies à qui appartient la charge de prouver qu’elles sont éligibles au titre du droit d’auteur ne pouvant se prévaloir d’une présomption d’originalité.”

Un autre résultat aurait peut-être pu être obtenu en plaidant sur base de la notion de parasitisme, ce qui aurait consisté à affirmer que le Club tirait ainsi profit du travail de la SARL des photographes sans bourse délier. Tout dépend bien sûr des éléments du dossier, qui n’apparaissent pas tous au moment de rédiger un commentaire sur la seule base de la décision publiée, ici l’arrêt de la Cour d’Appel.

L’arrêt n’en reste pas moins sévère, notamment quant à l’utilisation des modes en rafale. J’ignore si les photographes avaient démontré devant le magistrat, par exemple avec les exifs des photos, que le mode rafale n’avait pas été utilisé, mais quand bien même il l’eût été, ceci ne me paraît pas exclure des choix artistiques au moment du post-traitement. Un photographe ne conserve pas toutes ses prises, surtout lorsqu’il a déclenché en rafale, et il est possible d’imprimer à la photo une touche personnelle au moment de la recadrer, ou de lui appliquer l’un ou l’autre effet.

Ce ne fut toutefois pas l’avis de la Cour d’appel.

                        Joëlle Verbrugge

8 commentaires sur cet article

  1. bonjour Joëlle,
    “que la photographie prise au cours d’un match à l’insu des protagonistes n’est que le fruit du hasard qui trouve son origine dans les phases animées du jeu, dont tant la mise en oeuvre que le résultat échappe à la volonté du photographe qui ne fait qu’intercepter un instant fugace”…..?!?????
    n’importe quoi…!!!
    la photographie sportive, c’est justement la volonté du photographe d’intercepter un moment fugace, très précis, prévu et attendu… et pas n’importe lequel, au hasard du pifomètre avec la rafale à 9 images/s… 🙂

  2. “Les photographes, estimant ALORS que leurs photos étaient utilisées abusivement ”

    Est ce à penser qu’ils prétendaient que les photos livrées dans le cadre de leur contrat ne soient plus exploitées du fait du non renouvellement (donc à l’issue) de celui ci ?

    Ci cela (la durée) avait été précisé au contrat (une cession de droit EST un contrat ?) le terrain aurait été strictement commercial et donc sans équivoque non ?

  3. Le jugement est juste hallucinant ! Faisant de la photographie sportive, en arriver à dire que saisir l’action n’est qu’une question de chance, c’est bien démontrer encore une fois la méconnaissance de la photographie par les juges. Le problème étant bien que ce sont les juges quirestent les seuls maîtres de ce jugement quant à la facilité ou non d’exécution qui au final semble être le seul facteur selon eux de l’originalité des photographies sportives.
    Dire qu’il suffit de se mettre en automatique (sans parler du mode rafale) pour faire de la photographie sportive et les réussir me fait vraiment peur ! Cela implique vraiment, si on extrapole ce jugement, qu’il devient de plus en plus difficile, si ce n’est impossible, de démontrer qu’une photo sportive n’est pas le fruit du hasard mais résultant non seulement d’une volonté de cadrage, mais également de placement et de suivi de l’action.
    Dernier point, l’argumentaire reposant sur le fait qu’un sport, n’ayant rien d’original, ne donne aucune possibilité d’originalité dans le traitement d’une photographie sportive me fait encore plus peur… Le photographe de sport est au final plus ou moins voué à être une machine en mode automatique selon les juges !

  4. Donc si on suit le raisonnement du tribunal, aucune photo de sport n’est originale, mais dans ce cas-là, aucune photo de concert non plus vu que c’est plus ou moins les mêmes problématiques, et probablement aucune photo d’actualité (genre on a déjà vu des dizaines ou centaines de photos de tel ou tel type d’événement et le photographe n’a eu qu’un coup de chance s’il en a tiré une photo intéressante) !

  5. Que penser de “l’Originalité des plaidoiries” des avocats qui emploient à l’infini ce stratagème (démontrer l’originalité de chaque image de l’auteur), pour faire traîner ou clore les demandes des Photographes ?
    30 ans d’expérience, spécialisé en Architectures, Décorations et Arts de vivre Provençal, 16.600 images imprimées, diffusées, parues …Et je ne serai qu’un technicien, ayant juste du savoir-faire ?
    J’ai honte.

  6. Bonjour

    De toute évidence les Tribunaux ne maîtrisent pas les questions sportives” et même le CNOSF le reconnait dans ses publications.

    Qu’en aurait-il été ( et sans savoir ce qui a été exposé et plaidé par les avocats des parties ) si l’un des juges avait été photographe lui-même, un peu averti ou non voire ( désolé pour ceci) si l’avocat des photographes avait été bien plus convainquant ?….. Je vous le donne émile… peut-être une décision plus favorables ce que d’aucuns aurait alors appelé une jurisprudence favorable aux pros !

    Alea est bien le maître mot en matière judicière.

  7. “Ce pull est-il original ? Non, pourtant il est brodé d’un tout petit croco, vendu 5 fois le prix d’un pull ordinaire et protégé par le droit d’auteur. Il y a d’ailleurs de forte chances que tout deux — le pull ordinaire et le pull de marque — aient été fabriqués au même endroit.”

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