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Un petit juriste dans votre poche ?

Bonjour

Quelques mots aujourd’hui sur un logiciel dont l’existence m’a été signalée la semaine dernière par un lecteur (merci à lui), et qui pourrait s’avérer utile.

L’application “Easy Release”, disponible pour iPhone et Androïd, a en effet pour objet de proposer des modèles-types d’autorisation de diffusion pour vos photos et ce dans plusieurs déclinaisons, et l’application annonce au moment de son téléchargement qu’il s’agit des modèles proposés par l’agence Getty Images.

La procédure globale d’utilisation a été décrite A CETTE ADRESSE qui renvoie également aux liens de chargement, et le logiciel est proposé pour quelques euros.

Qu’en est-il de la validité juridique de cette application ?

Deux questions doivent en fait être posées :

. la validité ou du moins l’efficacité du CONTENU des modèles d’autorisation proposés
. et la force probante de la preuve ainsi constituée en cas de litige ultérieur

– Sur le CONTENU des autorisations

Les autorisations-type sont proposées en français dans les déclinaisons suivantes :
. modèle (format standard – majeur ou mineur)
. modèle français photographié en France (majeur ou mineur)
. propriété photographiée en France
. propriété photographiée hors de France

Je n’ai examiné en détails que les modèles pour les photographies prises en France, laissant volontairement de côté l’aspect relatif au Droit International Privé. En effet, l’hypothèse où un Français serait photographié à l’étranger impliquerait en effet qu’on se penche également sur l’application du droit français devant des tribunaux étrangers, ou sur l’introduction d’une procédure en France contre un diffuseur étranger – ce sujet est trop vaste pour être traité dans cet article et fera sans doute l’objet d’un article ultérieur.

A l’examen détaillé des autorisations proposées, les remarques suivantes me viennent  à l’esprit :

. Les modèles (majeurs ou mineurs) français photographiés en France

– l’autorisation est établie d’emblée pour une durée de 5 ans renouvelable par tacite reconduction moyennant préavis de 6 mois par lettre recommandée avec accusé de réception.

Il aurait été peut-être utile de prévoir une possibilité de modifier cette durée manuellement au moment de compléter l’autorisation.
Cela étant, la modalité est valable juridiquement, puisque la jurisprudence a même confirmé (j’en faisais état dans un précédent article) la validité de contrats d’images ne contenant aucune limitation de durée).

“Je reconnais ne pouvoir prétendre à aucune autre rémunération supplémentaire et m’interdis toute revendication qu’elle soit auprès du Photographe, ru réalisateur du film et/ou leurs ayants droits. “
A cet égard, il me semble qu’il faudrait une fonctionnalité supplémentaire dans l’application. En effet, et en l’état, l’application ne semble pas permettre de préciser le montant de la rémunération convenue avec le modèle.
A partir de ce constat, deux possibilités peuvent se présenter :
. soit l’application ne peut être utilisée que pour des autorisations concédées à titre totalement gratuit, ce qui limiterait désagréablement son utilité
. soit, afin d’éviter un litige ultérieur, il faudrait pouvoir insérer des précisions sur la rémunération déjà convenue, après quoi seulement la phrase interdisant au modèle                de réclamer “toute rémunération SUPPLEMENTAIRE” prendrait tout son sens retrouverait un peu d’efficacité juridique

Il me semble donc que cette fonctionnalité devrait être insérée : les conflits naissant le plus souvent pour des considérations financières, omettre une telle précision est à mon sens une  source  possible de difficultés.

 . Les propriétés situées en France

– il n’y a plus aucune mention dans ce modèle de la durée de validité de l’autorisation donnée
Certes la jurisprudence n’y verra donc pas de difficulté (sauf revirement qui n’est pas à exclure de la part de nos juridictions), mais il me semble que le propriétaire du bien pourrait hésiter à signer, à défaut de savoir pour combien de temps il s’engage

– ce modèle est quant à lui un peu plus précis sur la rémunération puisqu’il indique “Je reconnais avoir reçu une contrepartie au titre des droits concédés en vertu des présentes. Je reconnais ne pouvoir prétendre à aucune autre forme de Contrepartie et m’interdis à l’avenir de formuler toute réclamation”
Dans cette hypothèse donc, nous avons la confirmation de ce que l’autorisation peut servir pour une cession à titre onéreux, mais toujours pas de possibilité de confirmer le montant convenu.

Ces précisions pourraient peut-être anticiper certaines situations conflictuelles, et me paraitraient utiles pour une pleine efficacité des autorisations proposées.

– Sur la FORCE PROBANTE de l’autorisation obtenue

. Rappel des règles de preuve en matière civile

En droit français, les règles de preuve  sont contenues aux articles 1315 et suivants du Code civil.

La matière de la preuve par écrit a été considérablement assouplie en 2000, puisque l’article 1316  du Code civil est désormais rédigé comme suit : “La preuve littérale ou preuve par écrit résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalité de transmission”.

Les deux dispositions suivantes méritent toutefois également d’être reproduites :

Art. 1316-1 : “L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane, et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité”

Art. 1316-2 : “Lorsque la loi n’a pas fixé d’autres principes, et à défaut de conventions valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu’en soit le support”

En d’autres termes, en cas de litige sur la réalité de l’autorisation donnée pour la diffusion des photographies litigieuses, le Juge éventuellement saisi s’aidera de l’ensemble des échanges intervenus entre le photographe et son modèle (ou le propriétaire du bien photographié) pour déterminer quel est l’élément déterminant permettant de fixer les droits et obligations de chacun.

. Mise en oeuvre pour l’application étudiée

Comme vous le verrez dans le mode d’emploi du logiciel et sur les captures d’écran proposées dans le site, la conception de l’autorisation se fait en plusieurs étapes. Le cheminement imaginé par le développeur de l’application est fort bien conçu, et ne néglige pas de détails. La possibilité de faire intervenir un témoin est en outre une précaution utile et appréciable.

Peut-être serait-il utile de prévoir que l’envoi du pdf au photographe et au modèle se fera avec accusé de réception électronique.

Au titre des éléments de nature à convaincre le Tribunal, en cas de litige, de la réalité de l’intervention du modèle, figurera sans aucun doute la mention de son adresse et de sa date de naissance, éléments qu’un tiers complice, en cas de falsification, ne pourra pas forcément connaitre.

Il ne manque donc sans doute que les précisions suggérées ci-dessus dans l’étude du contenu des autorisations

   En conclusion, le risque de l’application me parait être de ne pas pouvoir démontrer que le signataire de l’autorisation était réellement le mannequin concerné ou de se voir opposer le fait que la signature tracée sur l’écran ne serait pas réellement celle du modèle. Mais l’ajout d’une possibilité d’envoyer copie de cette autorisation, une fois accomplie, au modèle lui-même, et d’insérer en outre l’identité d’un témoin de la séance contrebalance efficacement ces écueils.

La signature sur l’écran tactile n’est forcément pas aussi probante qu’elle ne le serait par écrit,  et ce d’autant que le tracé risque d’être moins précis et donc de présenter quelques différences avec un exemplaire de la signature du même mannequin apposée sur papier, mais une chose est sûre par contre : il vaut bien mieux une telle autorisation que pas d’autorisation du tout.
Le logiciel dépannera fort utilement dans le cadre d’une séance improvisée, ou même d’un cliché unique pris dans un lieu public avec un modèle conciliant.
Il ne réglera pas le problème né de l’éventuel réaction de refus d’un modèle dans le cas d’une photo isolée prise en rue, par exemple, mais cela rien ne pourrait le faire.

Pour l’organisation de séances photos en série, à l’initiative d’une agence de casting ou d’un photographe mieux vaut par contre encore se contenter d’un exemplaire papier plus classique, du moins aussi longtemps que le Tribunaux ne seront pas, en pratique,  plus ouverts à l’admission de modes de preuve technologiquement plus souples.

Une chose est sûre par contre : dès que l’application vous aura envoyé, à vous, photographe, ainsi qu’au modèle, une copie de l’autorisation signée, je ne peux que conseiller de doubler encore cet envoi par un second mail ne fût-ce qu’en confirmation des accords intervenus, ou sous prétexte d’envoyer un cliché au format réduit, et ce au moyen d’un mail avec accusé de réception. Ceci confirmera que l’adresse eMail inclue dans l’autorisation créée sur votre téléphone correspondait bien à celle du modèle.
Mieux encore, puisque vous disposez de l’adresse postale du modèle, pourquoi ne pas lui faire en plus cadeau d’un tirage papier, dont la preuve de l’envoi restera en votre possession, et qui confortera, en cas de litige, la réalité de l’autorisation accordée “technologiquement”  ? Vous confortez ainsi par la voie plus classique (envoi en colissimo par exemple) l’adresse et l’identité du modèle, qui ne pourra plus ensuite nier avoir reçu les tirages.. et sera mis en position nettement  moins confortable pour éventuellement nier avoir aussi signé en personne l’autorisation, si une telle envie lui venait à l’esprit.

Ainsi vous aurez mis toutes les chances de votre côté pour que la  preuve que constituait la signature au moyen de l’application étudiée soit ensuite admise par un Tribunal, au vu des écrits plus “classiques” qui auront suivi entre vous et le modèle.

Mais cela étant, félicitation aux développeurs de l’application qui est un outil potentiellement très utile, sous réserve pour l’instant d’y apporter les petites fonctionnalités supplémentaires.

A suivre donc, car c’est une belle idée.

Joëlle Verbrugge

16 commentaires sur cet article

  1. Commentaire laissé par Fred le 21/9/2010
    bonjour!

    Je suis à l’origine de l’article sur le blog reflex-photo.eu. Je peux ajouter qu’il est possible d’importer ses propres modèles de textes (par exemple avec des durée différentes ou des remunérations différentes)

    il est egalement possible de prendre la photo du modèle au moment de la session, ce qui permettra de la voir dans l’environement des photos prises par la suite pour recroiser

    1. Ah merci pour la précision, ça peut en effet être utile..

      Le chargement de l’application continue par contre à poser problème, la procédure est un peu longue, mais peut-être que le problème est isolé sur mon téléphone.
      Joëlle Verbrugge

    2. merci à nouveau pour cette précision

      Pour ceux qui auraient d’autres retours d’expérience quant à l’utilisation de l’application en pratique, n’hésitez pas à le faire savoir ici. Les expériences de certains peuvent servir aux autres.

  2. Commentaire laissé par Shadow le 22/9/2010

    Un détail me fait tiquer, la possibiliter d’ajouter “l’ethnie” du modèle : en enregistrant des modèles successifs, on aboutit donc à une liste de personnes avec, si on l’a renseignée, leur ethnie. Or il me semble que ce genre de fichage est interdit en France… Suis-je parano (et sommes-nous ici en dehors du cadre de la CNIL), ou bien y a-t-il problème potentiel ? (auquel cas laisser sur “indéterminé règle les choses).

    1. En effet, bonne remarque. Dans la mesure où il s’agit de bien décrire le modèle pour éviter toute confusion cela me gêne moins d’autant moins que les données ne sont pas destinées à devenir publiques, il s’agit d’un simple contrat entre photographe et modèle.

      Bien sûr sous réserve que les données ne soient pas transmises à notre insu ailleurs…

      Mais rien n’empêche bien sûr d’indiquer “Indéterminé” ainsi aucune critique ne pourrait être formulée.
      Joëlle Verbrugge

  3. Précision laissée par Fred le 22/10/2010

    j’ai envoyé le lien de ton article au développeur, on verra ce qu’il peut en faire. D’ici là, il m’a donné le lien avec la procédure pour ajouter ses textes personnalisés (pour iphone et android). ça se passe par ici : http://www.applicationgap.com/faq/

    J’en profite pour rappeler que si vous avez un iphone, vous pouvez encore gagner l’application jusqu’à ce soir 😉 cf le blog

  4. Commentaire laissé par Denis G. le 13/10/2011

    Bonjour,

    tout d’abord, merci pour vos articles que je lis régulièrement ici ou sur compétence Photo.

    Concernant cette application, savez vous si elle a intégré les quelques remarques que vous avez signalées?

    Cordialement,

    DG

    1. Bonsoir

      Pour répondre à votre question je n’ai eu aucun contact avec les auteurs de cette application… et à vrai dire, je n’ai pas ensuite re-téléchargé l’application pour vérifier… il faudrait que je m’en occupe… quand j’aurai 10 minutes.. 😉

      Si vous téléchargez l’application et que vous avez le courage de m’extraire les textes, vous me ferez gagner du temps 😉

      Et toujours ravie quand je peux répondre à un lecteur satisfait 😉

      Joëlle

    2. Réponse de Denis G.
      Je vais essayer de le faire, car je suis sur que ca interesserait beaucoup de monde. N’anmoins, je ne vous promets pas de délai car je vais être pas mal occupé dans les jours à venir (avis aux elcteurs: si quelqu’un les a déjà, il peut les transmettre avant moi, je ne m’en offusquerai pas!)

      D’après la première lecture du site, il semblerait que le texte soit entièrement configurable, ce qui serait de bonne augure!

      Je creuse la question!

  5. Bonjour,
    Il y a déjà plusieurs années que je cherche une solution dématérialisée pour ma gestion des droits d’exploitation (je fais des portaits dans le domaine de l’entreprise), et jusqu’alors je n’ai pas franchi le pas à cause de la “faiblesse juridique” de la signature manuscrite numérique. Le droit a-t-il évolué depuis la publication de cet article, y a-t-il un moyen de renforcer la valeur juridique de cette signature en faisant intervenir une certification en ligne (du type cryptolog, ou rightsignature), ou adjoindre une photo de pièce d’identité du signataire ? En résumé, y-a t’il en 2014 une alternative au papier qui soit plus simple, et aussi forte juridiquement ?
    Merci d’avants pour vos éclairages (juridiques j’entends)
    Régis Corbet

    1. Bonjour
      A ma connaissance pas d’évolution à ce niveau.
      Et il faudrait en tout état de cause que vous ayez la possibilité de démontrer que la personne qui signe, de façon dématérialisée, est bien la personne qui est représentée sur la photo…
      Le meilleur moyen est de la prendre en photo de façon distincte au moment où elle signe…
      Mais rien ne dit que cela suffirait à convaincre un Tribunal.
      Et je pense à l’instant : ajouter un mode d’identification en posant une question à laquelle seule la personne peut répondre,comme on le fait dans certaines applications informatiques pour récupérer le mot de passe.
      Ex : quel était le nom de jeune fille de votre mère etc…
      Mais cela devient complexe… pas sûre que les modèles marchent dans le système..
      Cordialement

      Joëlle Verbrugge

  6. Merci pour cette réponse détaillée, effectivement si on ajoute toute ces contraintes, on s’éloigne du but initial qui était la simplification…
    Pour l’instant je suis resté sur mon système papier doublé d’une numérisation des autorisations signées.

  7. Bonjour,
    Jeune photographe (je réalise principalement des portraits) qui souhaite se lancer en freelance, j’aimerais avoir votre avis à propos de l’application “Shake by legalshield”. Savoir d’une part, si elle est utilisable en France et d’autre part, si elle semble être meilleure que l’application “Easy Release”.
    En attente de votre réponse juridique, je vous souhaite une agréable journée !
    Redha Kebir

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