Un premier jugement relatif à l’exception de fouille de textes et de données (Affaire Kneschke)
Publié le 5 octobre 2024
Sommaire
Bonjour à tous,
Revenons sur l’I.A. face au droit d’auteur, dans le cadre de l’affaire qui oppose, en Allemagne, le photographe Robert KNESCHKE à LAION.
LE CONTEXTE
J’ai déjà publié un article de mise à jour sur cette affaire fin juillet (voir ICI), alors qu’une audience avait eu lieu devant le Tribunal de Hambourg.
Ceci complète donc les propos déjà exposés concernant cette affaire dans le Chapitre 2 de mon ouvrage :
Je ne reviens pas sur les explications globales à propos de l’exception dite “de fouille de textes et de données”, ajoutée au droit européen (puis au droit français et aux autres droits internes des pays membre de l’UE). Ces explications, très détaillées, se trouvent notamment en pages 95 à 114 de mon ouvrage.
LE JUGEMENT RENDU À HAMBOURG LE 27 SEPTEMBRE 2024
Dans le cadre de la procédure qui se tient en Allemagne, il restait, pour le Tribunal, à déterminer si le fait pour LAION d’intégrer une oeuvre préexistante dans la base de données d’images, qui sert ensuite pour l’apprentissage des I.A. est en soi un acte de contrefaçon ou si, au contraire, cette utilisation de l’oeuvre préexistante reste légale et entre dans le champ de cette fameuse exception “de fouille de textes et de données”.
J’étais pour ma part quasi certaine que le tribunal de Hambourg allait interroger la Cour de justice de l’Union européenne dans le quadre d’une question préjudicielle. En quelque sorte pour “se couvrir” et donner une certaine “légitimité européenne” à sa décision.
Ce ne fut pas la voie choisie et, par un jugement du 27 septembre 2024, le tribunal saisi a débouté le photographe de ses demandes, estimant que LAION était bien un organisme de recherche, ce qui le plaçait dans une situation lui permettant d’invoquer l’exception de fouille de textes et de données (et, plus précisément, sa version la moins favorable aux auteurs, ne permettant pas même une déclaration d’Opt-Out”.
La notion de “recherche scientifique” est ainsi entendue dans un sens large. Traduite en français, cette décision contient notamment l’argumentation suivante :
“Le terme de recherche scientifique, puisqu’il permet déjà de se contenter de la « poursuite » méthodique et systématique de nouvelles connaissances, ne doit pas être compris de manière si étroite qu’il ne couvrirait que les étapes de travail directement liées à l’acquisition de connaissances ; il suffit plutôt que l’étape de travail en question vise à acquérir (ultérieurement) des connaissances, comme c’est le cas, par exemple, pour les nombreuses collectes de données qui doivent d’abord être effectuées afin de pouvoir ensuite tirer des conclusions empiriques. En particulier, la notion de recherche scientifique ne présuppose pas un succès ultérieur de la recherche.
Ainsi, contrairement à l’avis du demandeur (le photographe), la création d’un ensemble de données du type en litige, qui peut servir de base à l’entraînement de systèmes d’intelligence artificielle, peut certainement être considérée comme de la recherche scientifique au sens précité. Bien que la création de l’ensemble de données en tant que tel ne soit pas encore associée à un gain de connaissances, il s’agit d’une étape de travail fondamentale dans le but d’utiliser l’ensemble de données en vue d’un gain de connaissances ultérieur. On peut affirmer qu’un tel objectif existait également dans le cas présent. Pour cela, il suffit que l’ensemble de données ait été – incontestablement – publié gratuitement et donc mis à la disposition des chercheurs (également) dans le domaine des réseaux neuronaux artificiels. […]
Le fait que l’ensemble de données litigieux puisse également être utilisé par des entreprises commerciales pour l’entraînement ou le développement de leurs systèmes d’intelligence artificielle n’est toutefois pas pertinent pour la qualification des activités de la défenderesse. Le simple fait que des membres individuels de la défenderesse exercent également des activités rémunérées pour ces entreprises en plus de leurs activités pour l’association ne suffit pas pour attribuer les activités de ces entreprises à la défenderesse comme étant les siennes propres ».
Cette décision suscite déjà bon nombre de commentaires, notamment quant à cette qualification “d’activité de recherche”. On sait en effet que la base de données de LAION est utilisée ensuite pour l’apprentissage des I.A. génératives, exploitées quant à elles à titre commercial. À ce titre, on aurait pu au moins imaginer qu’elle invoque l’autre déclinaison de l’exception de fouille de textes et de données, accessible aux structures commerciales et conditionnées au fait que l’auteur n’ait pas, en amont, exercé son droit d’opposition.
De très nombreux juristes vont, au fil du temps, se pencher sur cette décision. J’en résumerai les analyses ultérieurement. Il est trop tôt pour avoir une vue d’ensemble sur cette décision toute récente.
L’AFFAIRE EST-ELLE TERMINÉE ?
Absolument pas. Un appel reste possible et, lorsque je l’ai interrogé (le 3 octobre 2024) sur ses intentions, le photographe allemand m’a rapidement répondu qu’il étudiait avec son avocat l’opportunité de faire appel, et qu’il était très probable qu’il se dirige dans cette voie :
L’ENJEU DE L’AFFAIRE KNESCHKE
Affaire à suivre, donc. De très très près, car elle est en effet primordiale pour tout le monde : tant pour les auteurs d’oeuvres préexistantes que pour les sociétés exploitant les I.A.
Ne nous leurrons pas, en effet :
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- Soit l’acte d’intégrer une oeuvre dans la base de données d’apprentissage des I.A. est en soi un acte de contrefaçon, et dans ce cas c’est le modèle complet des I.A. génératives qui est mis en péril.
- Soit au contraire l’intégration d’une oeuvre préexistante dans une base de données d’apprentissage n’est pas un acte de contrefaçon (comme vient de le décider en première instance la juridiction allemande), auquel cas les auteurs des oeuvres préexistantes ne pourront envisager d’action en contrefaçon QUE lorsqu’un contenu généré par l’I.A. sera à ce point proche de leur oeuvre préexistante que le plagiat peut être envisagé et plaidé. Ceci rendrait la tâche des auteurs humains nettement plus complexe !
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Pour aller beaucoup plus loin sur toutes ces questions, je vous invite donc à vous plonger dans la lecture de mon ouvrage. Détails, table des matières vidéo de présentation et lien de commande PAR ICI.
À très bientôt.
Joëlle Verbrugge
Très intéressant cet article. On sait très bien que le terme “à des fins de recherche scientifique” est une phrase “bâteau”, foure tout et que de toute façon la finalité c’est bien pour une utilisation commerciale puisque les programmes IA sont vendus et rapportent entre autre des bénéfices et des royalties.