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Contrefaçon de photo dans une peinture – Une affaire défraie la chronique en Belgique

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Bonjour à tous,

Une fois n’est pas coutume, je me charge également de l’analyse d’un jugement rendu par le Tribunal de Première Instance d’Anvers (Belgique) dans une affaire qui semble défrayer un peu la chronique dans mon pays d’origine, et suscite des débats animés.

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Les faits

Une photographe de presse réputée est l’auteur d’une photo représentant un homme politique, prise lors des élections de 2010. Par la suite, un peintre anversois, de grande renommée, a reproduit cette photo sur toile, laquelle avait été vendue sous le titre “A belgian politician”  à un riche collectionneur américain qui la reproduisait lui-même dans le catalogue de sa collection privée (et pourtant non, l’Anglais n’est pas une langue officielle en Belgique – NDLR). L’oeuvre fut en outre exposée à Dallas de Septembre 2013 à janvier 2014. Il semble donc que la cote de popularité des politiciens belges soit à la hausse, au moins outre Atlantique 😉

Pour vous faire une idée des visuels, photo et peinture, je vous suggère de jeter un oeil sur le site de ce grand quotidien belge (et surtout descendez jusqu’au bas de la page, car ils se sont amusés à superposer les deux images mises à la même échelle)

DeMorgen

La photographe avait alors assigné le peintre en août 2014 devant le Tribunal de Première instance (équivalent du TGI français) et ce pour obtenir qu’il soit fait interdiction au peintre de continuer à reproduire cette oeuvre, et ce sous astreinte de 500.000 € par infraction constatée.

Le Tribunal a rendu un jugement le 15 janvier dernier, faisant droit aux demandes de la photographe.

Au vu de l’engouement que suscite cette affaire, je n’ai donc pas résisté à la tentation diabolique de me replonger dans la langue de Vondel pour jeter un coup d’oeil à ce jugement que m’a aimablement transmis un photographe fort impliqué dans la mise en valeur de l’art photographique.

Le jugement (Rechtbank van Eerste Aanleg, Antwerpen, 15/1/2015, AR 14/4305/A)

Pour sa défense, le peintre, qui reconnaissait que la photo d’origine lui avait servi d’inspiration, invoquait essentiellement le droit de parodie pour faire obstacle à la demande de la photographe. Il indiquait en outre que les ressemblances n’étaient pas si frappantes, le format et les couleurs n’étant pas identiques, et le fond de sa toile n’était pas noir comme l’était celui de la photo. Selon lui, la parodie résidait également dans le titre choisi pour l’oeuvre et qu’il s’était placé “dans le champ conceptuel”, voulant démontrer la “deliquescence de la politique belge”.

La demanderesse, quant à elle, relevait toutes les similitudes entre les deux oeuvres (position du visage, cadrage, lumière, position du sujet, etc.)

Après avoir rappelé le contenu des droits patrimoniaux et moraux dont jouit chaque auteur, le Tribunal énonce également les exceptions qui sont énumérées par la loi belge. Parmi celles-ci, l’exception de parodie (qui existe bien sûr aussi en droit français).

Le Tribunal considère toutefois, au vu des deux oeuvres, que la peinture reprend les éléments les plus marquants de la photographie d’origine.

Il souligne que l’exception de parodie implique la réunion de conditions très précises :

. la parodie doit être évidente,
. il ne peut pas y avoir de confusion avec l’oeuvre d’origine
. il faut une dimension ludique ou humoristique

Le fait que l’arrière plan des deux oeuvres ne soit pas de la même couleur (noir pour la photo mais pas pour la peinture) ne détourne pas le Tribunal de la voie de la contrefaçon, puisqu’il rappelle que ceci n’enlève rien aux nombreuses et incontestables similitudes.

Le Tribunal fait donc droit à la demande de la photographe qui sollicitait juste qu’il soit fait interdiction au peintre de reproduire à nouveau l’oeuvre, sous peine d’astreinte. Certes, l’astreinte est de taille (500.000 € par infraction, si infration il y a) mais aucune condamnation immédiate n’était demandée, de sorte qu’aucune n’a, non plus, été prononcée. Le peintre est toutefois condamné au paiement des frais de procédure.

Les articles trouvés indiquent que ce dernier aurait manifesté son intention de faire appel.

Que retenir de ce jugement ?

Outre le fait que la célérité des juridictions belges n’est donc pas un vain mot (du moins du côté néérlandophone), deux points frappent dans ce jugement :

. tout d’abord, il est probable qu’à affaire identique, un défendeur français aurait plaidé plutôt sur la question de l’originalité
Ici, il semble qu’ait été invoqué – même si le jugement ne l’énumère pas au titre des arguments du peintre – le fait qu’il s’agissait “d’une banale photo de presse”. La photographe répond en effet à l’argument en citant le peintre lui-même qui dans un document (dont la nature n’est pas précisée au jugement mais qui fut rédigé “in tempore non suspecto” donc avant le litige), a reconnu que la photo d’origine “était très forte”.

Mais le jugement écarte cette argumentation en reconnaissant à la photo le caractère d’une oeuvre protégeable.

. ensuite, que le plagiat (même si le mot n’est pas nommé ici) s’apprécie par les similitudes, et non par les différences

. en outre, il est rare qu’un demandeur, de ce côté de la frontière, se contente devant le juge du fond d’une demande d’interdiction pour le futur, sans condamnation immédiate. C’est d’autant plus étonnant que le tableau a sans doute été vendu pour une coquette somme au collectionneur américain, ce qui aurait pu fonder une condamnation du peintre également.

Voici donc pour l’actualité brûlante dans le Nord du Nord de la France.

Tot straks !

                                      Joëlle Verbrugge

6 commentaires sur cet article

  1. Article très intéressant… il est bien dommage, à moins que je ne me trompe, qu’il n’y ait pas de textes légaux européens qui traitent de façon uniforme de justice, surtout pour des cas qui devraient être jugés, uniformément, dans toute la communauté. Néanmoins ce jugement belge (néerlandophone) fait un jugement satisfaisant, quoique plutôt peu sévère pour le contrefacteur, mais ne désavouant pas la photographe.

  2. Petite précision: la procédure fut très rapide car il s’agit d’une action en cessation prise selon les formes du référé. Elle permet donc à l’auteur de faire constater une atteinte à ses droits d’auteur et faire cesser cette atteinte. Mais cette action ne permet pas, à ce stade, de réclamer des indemnités. Ceci se fera fort probablement dans un stade ultérieur de la procédure.

  3. Bonjour,
    Permettez-moi de poser une question naïve : vous parlez de l’exception de parodie qui existe dans la loi belge, comme elle existe dans la loi française. Mais il me semblait que le Code de la propriété intellectuelle était, depuis quelque temps déjà, le même pour tous les pays de l’Europe ? Ou bien j’ai rien compris (ce qui est fort possible…) ?

    Cordialement,

    Alain Korkos.

    1. Bonjour,
      Ah non ce serait trop simple.
      Les dispositions européennes ne sont qu’un socle, une protection minimale, qui ne fait pas obstacle au droit pour chaque pays de prévoir une protection plus efficace, comme c’est le cas en France.
      Cordialement,
      Joëlle Verbrugge

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