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La Cour d’Appel de Bordeaux n’aime pas que l’on surfe sur les droits des photographes

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Bonjour à tous,

Ah le Sud-Ouest… ses vagues, ses surfeurs… son univers “surf”….

Je ne résiste pas en effet au plaisir de vous parler d’un arrêt rendu il y a quelques jours à peine par la Cour d’Appel de Bordeaux dans une affaire de propriété intellectuelle en rapport avec notre belle passion et avec la région dans laquelle j’ai le bonheur de balader mes propres appareils. Je viens de découvrir cet arrêt, l’occasion était trop belle…  et puis ça me permettra d’illustrer cet article de façon un peu différente de ce que je vous propose d’habitude. Les photos sont donc de moi, mais l’affaire n’a pas été plaidée par mes soins. Ce courageux photographe qui a été au bout de sa démarche était assisté par son propre conseil. L’arrêt, en demie-teinte, me parait ne pas aller totalement au bout du raisonnement, même si la contrefaçon est retenue et qu’une substantielle indemnisation est prononcée.

Les faits

Un photographe réputé dans le monde du surf était en relation contractuelle avec un important fabricant de vêtements estampillés “Surfwear” et ce depuis de longues années, puisque des contrats successifs avaient été signés entre 1989 et 2007.

Dans le cadre de ces contrats, il était notamment prévu que le photographe devait couvrir différents événements organisés par le fabricant, et que les photos prises à ces occasions faisaient l’objet d’une cession de droits (droit de reproduction et de représentation) pendant un nombre d’années déterminées à compter de leur mise à disposition. Les mêmes contrats prévoyaient que la banque d’images du photographe, constituée pendant toutes les précédentes collaborations depuis 1989 restait à disposition du fabricant.

Ainsi, le photographe invoquait que ses images avaient principalement contribué à alimenter les catalogues de la marque dont la renommée n’a cessé de croître.

Camera
Canon EOS 7D
Focal Length
200mm
Exposure
1/200s
ISO
200

En 2008, le contrat n’ayant pas été renouvelé, le fabricant avait malgré tout continué à utiliser massivement les photos, tant et si bien que des indemnisations étaient intervenues en 2008 et 2009. Mais ceci n’avait pas suffi, puisque les utilisations s’étaient prolongées de 2009 à 2011, et perduraient encore au moment où l’assignation fut lancée (février 2011).

Outre les utilisations elles-mêmes, aucun crédit photographique n’était mentionné sur la plupart des photos. En réponse à ce reproche précis, le fabricant soutenait qu’au début de leur collaboration, le photographe était encore inconnu, et qu’il devait également sa renommée au succès de la marque et des catalogues ayant diffusé ses photographies.

Camera
Canon EOS 7D
Focal Length
78mm
Exposure
1/250s
ISO
400

En première instance, le TGI de Bordeaux (TGI Bordeaux, 27/11/2012)  avait confirmé 90 utilisations illégales des photographies du demandeur, de surcroît sans crédit photographique. Une substantielle condamnation avait été prononcée (144.000 € pour le préjudice patrimonial, 30.000 pour le préjudice moral) et ordonné la confiscation de certains produits reproduisant les photos avec interdiction de vente.

Le photographe avait toutefois interjeté appel du jugement, sollicitant une révision à la hausse des indemnisations prononcées.

L’arrêt (CA Bordeaux, 9/2/2015, RG 13/01025)

Le fabricant plaidait la réformation totale du jugement, au terme d’une argumentation qui n’est toutefois pas clairement rappelée par l’arrêt. Il demandait que le photographe soit purement et simplement débouté de ses demandes.

Le photographe, de son côté, chiffrait à nouveau son dommage bien au-delà des montants perçus en première instance.

Dans un premier temps, la Cour d’Appel examine les différents contrats, et conclut à l’existence d’une contrefaçon :

“L’examen de l’ensemble des pièces régulièrement versées aux débats par (le photographe) notamment les constats d’huissiers, les photographies, les extraits de catalogue, les objets, permet d’établir que (le fabricant) a continué à utiliser certaines photographies prises par (le photographe) et mises par lui à disposition de la société entre 1996 et 2007, après cessation des relations entre les parties, et postérieurement aux délais contractuels prévus, comme l’ont relevé les premiers juges.
Au vu de ces considérations, il apparaît que le jugement déféré doit être confirmé /…./ en ce qu’il a retenu que (le fabricant) s’était rendu coupable d’actes de contrefaçon en reproduisant sans le consentement de l’auteur et au-delà des délais contractuels les photographies (de l’appelant).”

La Cour se penche ensuite sur la question du préjudice.

Sur le préjudice patrimonial, tout d’abord, la Cour rappelle le contenu de la loi :

“En application de l’article L331-1-3 du CPI, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée; les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte.

Ainsi, l’indemnisation (du photographe) doit tenir compte de l’ensemble des facteurs énoncés par le texte susvisé et correspondre à une indemnisation globale tenant compte de l’ensemble de son préjudice, notamment des bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte.”

La Cour estime ensuite que la contrefaçon, qui a débuté en 2010 et s’est achevée en janvier 2013, doit être fonction du manque à gagner subi du photographe pendant la même période, en précisant :

“/…/ (le manque à gagner) doit être apprécié en tenant compte notamment des relations antérieures entre les parties et de la rémunération dont bénéficiait l’auteur pour la mise à disposition auprès de la société /…/ de sa banque de données d’images. /…/ En effet, le manque à gagner doit s’apprécier au regard des gains moyens effectivement tirés de la cession de sa banque de données /…/ et de la prévisibilité des gains qui auraient été les siens pour les années postérieures si les relations commerciales s’étaient poursuivies entre les parties /…/ . En ce qui concerne les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au droit, il apparaît que l’utilisation contrefaisante des photographies (de l’appelant) a participé de façon limitée à la réalisation du chiffre d’affaire et du résultat de la société /…/ alors que la notoriété de cette société repose sur sa renommée auprès du public qui achète ses produits en considération de la marque, de la qualité globale du produit et de l’aspect général des objets. Ainsi, les photographies portées sur les articles et les revues ou affiches en magasins ou en d’autres lieux n’influent que marginalement sur la décision d’achat.”

Le montant de l’indemnisation allouée en première instance est donc confirmé.

Quant au préjudice moral, tout d’abord, elle relève :

“Il ressort des éléments de la cause que (le photographe) a subi une atteinte spécifique à ses droits moraux dès lors que diverses photos ont été retouchées ou recadrées sans son accord et que son nom n’a pas été mentionné à proximité des photographies alors que l’omission du crédit sur les photographies, en violation des dispositions contractuelles, prive le photographe d’un moyen de se faire connaître.”

La condamnation allouée en première instance est dès lors augmentée, et la Cour alloue à ce titre un montant de 60.000 €.

 

Qu’en penser ?

Par rapport à d’autres contrats du même genre conclus dans le même domaine, le Photographe avait ici “l’avantage” de n’avoir pas signé de clause contenant une cession de droits “pour une durée égale à la durée de la protection légale“. Ces clauses, dont je reparlerai très rapidement dans un autre article, sont un réel frein à la reconnaissance des droits des auteurs. Dans le cas qui nous occupe, la durée était semble-t-il limitée à à compter de leur mise à disposition (d’une durée variable selon les contrats d’après ce qui ressort de l’arrêt).

Cela étant, et sur l’argumentation relative au préjudice patrimonial, l’arrêt me paraît un peu en demie-teinte. D’un côté, on rappelle bien les principes, et notamment l’article L 331-1-3 du Code de la Propriété intellectuelle.

Or, cet article, si on le lit intégralement, est rédigé comme ceci :

“Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement:
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. ” (Art. L331-1-3 CPI)

Et il me semble que la partie que j’ai reproduite en gras et soulignée n’a pas été prise en considération. En effet, la Cour a examiné en détails le montant auquel le photographe aurait pu prétendre si la relation contractuelle avait été poursuivie.. mais s’en est tenue à ce montant, sans, à mon humble avis, tenir compte du fait même de la contrefaçon. En somme, le fabricant de vêtements a été condamné, ici, à payer ce qu’il aurait payé s’il avait poursuivi la relation contractuelle.

En cela, il me semble que l’arrêt n’est pas parfaitement motivé.

J’ignore bien sûr, l’arrêt étant très récent, si l’une des parties a l’intention de soumettre le dossier à la Cour de Cassation.
Et indépendamment de ce mode d’évaluation du préjudice, bravo au photographe et à son conseil pour le résultat qui dans l’ensemble reste très positif.

                                        Joëlle Verbrugge

 

10 commentaires sur cet article

  1. Bonjour,

    J’aime beaucoup le rendue par votre 1ère photographie, ambiance type “California Dreaming”…

    J’apprécie également ce que vous faîtes, ça nous permet d’anticiper sur notre manière de travailler, pour ma part je viens d’adhéré à l’ADAGP pour la perception de mes droits d’auteur, la plupart de mes clients pensent que les droits d’auteur ne sont pas obligatoires, un client important par le nom m’a même fait comprendre qu’il ne continuerait pas avec moi, parce que sur 6 photographes, j’étais le seul à faire valoir mes droits ? pas grave 1 de perdu…

    Je regrette de ne pas avoir assez de temps pour vous lire à chaque news !
    Thank’s, Nice Day…”California Dreaming”…

    Jeff Photographe-Artiste Auteur

    1. Aha !
      Un classique çà : j’ai été contacté pour pour la réalisation d’un portrait d’un athlète international, partenaire de mon client. Initialement, le devis demandé portait sur presta + 1 PLV (juste un exemplaire réalisé pour stands sur des salons), sauf que très vite on me demande du “libre de droit” [j’explique que c’est illicite et présente le système du barème à point], “c’est quoi le précompte” [après explication] “ah non, c’est trop compliqué, on va payer des cotisation sociales, par contre on veux pouvoir récupérer la TVA” (sic).
      Je fini par apprendre que TOUS les confrères contactés dans mon secteur ont fait des proposition libres de droits et ne calculent pas les cotisations sociales (la plupart ont des activités commerciales).
      Bref, j’ai vomi.

  2. Bonsoir, je suis à la moitié de la lecture de votre dernière édition et me pose cette question au milieu des innombrables confusions diffusées sur le net. Si, en étant auteur photographe, je vends une oeuvre originale numérotée (maxi 30) à une profession libérale qui l’affichera dans sa salle d’attente Clientèle, l’acheteur sera t-il considéré comme diffuseur et soumis au précompte de l’AGESSA ? je vends une oeuvre (prix sur facture sans commande préalable) et non mes droits (pas de rémunération), il est professionnel et non particulier (mais est-il diffuseur sachant qu’il ne diffuse pas l’oeuvre dans sa publicité ou dans une opération commerciale, c’est un bien mobilier de l’entreprise demeurant dans les locaux). Les mots employés dans de nombreux articles officiels ou non sont bien souvent différents d’où un “sac de noeuds” bien français qui fait interroger tout le monde (vente, prix, rémunération, cession d’oeuvres ou de droits, diffusion, clientèle). Certains pensent que l’acheteur n’est pas forcément un diffuseur. Enfin, sa salle Clientèle est-elle un lieu public même si ce public est restreint pour bénéficier d’une défiscalisation de l’oeuvre ?
    Je me demande à ma lecture si le précompte ne doit pas répondre à un CUMUL de conditions (cession de droits, diffuseur, entreprise, commerce), ce que l’AGESSA n’aimerait sans doute pas.
    Dans cet exemple, faites vous une différence entre un photographe non professionnel et un auteur assujetti ou affilié ?
    bien à vous et merci pour votre ouvrage et vos articles complémentaires André 24 02 2015

  3. Bonjour,
    Je découvre cet article un peu tard par quelqu’un qui l’a mis dans LinkedIn. Je me suis permis de m’en inspirer pour mon propre blog car le remède (s’il y en a un ?) passe par l’information, des pros et du grand public. J’espère n’avoir pas écrit trop de bêtises.
    Je découvre en même temps votre site. Génial ! Je m’abonne illico au RSS.

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