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Microstock, contrat et cession de droits

Sommaire

Bonjour,

Un article aujourd’hui pour vous parler d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Rennes le 11 octobre dernier.

1) Les faits

Un photographe de nationalité française s’était inscrit sur un Microstock (www.authorsimage.com), et y avait déposé près de 2000 photos, le contrat signé en 2001 portant sur une durée de 6 ans.

Ce contrat comportait notamment deux articles  rédigés comme suit :

“9-1 : Celestial P. se réserve la possibilité de céder tout ou partie de ses droits spécifiés aux présentes à des tiers et/ou de sous traiter à des tiers tout ou partie des opérations de production, édition et de commercialisation de tout ou partie des produits multimédias’

9-2 : L auteur accepte que Celestial P. puisse se substituer dans la gestion et l’exploitation des droits qui sont concédés au titre du présent contrat tout mandataire ou intermédiaire qu’elle jugera nécessaire”.

Quelques années plus tard, il s’était aperçu qu’une partie de ses photographies se retrouvaient sur un autre site ayant la même activité, site d’origine suédoise, mais exploité également via une société établie en France qui dès lors vendait ses clichés à ses propres clients.  Au surplus, cette utilisation se faisait, sur le second site, sans la moindre mention de son nom d’auteur mais avec au contraire un filigrane du nom du site lui-même.

Il avait donc assigné la société française, exploitant la version francophone du site en contrefaçon, en invoquant d’une part la violation de ses droits patrimoniaux (du fait de la vente par le second site de ses images à des tiers), et d’autre part  la violation de ses droits moraux, en raison de l’absence totale de mention de son identité d’auteur.

2) La procédure

a procédure avait été engagée avant l’entrée en vigueur des Décrets de 2009 sur la  compétence, ce qui explique que ce ne soit pas le TGI de Rennes qui ait été saisi à l’origine, mais bien celui de Quimper, en vertu des dispositions de droit commun relatives à la compétence territoriale. Mais sur le fond bien entendu cela ne modifie pas l’analyse que l’on peut faire de cette affaire.

Par un jugement du 3 novembre 2009, le Tribunal de Grande Instance de Quimper n’avait que partiellement accueilli l’action du photographe, en considérant :

– Que les contrats signés entre lui-même et le microstock sur lequel il s’était inscrit avaient précisément pour objet de permettre à l’exploitant du site de commercialiser ses images, de surcroît avec une exclusivité qu’il avait concédée. Le photographe était donc déclaré “irrecevable à agir en contrefaçon du droit d’auteur par violation de ses droits patrimoniaux pour défaut de qualité à agir au motif qu’aux termes des contrats conclus le 23 octobre 2001 il avait cédé l’ensemble de ses droits patrimoniaux et autorisé la société

Celestial P. à recourir à la sous traitance pour commercialiser ses oeuvres, et ce, pour une durée de six années”

En ce qui concerne par contre les droits moraux, le TGI de Quimper a  considéré la contrefaçon établie à défaut de mention de son identité, et a condamné l’exploitante du second site au paiement d’un montant de 1.100 € au titre de l’indemnisation.  L’arrêt de la Cour d’appel, seul en ma possession, ne précise toutefois pas combien, sur les 1980 photos d’origine, s’étaient retrouvées sur le second site. J’ignore donc quelle était l’ampleur de cette contrefaçon quant au nombre précis des photographies, mais par contre il est précisé qu’elle a persisté pendant 30 mois.

Le photographe interjeta donc appel, ce qui saisit la Cour d’Appel de Rennes.

Par un arrêt du 11 octobre 2011 (RG 09/07892), la Cour confirma toutefois le jugement dans toutes ses dispositions quant aux principes, en modifiant par contre le montant de l’indemnisation du chef du droit à la paternité sur l’œuvre :

– Sur les droits patrimoniaux :

“Il résulte de ces différentes conventions que Monsieur C. qui a cédé ses droits patrimoniaux de reproduction et de représentation en vue d’assurer l’exploitation des photographies litigieuses à la société Celestal P., à titre exclusif pendant six ans, sans se réserver de droit résiduel, et qui a autorisé cette dernière à sous traiter ces contrats de cession, n’est pas fondé à soutenir qu’en diffusant et commercialisant lesdites photographies, la société Matton Images se serait rendue coupable de contrefaçon par violation de ses droits patrimoniaux.

Monsieur C. n’est pas davantage fondé à soutenir que la société Matton Images aurait violé ses droits patrimoniaux au motif qu’il ne lui a pas été versé une rémunération de 50 % du prix de vente au public hors taxes telle que prévue dans les contrats de cession du 23 octobre 2001 puisque la société Matton Images est étrangère à ces conventions et qu’en vertu du principe de l’effet relatif des contrats seule la société Celestial P. reste redevable des rémunérations dues à Monsieur C. au titre de l’exploitation de ses droits d’auteur.

En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré Monsieur C. irrecevable en ses demandes fondées sur la violation de ses droits patrimoniaux.”

 – Sur les droits moraux :

Aux termes de l’article L 121-1 du code de la propriété intellectuelle l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

En application de cet article, l’auteur détient un droit à la paternité en vertu duquel il peut exiger que son nom soit associé à son oeuvre.

Or il ressort du procès verbal de constat dressé le 1er juin 2006 par Maître Bolzer, huissier de justice, que les photographies mises en ligne sur le site internet de la société Matton Images ne mentionnaient pas le nom ou le pseudonyme de Monsieur C. mais qu’y apparaissaient en filigrane la marque /…./  et en marge la mention Author’s Image .

/…/

La seconde société, qui tentait de se défendre en invoquant que le photographe utilisait de nombreux pseudonymes, ce qui diminuerait son préjudice réel, n’a pas été entendue dans son argumentation.  Au contraire, la Cour insistait sur la renommée du photographe, et les prix dont il avait été le lauréat, avant d’augmenter le montant des dommages et intérêts alloués :

“le jugement sera infirmé et il sera accordé à Monsieur C., en réparation de l’atteinte portée à son droit moral une somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.”

3) En conclusion

Outre le débat de fond sur les microstocks, question dont il n’est pas question ici, il faut rester particulièrement attentif aux contrats proposés.

Certes il s’agit de ce qu’on pourrait qualifier de “contrat d’adhésion”, c’est-à-dire un contrat qui, dans les faits, n’est pas négociable et que l’on accepte intégralement.. ou non.

Il est manifeste qu’en concédant pour 6 ans le droit exclusif de commercialisation de ses images, en contrepartie d’une rémunération qu’il était parfaitement en droit de juger satisfaisante, le photographe a perdu de vue que la notion de “commercialisation” était très large, et ne visait pas que la vente aux utilisateurs des images. Les termes de la convention étaient pourtant très explicites sur les possibilités de substitution par une société tierce…

Que peut-on dès lors conseiller d’autre que d’être particulièrement attentif aux contrats signés ? En l’espèce, il s’avère que les liens étroits entre le premier site internet, sur lequel le photographe avait laissé ses images, et le second, étaient même antérieurs à la signature des contrats de 2001. Certes le photographe ne pouvait absolument pas connaître cette circonstance, relevant de la politique d’exploitation de la société anglaise qui exploitait le premier site, mais dès lors que le contrat d’origine prévoyait clairement, en deux dispositions distinctes, la possibilité de se substituer un tiers, il y avait fort à craindre qu’il ne s’agissait pas d’une simple hypothèse…

Facile à dire, je le concède… et il est probable également que le contrat d’origine était rédigé en Anglais, ce qui a peut-être freiné également une parfaite compréhension des tenants et aboutissants de la cession concédée.

Mais au final, et sur base des conventions conclues, les juridictions françaises n’ont pas d’autre choix que d’appliquer les contrats… certes la Cour d’appel semble prendre nettement plus en considération le préjudice moral, puisqu’elle augmente l’indemnisation, mais elle n’a d’autre choix que de donner aux conventions librement signées entre parties la force obligatoire que leur confère le droit.

Prudence donc…  et le “libre de droit” – ce n’est pas la première fois qu’on en parle – est rarement une solution rentable à terme…

Joëlle Verbrugge

 

6 commentaires sur cet article

  1. Commentaire laissé par Jean le 25/11/2011

    Merci pour cet article.

    Il y a cependant un élément que je ne comprends pas : y a-t-il, ou non, dans cette affaire, un manque à gagner pour le photographe ?

    Il attaque un sous-traitant pour ne pas avoir été rémunéré directement, et on se doute que cette attaque ne tient pas la route. Mais cela ne dégage pas la première agence de son contrat, donc de son obligation de reverser 50% du CA HT généré (point de clause en vue sur une baisse de royalties lors d’une vente par un sous-traitant). Le photographe a-t-il été payé ?

    De plus, tout cela semble dater de 2009, pour un contrat échéant en 2007. Les ventes litigieuses ont-elles eu lieu après 2007 ? Auquel cas, le contrat d’origine ne tient plus et on est fondé à considérer toute revente postérieure à 2007 comme une contrefaçon.

    Ce sont donc, non un mais deux points clefs qui m’échappent pour pouvoir me faire un avis sur ces décisions de justice (leur aspect patrimonial, en tout cas).

    1. Bonjour
      Le manque à gagner réside dans le fait que les photos vendues par le second site ne lui rapportent plus rien. Ce n’est pas réellement une “sous-traitance” au sens où je crois que vous l’entendez. Le premier site se réserve dès le départ le droit de se substituer quelqu’un dans la vente des photos. Dans le meilleur des cas le photographe a touché une somme (sans doute pas très élevée, mais au moins calculée sur base du contrat qui le lie au site) pour la première vente effectuée au site n°2. Et encore, ce n’est même pas sûr !

      Mais ensuite, chaque fois que le site n° 2 vend à un tiers, il ne touche plus rien du tout.. et la Cour considère qu’il ne peut rien réclamer puisqu’il n’est lié par un contrat avec le site n°2.

      Voilà le manque à gagner..

      Et comme le photographe a en outre cédé ses droits avec une exclusivité, il se voit en plus empêché d’aller lui-même proposer ses photos à d’autres.. il suffit alors au 1er site de ne plus rien vendre dans son stock de photos et lui ne touchera plus rien, le second site s’enrichissant à ses dépends (là j’extrapole, car rien ne dit que des ventes ne se fassent plus sur le site n°1, mais ce serait dans la logique du système).

      Ais-je ainsi répondu à votre question ?

      Joëlle Verbrugge

  2. Commentaire laissé par RioBravo le 26/11/2011

    Et notre ami photographe se souviendra désormais de ce vieux et sage proverbe, qui dit que lorsqu’on veut dîner avec le diable, il faut une longue cuiller !

    Cordialement.

  3. Réponse laissée par Jean le 2/12/2011

    Merci Joëlle de ces précisions. Du coup, je comprends beaucoup mieux la motivation du photographe, et je m’interroge encore plus sur le sens du jugement !

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