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Contrat d’image valable dans le temps sans limitation dans le temps ou l’espace…

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Bonjour

Un petit billet pour vous commenter un arrêt rendu le 28 janvier 2010 par la Cour de Cassation en matière de “contrat d’image”.

– Les faits

L’affaire était la suivante : une mannequin avait cédé contre rémunération une autorisation d’utiliser les 84 photographies prises lors d’une séance photo organisée outre-mer. La cession était libellée sans limitation de durée et de territoire, et précisait même qu’elle autorisait le photographe à utiliser les photos sur “tout procédés connus ou inconnus à ce jour (presse, édition, publicité, etc…)“, et ce pour tout type d’exploitation commerciale et notamment publicitaire, la seule réserve étant que les photos ne soient pas utilisées dans le cadre d’articles pouvant porter préjudice au mannequin (prostitution, sida, etc..).

Pour les 3 jours de shooting en Martinique, le mannequin avait perçu une somme forfaitaire de 15.000 FF (séance photo de 1997).

Par la suite, certaines photos ayant été utilisées sur des sites internet et dans des documents publicitaires, le mannequin avait assigné différents intervenants (dont bien sûr le photographe et une société pharmaceutique ayant commandé une publicité sur laquelle apparaissaient certains clichés litigieux), sollicitant du Tribunal une indemnisation du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait de l’utilisation de ces photos sans son accord.

Son argumentation consistait à invoquer le caractère illicite d’une autorisation contractuelle consentie sans limitation (tant géographiquement que dans la durée). Dans le même temps, elle soutenait que le montant forfaitaire perçu après la séance photo ne visait que la rémunération de ladite séance, et non pas la cession de ses droits pour le futur.

Les juges du fond avaient donné tort à la plaignante, notamment en ces termes :

“Qu’il convient de relever que (le mannequin) commet un amalgame entre les notions de cessions de droit à l’image et de droit d’auteur, alors qu’elles obéissent à des règles différentes, confusion également commise par le tribunal ;

Qu’en effet, le droit à l’image qui comporte des attributs d’ordre patrimonial, peut valablement donner lieu à l’établissement de contrats qui sont soumis au régime général des obligations et ne relèvent pas des dispositions spécifiques du Code de la propriété intellectuelle régissant le droit d’auteur ;”

avant de préciser :

“que force est de constater que ce contrat répond aux conditions de l’article 1108 du code civil dès lors qu’il a été librement signé, que (le mannequin) avait la capacité pour ce faire, que son objet est certain, que la cause de l’obligation est licite ;

que (le mannequin)  ne saurait prétendre que la convention serait dépourvue d’objet, alors que la mention du nom du photographe, la date du document permettent d’identifier les photographies objet de la cession, peu important que l’autorisation ait précédé la réalisation desdits clichés ;qu’elle n’est pas davantage fondée à soutenir que la durée de la cession étant illimitée, la convention serait de nullité absolue ; qu’en effet, à défaut de terme stipulé, cet acte s’analyse en un contrat à durée indéterminée susceptible d’être dénoncé et résilié à tout moment par chacune des parties, de sorte qu’il n’encourt aucune nullité ;que contrairement à ce que soutient (le mannequin), la nature des supports concernés (tous supports, presse, édition, publicité etc…) et le domaine de l’autorisation donnée (tout usage national ou international) ont été contractuellement fixés ; que le caractère étendu de l’autorisation donnée n’est pas en soi de nature à vicier la cession des droits, le principe de l’autonomie de la volonté autorisant les parties à déterminer les limites de leurs droits et obligations ;

que (le mannequin) prétend également vainement que la rémunération prévue au contrat ne concernerait que ses journées de pose alors qu’il est expressément stipulé que la rémunération forfaitaire convenue couvre la cession au photographe du droit d’utiliser son image et d’autre part qu’aucune disposition légale ou d’usage ne prévoit au profit d’un mannequin une rémunération proportionnelle à l’exploitation de son image, de la durée et de l’étendue de cette exploitation ;
qu’il s’ensuit, qu’en concédant, en parfaite connaissance de cause, l’exploitation des photographies prises au cours de la semaine du 10 au 17 mai 1997, sous toutes ses formes et par tous procédés techniques, sans aucune restriction et sans limitation de durée, (le mannequin) a nécessairement autorisé (le photographe) au profit duquel elle a signé le contrat, à céder les droits d’exploitation de son image sous réserve que cette exploitation n’excède pas les limites fixées contractuellement (utilisation dans le cadre d’articles pouvant porter préjudice au modèle : prostitution, sida) et a donné son accord pour que son image soit exploitée à des fins commerciales et publicitaires ; que de sorte, elle ne saurait remettre en cause les effets du contrat auquel elle a valablement consenti;”
(CA Paris, 4ème ch. civ., 10/9/2008 – RG 07/06534)

Par un autre arrêt du même jour mettant en cause un autre mannequin et la même société Photoalto, la 4ème chambre de la Cour d’Appel de Paris se prononçait en des termes totalement identiques.

Le mannequin  s’est alors pourvu en Cassation. La Cour, par l’arrêt du 28 janvier 2010 dont il est question aujourd’hui, confirme toutefois les décisions rendues en 1er ressort et en appel, en précisant que la cour d’appel a retenu que (le mannequin) avait librement consenti à la reproduction des clichés de son image précisément identifiés, de sorte que l’autorisation ainsi donnée à l’exploitation de celle-ci n’était pas illimitée” (Cass. 28/1/2010, pourvoi n° 08-70.248).

Enfin, la société Photoalto mise en cause dans cette affaire, avait encore été destinataire d’une assignation identique dans une autre affaire, qui a donné lieu à un arrêt de Cassation un an plus tôt (Cass. 1ère ch civ. 11/12/2008, n° de pourvoi 07-19.494). La cour s’était prononcée dans le même sens à cette occasion.

– L’analyse

Sur le fond, donc, un “contrat d’image” (comme on nomme souvent l’autorisation donnée par le sujet d’une photographie d’exploiter son image) conclu sans limite temporelle ou spatiale est considéré comme valable…

La lecture de l’arrêt de la Cour d’Appel semble par contre laisser une petite brèche, puisqu’au moment d’examiner la validité du contrat au regard des règles habituelles du droit des obligations (art. 1108 du Code civil : capacité, cause, objet), la Cour relève “qu’en effet, à défaut de terme stipulé, cet acte s’analyse en un contrat à durée indéterminée susceptible d’être dénoncé et résilié à tout moment par chacune des parties, de sorte qu’il n’encourt aucune nullité. Cette brèche n’a été ni confirmée ni infirmée par la Cour de Cassation.

En d’autres termes, il suffirait dans cette analyse qu’après cet arrêt, le mannequin dénonce le contrat avec un préavis pour qu’à l’avenir, les clichés litigieux ne puissent plus être cédés à compter de la prise d’effet de la dénonciation…

– En pratique

En pratique donc, l’enseignement sera le suivant, selon qu’on se place du côté du mannequin ou du photographe :

. Photographes :

En prévoyant un contrat d’image “à spectre large”, visant non seulement tous supports mais en outre conclu à durée indéterminée et sans limitation géographique, vous pourrez donc en théorie continuer à exploiter les images légalement (sous réserve bien sûr d’un revirement de jurisprudence), sans avoir à prévoir d’indemnisation complémentaire du modèle.

Attention toutefois à cette brèche laissée dans l’argumentation de la Cour d’appel (bien que non reprise – mais non exclue – par le Cour de Cassation) :  prévoir large au terme d’un contrat sans la moindre limitation pourrait à terme amener les mannequins, après un bref laps de temps, à dénoncer le contrat en invoquant la durée indéterminée de celui-ci, et donc à vous priver dans ce cadre des effets voulus au départ.. restera à la jurisprudence, éventuellement, à délimiter les limites de cette possibilité…

. Mannequins :

De leur côté, les mannequins qui ont bien sûr de manière générale intérêt à bien délimiter les utilisations faisant l’objet du contrat d’image, devront garder à l’esprit que “tout ce qui n’est pas interdit est permis” (pour simplifier l’enseignement de la Cour), quel que soit le média concerné.

Mais en se ruant sur la même brèche laissée ouverte dans l’argumentation, avant de penser à une éventuellement mise en demeure, il faudra qu’ils/elles pensent à dénoncer le contrat en invoquant la durée indéterminée de celui-ci, en laissant un préavis raisonnable (principe d’exécution de bonne foi des conventions – Art. 1134 du Code civil).

. Et pour tous :

Attention à ne pas généraliser cet enseignement.. les sportifs professionnels par exemple, sont soumis à un régime spécifique, prévu cette fois par des dispositions légales, et sur lequel nous aurons l’occasion de revenir. Et certaines décisions semblent diverger pour ce qui concerne des chanteurs et autres interprètes…

Joëlle

11 commentaires sur cet article

  1. Commentaire laissé par Joël le 10/3/2010
    Toujours aussi instructif. Je retiens aussi la fin des écrits de Didier Vereeck sur la “tendance actuelle” des juges….mais la balance de la Justice pourrait pencher dès la prochaine “tendance”…à suivre.

  2. Bonjour,
    cet article est très instructif, merci!
    Comme souvent, le sujet est celui de la protection de la modèle, qui cède son droit à l’image dans telles ou telles conditions. Mais quid de la protection du photographe même? Ne serait-il pas utile pour lui de prévoir dans l’accord avec la modèle des dispositions limitant le droit de celle-ci à utiliser les photos? Certes, ce ne serait qu’un rappel de la loi, mais je suis surpris que la plupart des contrats ne prévoient pas, par exemple, que la modèle ne pourra publier les photos réalisées que sur son book, sans pouvoir y apporter la moindre modification (recadrage, gommage signature, retouches, ou autres), les publier sur les réseaux sociaux tels FB (voir l’art. 2 de leurs CG) et en indiquant le lien du site du photographe. Pensez-vous qu’il soit déconseillé, ou simplement inutile, de prévoir de telles stipulations, ou au contraire conseillez-vous au photographe de prévoir certaines stipulations utiles à la protection de son oeuvre?
    Bien cordialement,
    Martin

    1. Bonjour
      Dans les contrats que je rédige pour mes clients il est bien entendu question de ces problématiques.
      Je les adapte au cas par cas en fonction des accords intervenus avec les modèles.

      Mais les jugements que je vois passer concernent bien sûr des contrats établis le plus souvent par des photographes eux-mêmes, ou trouvés “prêts à signer” sur le net, et donc pas forcément adaptés ou complets…

      C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai fait le choix de ne pas proposer de modèles de façon systématique : rien de plus dangereux qu’un modèle détourné de sa finalité d’origine, et qui finalement pose plus de problèmes qu’autre chose…

      Joëlle Verbrugge

  3. Bonjour,
    Un photographe a pris une photo de mon fils (mineur) sur le pont des Arts qui enlace sa copine, celle ci étant de dos est non reconnaissable .
    Le photographe me demande l’autorisation de reproduction et de représentation de l’image et l’autorisation a reproduire, fixer, et communiquer au public la photo en noir et blanc.

    La photo pourra être diffusée par le photographe ou par une agence photographique pour une durée illimité, notamment dans la presse, l’édition, internet et par voie d’exposition à caractère culturel.
    Le photographe s’interdit de procéder à une exploitation de la photo susceptible de porter atteinte à son image et- ou à sa réputation et s’engage à ne pas utiliser la photo objet de la présente, dans tous les supports à caractère pornographique, raciste, xénophobe.
    L’autorisation lui serait consenti à titre gracieux , et je ne pourrais prétendre à aucune rémunération pour l’exploitation des droits visés aux présentes.
    Il s’engage à offrir un tirage 30×40, numéroté et signé.

    Que me conseillez vous de faire?
    Le terme ¨”durée illimité ” me fait peur.
    Merci pour votre réponse.

    1. Bonjour
      Et bien dîtes-lui que vous êtes d’accord mais pour une durée allant jusqu’à la majorité de votre fils, après quoi il sera le seul à pouvoir décider ;-).. c’est une façon délicate d’imposer une limitation de durée 😉
      Et bien sûr vous signez cela par écrit, histoire d’avoir une preuve
      Joëlle Verbrugge

  4. Bonjour,
    Je me permets de commenter sur cet article un peu ancien car mon patron souhaite me faire signer une autorisation de diffusion et de reproduction de photographies à durée indéterminée, avec une liste impressionnante d’utilisation possible (de la carte postale au site web), avec la possibilité de vendre à des tiers, dans le monde entier, sur tous supports connus ou inconnus, sans aucune rémunération.
    En fait, mon entreprise compte lancer un site Internet et a souhaité prendre en photo les employés et diffuser notre photo sur le site pour le rendre plus “humain”.
    Je trouve cette autorisation un peu abusive et c’est notamment le fait de la durée indéterminée et de la possibilité de vente à des tiers. Je ne l’ai pas encore signée, tous comme mes collègues et nous souhaitons en discuter avec notre patron.
    Qu’en pensez vous?
    Merci d’avance pour votre aide.
    Bien cordialement.

    1. Bonjour
      Ca me parait un peu large comme autorisation…
      Rappelez, peut-être,à votre patron, qu’une autorisation sans limitation de durée peut se résilier à n’importe quel moment (voir les articles plus récents du blog à ce niveau).

      Et il serait bon qu’il détaille un peu les usages qu’il veut en faire.

      Bien à vous

      Joëlle Verbrugge

  5. bonjour,
    Je souhaite savoir si une partie au contrat pour la cession du droit d’image a déjà signé le contrat mais n’a pas encore encaissé l’argent peut toujours “résilier” (ce terme est un peu bizarre vu que l’argent n’a pas encore été encaissé) le contrat sans etre exposé à des dommages et interet? merci beaucoup pour votre réponse

  6. Bonjour,
    Je prépare des autorisations de droit à l’image pour des personnes figurants sur un de mes reportages. Il y en a beaucoup et j’aimerais mettre une durée assez longue dans le temps car je ne sais pas si j’arriverai à les retrouver dans 20 ans. Y a t’il une durée max à ne pas dépasser?
    Je vous remercie et vous souhaite un bon confinement!

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