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Critères d’évaluation du préjudice – la suite

Bonjour

Suite de la petite série commencée hier, à propos des éléments pris en considération par les Tribunaux pour fixer l’indemnisation en cas de contrefaçon

Les faits

Une journaliste / rédactrice en chef avait publié dans une revue trimestrielle un portrait d’une personnalité dont elle était l’auteur. Cette photo mentionnait bien son nom au bas du cliché, avec le traditionnel logo © précédant l’initiale de son prénom et son nom en toutes lettres.

Elle avait ensuite retrouvé cette photographie dans une autre publication de presse, ainsi que sur le site Internet de l’éditeur concerné, ce qui l’avait amenée à adresser une mise en demeure par la voie recommandée, et dans laquelle elle sollicitait les sommes de 1.500 € au titre de la violation de son droit de reproduction (droit patrimonial), et de 1.500 € au titre du défaut de mention de son nom sur la photo (droit moral).  L’éditeur destinataire de cette mise en demeure avait alors demandé qu’elle fournisse la preuve de sa qualité d’auteur de la photo, ce qu’elle avait bien entendu fait par retour.

En guise de réponse désormais classique (qui n’a pas entendu cela de la part d’une rédaction quelconque), on lui répondit que la personne représentée sur le portrait avait fourni elle-même des photos personnelles, et que ce n’était qu’ultérieurement que l’équipe de rédaction s’était rendue compte de ce que toutes les photos n’étaient pas publiables. L’éditeur offrait une somme de .. 69 € HT pour la publication en question.

La photographe saisit alors le Tribunal de Grande instance

Le jugement

Dans son assignation, la Photographe maintenait sa demande pour ce qui est de l’atteinte à son droit patrimonial, et augmentait la demande relative au droit moral en la multipliant par 5 (du fait de 5 utilisations de la photo “à grande échelle”).  A ce titre, l’éditeur proposait semble-t-il en terme de conclusions une somme de 226,11 €.

Elle sollicitait en outre que le comportement fautif de l’éditeur soit retenu, au titre de l’article 1382 du Code civil (cet article constitue la base de la responsabilité civile extra-contractuelle), et qu’une indemnisation de 3.500 € lui soit octroyée à ce titre.

Elle relevait que l’éditeur avait eu un comportement fautif à son égard en représailles à son action en justice” (en refusant notamment de faire paraître des articles de fond sur deux ouvrages parce qu’elle en était l’attachée de presse, ce qui lui causait un préjudice professionnel).

Enfin, elle sollicitait la publication du jugement à intervenir dans la publication de l’éditeur fautif.

L’éditeur, de son côté, sollicitait une condamnation pour action abusive (1.000 €) ainsi que la traditionnelle condamnation sur pied de l’article 700 du Code de Procédure civile (3.000 €), limitant son offre d’indemnisation à la somme de 226,11 €.  Il reprochait également à la plaignante une attitude de dénigrement, en manifestant auprès des salariés de l’éditeur pour les tenir informés du déroulement du procès en cours.

Par un jugement du 17 mai 2011 (RG 09/19180), le TGI de Paris (3ème chambre, 1ère section) a successivement :

– constaté que l’éditeur poursuivi ne contestait pas l’originalité de la photo

– rappelé l’article L122-4 du CPI selon lequel toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur est illicite

– retenu 3 des 5 reproductions vantées (les 2 autres étant semble-t-il des renvois aux premières avec la photo en toute petite vignette illisible)

– relevé que le magazine concerné était tiré à 17.000 exemplaires, comptait 90.000 lecteurs par semaine et était diffusé auprès de 4.800 abonnés et disponibles dans certains kiosques, librairies et établissements fréquentés par son lectorat habituel

– souligné, et c’est un point important du jugement, que “les dommages et intérêts alloués à (la plaignante) ne sauraient être constitués par les sommes qu’elle aurait pu percevoir si elle avait valablement cédé ses droits puisque la société défenderesse s’est affranchie des règles légales et qu’il s’agit d’obtenir l’indemnisation d’un préjudice

Sur base des barèmes Sipa Press et AFP, que le Tribunal retient comme “éléments d’appréciation”, le Tribunal prononce les condamnations suivantes :

. 300 € pour l’atteinte portée aux droits patrimoniaux (la reproduction )
. 300 € pour l’atteinte portée aux droits moraux (l’absence de crédit)

La demande de dommages et intérêts sur pied de l’article 1382 du Code civil n’est pas accueillie, le Tribunal relevant que “les choix éditoriaux d’un journal relèvent du Directeur de la publication”, et que la plaignante ne démontre pas que l’absence de publication d’articles serait liée à la procédure en cours.

La demande reconventionnelle de l’éditeur/contrefacteur et relative à un dénigrement n’est pas accueillie non plus, le Tribunal considérant que le mail envoyé par la plaignante ne contenait pas de propos dénigrants, même s’ils faisaient état de la procédure.

La  publication judiciaire n’est pas accordée non plus.

Qu’en retenir :

Tout d’abord, et c’est un point positif, que lorsqu’une contrefaçon est constatée, il ne suffira pas de vérifier quelles sommes auraient dû être valablement payées en cas de cession licite, et ce dans la mesure où, précisément, le contrefacteur s’est affranchi des règles légales….  il faut donc, à suivre ce jugement – et cela est bien logique – indemniser le préjudice subi en octroyant des montants supérieurs à ceux qui auraient été pratiqués si la cession avait été faite dans les règles.

Ceci rejoint d’ailleurs le Code des Usages en matière d’Illustration photographique. Pour rappel en effet, cet accord qui avait été signé en 1993 entre le Syndicat National de l’Edition et différentes instances  représentant les photographes, prévoit en son article 13.2 que les éditeurs “s’engagent à veiller de façon /…/ minutieuse à ce que le nom du photographe, suivi le cas échéant du nom de son mandataire, soit bien porté à proximité du document reproduit” et qu’en cas de publication avec une absence totale de signature, une indemnité de 100% des droits sera due, sans préjudice des autres recours”.  Ceci, donc, pour le seul droit moral au respect de la paternité sur la photo.

D’autre part, le Tribunal retient que les barèmes Sipa Press et AFP peuvent servir d’élément d’appréciation (on retrouve parfois la même mention pour les barèmes UPP, j’y reviendrai), et sur base de ces barèmes, prononce les condamnations détaillées ci-dessus.

Je ne dispose pas des barèmes en question (si quelqu’un sait où les trouver, je suis preneuse), mais il est par contre évident que les montants accordés sont dérisoires par rapport au coût de la procédure. Il serait intéressant de voir à combien précisément ces fameux barèmes chiffraient cette utilisation, pour déterminer dans quelle mesure le Tribunal a été “au-delà”, tenant compte justement du fait de l’utilisation illégale… il est d’ailleurs regrettable que le Tribunal ne détaille pas le mode de calcul qui aurait été suivi sur base de ces barèmes, afin que nous puissions apprécier au moins la mesure dans laquelle ceux-ci  ont été augmentés du fait de l’utilisation illicite.

Mais au final, et malgré le rappel de ces principes importants, la condamnation est dérisoire…

J’aimerais trouver un jugement appliquant des principes identiques sur un barème de l’UPP par exemple, de façon à comparer ce qui est prévu avec ce qui est accordé par la juridiction.

Je ne désespère pas de trouver…

En attendant, excellente journée à tous.

Joëlle Verbrugge

 

2 commentaires sur cet article

  1. bonjour
    interréssant au plus haut point mais sans vouloir décourager certains les tarifs UPP sont trés optimistes et malheureusement la réalité est trés en dessous si on veut travailler

    1. Bonjour
      Oui tout à fait d’accord sur la difficulté à appliquer les barèmes UPP dans la pratique.
      Par contre il serait justement intéressant qu’ils soient appliqués par les juridictions, voire majorés en cas de contrefaçon..
      J’ai quelques décisions dans mon chapeau à cet égard mais il faut encore que je les lise et que je les commente..

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