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Droit à l’image, accord tacite et contexte des prises de vue

Bonjour à tous,

L’article d’aujourd’hui revient sur la notion d’autorisation tacite en matière de droit à l’image.

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Les faits

Une artiste qui représentait un groupe musical avait fait appel à une équipe de vidéaste pour réaliser des prises de vue professionnelles du groupe, devant servir à la promotion de celui-ci.

Avant la date prévue, un mail avait été envoyé par la responsable du groupe musical aux différents musiciens et interprètes, rédigé comme suit :

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Or, l’une des artistes-interprètes présente le jour des prises de vue avait ensuite protesté contre l’utilisation de ces séquences vidéo sur les réseaux sociaux (You Tube et Facebook) et sur le site Internet du groupe, et avait assigné la responsable de ce groupe, qui avait procédé à la diffusion desdites séquences.

Elle indiquait avoir certes donné son accord pour être filmée le jour des prises de vue, mais disait ignorer que ces séquences feraient l’objet d’une diffusion publique, et affirmait avoir posé en condition de ne pas apparaître en gros plan.

Le jugement (TGI Paris, 2/7/2014, RG 13/16263)

Le Tribunal de Grande Instance de Paris, saisi du litige, commence par rappeler les principes contenus dans l’article 9 du Code civil, ainsi que les règles en matière de preuve.

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Vous verrez dans les conclusions de cet article ce qu’il faut penser de ce paragraphe.

Les juges relèvent ensuite qu’après le premier mail d’information, la plaignante avait confirmé son accord pour les horaires évoqués, avant de vérifier également un point plus administratif.

Du mail initial, le Tribunal retient que l’objectif annoncé sans ambiguïté était bien de promouvoir l’orchestre /…/ auprès des personnes intéressées, éventuels futurs clients, ce dont il résultait que les diffusions avaient nécessairement une visée publicitaire et que la diffusion de ces images sur la page Facebook de l’orchestre et son site Internet n’excédait pas ce qui était normalement prévisible.” (Jugement, page 4)

/…/ que dans ces conditions, l’atteinte alléguée au respect du droit à l’image consacré par l’article 9 du Code civil n’est pas caractérisée alors que (la plaignante) avait tacitement donné son accord aux diffusions de son image prise dans les conditions ci-dessus rappelées.”

Rappelez-vous en outre la mise en garde que je formule chaque fois qu’il est question de ces autorisations tacites : étant par nature à durée indéterminée, elles sont révoquées dès que le sujet en manifeste le souhait.

Ce fut le cas notamment dans l’affaire dite “du vendeur de babouches” dont il a déjà été sur ce blog, et c’est également le cas dans le jugement qui nous occupe aujourd’hui.

En effet, si le Tribunal ne prononce pas de condamnation, c’est aussi parce que les vidéos ont été retirées par la responsable de l’orchestre après réception de la lettre recommandée.

Dès lors, la formulation complète des deux attendus du jugement était en fait la suivante :

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 En d’autres termes :

– l’accord tacite est incontestable, et découle bien des échanges de mails (et ici, une fois encore, la preuve de l’utilité de bien conserver ce genre d’échanges, qui furent déterminants dans le jugement)

– mais dès que l’accord, tacite, est révoqué par le sujet de l’image, la responsable de l’orchestre supprime les vidéos, et n’est ainsi pas condamnée.

Faut-il rappeler qu’un contrat préalable signé aurait au moins permis d’exploiter à fond les séquences pour lesquelles l’orchestre a payé une équipe de professionnels ?

En outre, aucune interdiction n’est fait de façon formelle, pour l’avenir, quant à l’utilisation des séquences, mais le Tribunal rappelle que celle-ci se ferait “aux risques et périls” de la responsable de l’orchestre.

Qu’en penser ?

Le jugement peut paraître étrange sur un point : en précisant que la charge de la preuve de l’accord des personnes représentées incombe à celui qui diffuse leur image, le Tribunal semble ajouter une condition exprimée de façon générale, et qui n’est pas forcément compatible avec les utilisations à des fins artistiques ou d’information.

Mais la précision doit à mon sens se comprendre comme intimement liée au caractère “commercial” (ici “publicitaire”) de l’utilisation : la promotion du groupe musical filmé. Et ainsi, le jugement se comprend mieux, puisque l’utilisation commerciale implique en effet, de jurisprudence constante, l’accord de la personne représentée. C’est la raison pour laquelle j’ai souligné, dans l’extrait retranscrit, le mot “publicitaire”.

Cette décision illustre ainsi fort bien qu’un jugement ou un arrêt doit être analysé dans son ensemble, et qu’un seul paragraphe ne peut être isolé du reste de la décision.

Et il rappelle, comme je l’ai indiqué ci-avant, qu’une autorisation signée et en bonne et due forme est bien souvent indispensable, puisqu’elle aurait au moins permis à l’orchestre d’utiliser sans restriction les vidéos, du moins pendant toute la durée de validité de l’autorisation si celle-ci avait été établie.

Bon WE à tous,

                                           Joëlle Verbrugge

Pour aller plus loin : “Droit à l’image et droit de faire des images”, Chapitre 2 (le chapitre 2 est entièrement consacré à cette notion d’autorisation tacite – pp. 189 et suivantes).

Vous pouvez télécharger le sommaire de cet ouvrage sur la page à laquelle il est renvoyé ci-dessus.

2 commentaires sur cet article

  1. Excellent article une fois de plus, qui montre d’une certaine manière les incertitudes qui perdurent, qu’un jugement peut s’interpréter, même sur un paragraphe de ses motifs, qui pourtant n’ont aucune autorité de la chose jugée !

    Plus généralement, dans la rue ou un lieu réputé, au moment du cliché, public; si je souhaite prendre une photo, (sans envisager de diffusion, de publication ou d’utilisation commerciale) ou se trouve une personne, quelque soit le cadrage, et que cette personne ne le souhaite pas, je ne vois pas en quoi et sur quels fondements je pourrait en être interdit ou empêché.

    En d’autres termes j’ai le droit de déclencher sur la voie publique, la personne qui s’y trouve ne le veut pas, j”estime avoir raison.

    Les gens qui sont dans des lieux publics doivent en accepter les contraintes.

    La question de la diffusion ou de la publication pourra se poser, si en effet celle-ci porte un VRAI préjudice, démontré comme tel.

    De toute manière ce ne serait que de la matière CIVILE et non PENALE.

    Donc comme évoqué ici ou là, shootons d’abord et voyons ensuite ce qui se passe.

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