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Droit à l’image et autorisation tacite

Bonjour

En cherchant des décisions relatives au droit à l’image des chanteurs et musiciens sur scène (c’est apparemment une denrée rare dans la jurisprudence), je suis tombée sur quelques décisions en matière de droit à l’image, dont deux arrêts que je vais détailler ci-dessous.

Il ne s’agit pas ici de spectacles ou concert (je ne désespère pas de trouver, il va bien falloir que j’étaye une argumentation sur quelque chose de concret !), mais l’enseignement des deux arrêts rendus et dont je vous parlerai aujourd’hui est malgré tout intéressant.

De quoi s’agit-il ?

Les principes

Rappelons qu’en matière de droit à l’image, et dès que le sujet photographié est surpris dans l’exercice de son activité professionnelle, sa “vie publique” dit-on parfois, son droit à l’image cède très largement devant le “droit à l’information”.. Mais où s’arrête la vie publique, et où commence la vie privée ? C’est bien entendu toute la difficulté de ce type d’appréciation.

Enfin, lorsque l’autorisation de photographier est donnée comment doit-elle s’exprimer ?  Peut-elle être tacite, et découler des circonstances mêmes de la prise de vue ?

Les faits

Lors du 10ème Festival du Film de Comédie de l’Alpe d’Huez,  deux  personnalités invitées par les festivaliers avaient été photographiées alors qu’elles s’adonnaient au ski dans la station. En l’espèce la particularité résidait dans le fait que le Festival se présente semble-t-il comme étant très médiatisée, renommée précisément du fait de la présence des personnalités sur les pistes de ski.

Les photographies étaient ensuite parues dans un magazine People, ce que n’avaient pas apprécié ces stars du petit et grand écran.   L’une d’elles avait posé, skis aux pieds, l’autre par contre invoquait la circonstance que les photos étaient prises au téléobjectif.

Les deux plaignants avaient donc saisi dans un premier temps le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, sur base de l’article 9 du Code civil, disposition lacunaire du Code civil qui consacre le droit à l’image.

Considérant qu’une atteinte avait en effet été portée au  principe du respect de leur vie privée, le Tribunal avait condamné l’éditeur au paiement de dommages et intérêts pour chacun d’eux, et à hauteur de montants différents : 2.500 € pour la plaignante qui se prévalait des photographies non-posées, et prises au téléobjectif, 1.000 € pour le second, qui avait manifestement coopéré de façon très active avec les journalistes.

Il était en outre fait interdiction à l’éditeur de réutiliser les clichés sous peine d’astreinte.

Les arrêts de la Cour d’Appel de Versailles

Sur appel interjeté par l’éditeur, la Cour d’Appel de Versailles a rendu deux arrêts, en date du 15 janvier 2009, réformant les jugements, eu égard aux circonstances de fait et à la nature même du festival auquel participaient les deux plaignants.

De leur côté, les plaignants formaient en degré d’appel des demandes d’indemnisation plus élevées que celles accordées en première instance. Ils indiquaient que les moments saisis par les photographes relevaient de la vie privée, et ne se justifiaient pas par le droit à l’information.

La motivation des arrêts est la suivante :

dans un premier temps la Cour rappelle dans chacun des arrêts, en des termes identiques, la règle contenue dans l’article 9 du Code civil :

 “En application de l’article 9 du code civil, chacun, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et peut s’opposer à la divulgation d’éléments ressortissant de celle ci, à moins qu’il s’agissent de faits notoires, anodins ou divulgués du fait même de la personne concernée.

De même chacun dispose sur son image d’un droit exclusif et absolu et peut s’opposer à sa reproduction sans son autorisation préalable, laquelle peut être tacite et résulter des circonstances de la prise de vue.  (CA Versailles, 9/1/2009, RG 07/08935 et 07/08934)

 

la cour examine ensuite, plaignant par plaignant, les circonstances dans lesquelles les photos ont été prises :

. pour la plaignante :

 “La participation à titre professionnel de Mademoiselle /…/ , jeune journaliste connue et appréciée du public, au festival de l’Alpe d’Huez, constituait une information dont la société /…/ pouvait légitimement rendre compte dans les jours suivant la manifestation.

L’intimée fait cependant valoir que les clichés en cause ont été pris et publiés sans son consentement et sans son accord, la représente dans un moment de loisir et ne sont pas ceux pour lesquels elle a posé en bas des pistes à des fins professionnelles.

Outre le fait qu’elle n’établit pas qu’elle faisait ainsi du surf à titre privé, elle était, comme toutes les autres personnes invitées à ce festival, informée de ce qu’il s’agissait d’une manifestation très médiatisée, suivie par de nombreux photographes dont ceux de l’agence /…/ accréditée par les organisateurs du festival qui atteste que :

Ces photographies ont été réalisées lors du 10ème Festival du Film de l Alpe d Huez, par l un de nos photographes salariés dûment accrédites par le Festival.

Comme il est d’usage lors de cet événement, le photographe est positionné de façon visible au bord des pistes, avec de nombreux autres photographes, pour prendre en photo les personnalités invitées au Festival, qui s’adonnent au ski’.

Ces clichés illustrent de manière pertinente l’article, certes bref mais dans la ligne du magazine Public et en tout état de cause totalement anodin, rappelant sa participation au 10ème festival du film de comédie de l’Alpe d’huez qui venait d’avoir lieu – et constituait donc un événement d’actualité ainsi que la présence de différentes personnalités s’adonnant aux sports de glisse.

Ne pouvant ainsi se prévaloir ni de l’atteinte portée à sa vie privée ni de sa violation de son droit à l’image, Mademoiselle Mélissa T. sera déboutée de toutes ses demandes et le jugement entrepris infirmé sauf en ce qu’il a rejeté la demande de publication judiciaire.” (CA Versailles, 9/1/2009, RG 07/08935)

 . pour le plaignant, qui avait joué plus encore le jeu des photographes :

 “Cependant, si comme l’ont reconnu les premiers juges, le fait que l’intimé ait accepté de participer à ce festival ne conférait pas un caractère public à toutes ses activités dans la station, c’est à tort qu’ils ont estimé que le cliché en cause figeait illicitement /…/  alors qu’il se livrait à une activité de loisirs qui avait vocation à rester privée.

En effet, (l’éditeur) établit que toute la couverture médiatique du festival est faite sur les photographies prises sur les pistes de skis des personnalités qui acceptent d’y participer et bénéficient d’un forfait ski pass payé par les organisateurs du festival.

Il ressort ainsi du site internet www. alpedhuez. com que /…/  a accepté de poser, skis au pied, comme l’établissent les clichés pris manifestement le même jour puisqu’il pose dans la même tenue vestimentaire.

L’agence SIPA atteste dans un courrier adressé (à l’éditeur) que ces photographies ont été réalisées lors du 10ème Festival du Film de l’Alpe d’Huez, par l’un de nos photographes salariés dûment accrédites par le Festival.

Comme il est d’usage lors de cet événement, le photographe est positionné de façon visible au bord des pistes, avec de nombreux autres photographes, pour prendre en photo les personnalités invitées au Festival, qui s’adonnent au ski’.

Dès lors, cette photographie a bien été prise dans le cadre de l’activité professionnelle de Monsieur /…./  et non pas dans un moment de détente personnel, étant observé qu’il salue à l’évidence les photographes avec son chapeau et qu’il ne peut donc se prévaloir de ce qu’il s’agit d’un cliché pris au téléobjectif et à son insu.

Ce cliché illustre par ailleurs de manière pertinente un bref article rendant compte en termes anodins de sa participation à ce festival.

Ne pouvant ainsi se prévaloir ni d’une atteinte portée à sa vie privée ni de sa violation de son droit à l’image, il sera débouté de toutes ses demandes et le jugement entrepris infirmé sauf en ce qu’il a rejeté la demande de publication judiciaire.” ((CA Versailles, 9/1/2009, RG 07/0893)

 

Que faut-il en retenir ?

L’enseignement de ces arrêts est logique, et plein de bon sens. Les demandes des plaignants semblent en effet un peu abusives dès lors que, surtout concernant le second arrêt évoqué, l’un deux avait coopéré de façon ostensible et manifeste.

De l’ensemble de ces éléments, la Cour déduit une autorisation tacite des plaignants d’utiliser leur image, et cela me parait dans la logique des choses.

Deux notions contradictoires sont pourtant mises en œuvre :

– dans les deux cas, la Cour fait référence au droit à l’information puisque la            participation des deux plaignants s’inscrit dans la manifestation générale à laquelle ils ont été conviés. Ce fondement aurait sans doute pu suffire à autoriser la publication des photographies

– la notion d’autorisation tacite est donc un peu surabondante, et pourrait sans doute permettre d’autoriser des publications au-delà du seul droit à l’information, mais l’articulation entre ces deux notions n’est pas bien délimitée dans ces arrêts.

Je trouverai peut-être d’autres décisions venant préciser l’articulation entre ces deux fondements autorisant la publication.

Bonne journée

Joëlle Verbrugge

 

 

7 commentaires sur cet article

  1. What surprises me in this is that in France, from what I understand, it is not sufficient that the photo has been taken in a public place. In many other jurisdictions one would reason like this: “if someone is in a public place, then anyone has the right to take a picture of them (and use it within certain limits)”. What this article seems to say about the situation in France is that EVEN if you take a photo of someone in a PUBLIC place it is NOT OK to use that photo. Or is the above things that apply only to “famous” or “public” figures in France? (Who seem to have an unreasonably strong protection.)

    1. It applies to every one , street photography and takind pictures of people on the street in France is a risky business. See “the Kiss” or “Baiser de l’hotel de ville ” famous photo taken by R. Doineau. The subjects of tsis photograph sued Doineau and got compensation 40 years after the photo was taken.

  2. Bonjour,
    je suis architecte et je souhaite louer ma maison en meublé ce bien étant particulier puis je en conserver le droit à l’image à l’extérieur comme à l’intérieur,ceci afin d’en éviter l’utilisation mercantile .

  3. bonjour,
    Mon mari vend sur les marchés locaux des produits de notre ferme. Il a été photographié par un “concurrent” qui a mis ce cliché sur son site internet et sur des flyers.
    Nous lui avons demandé de les retirer, sans succès.
    Peu-t-on espérer que le Tribunal nous donne raison ?

    1. Bonjour,
      Oui en effet, c’est assez énorme comme cas..
      Il serait utile de faire un constat d’huissier pour le site, et d’essayer de vous procurer des flyers.
      N’hésitez pas à me contacter ensuite si vous souhaitez aller plus loin, et ce par eMail (joelle.verbrugge.avocate@orange.fr)
      Cordialement,
      Joëlle Verbrugge

  4. Bonjour,
    Je viens d’avoir le cas.
    Lors d’un festival gratuit en plein air dans un lieu public (parc de la ville) avec aucune interdiction matérialisée de prendre des photos donc sans accréditation, j’ai pris des photos d’un artiste et après travail en post-production, j’ai mis les photos sur mon site et sur différentes pages facebook en précisant à chaque fois l’origine des photos. L’artiste en question m’a contacté pour me demander de retirer les photos étant donné que je ne lui avais pas demandé l’autorisation de les faire et encore moins de les diffuser. Je lui ai fait remarqué le caractère public de la manifestation, son caractère gratuit, le droit à l’information (les photos étant publiées avec mention du festival et du lieu)… Me menaçant des tribunaux mais plus encore de se retourner contre le festival et l’association qui le porte, j’ai préféré retirer les photos incriminées, non pas, par peur des tribunaux car je pense savoir que j’étais dans mes droits mais plus pour préserver l’association porteuse de ce petit festival. Juste pour ma gouverne, j’aurai voulu avoir confirmation qu’effectivement, j’avais le droit de prendre et de diffuser les photos (même si je les ai retiré). Et en tout cas, merci beaucoup pour tout ce que vous publiez et qui nous aide bien, nous photographe, dans l’exercice de notre activité et de notre passion.

    1. Bonjour,
      La question du conflit entre photographes et artistes de scène est en effet récurrente. Vous trouverez des développements à ce sujet dans l’ouvrage “Droit à l’image et droit de faire des images”.
      http://www.competencephoto.com/Droit-a-l-image-et-droit-de-faire-des-images-1ere-edition-le-livre-de-Joelle-Verbrugge_a2481.html
      (le sommaire est téléchargeable sur la même page).

      J’ai également publié une analyse complète d’un jugement rendu en 2015, sur le site http://www.jurimage.com (voir un article nommé
      Un artiste de scène a-t-il des droits sur les photos prises lors de son concert ou de son spectacle ? (Publié le 20/11/2015)

      Le conflit se corse en outre souvent lorsque l’artiste de scène utilise les photos pour sa propre promotion sans l’accord du photographe.

      Le problème est donc souvent complexe.

      Cordialement,

      Joëlle Verbrugge

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