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Droit à l’image : révision générale

Bonjour à tous,

Le droit n’est pas une science exacte… le droit à l’image l’est encore moins, comme on le souligne souvent. C’est la raison pour laquelle, lorsque je passe du temps à rédiger un ouvrage et à proposer, dans celui-ci, une petite méthodologie de réflexion autour des situations potentiellement conflictuelles, je guette ensuite la publication des décisions ultérieures pour les confronter à la méthode utilisée. Et quand un arrêt me tombe sous la main (après que j’ai, parfois, bien fouillé) c’est toujours avec une petite pointe d’angoisse que je me demande s’il va, ou non, mettre à néant le travail de tout un été (2013) à vous préparer une jolie petite méthode….

L’arrêt d’aujourd’hui est un beau modèle d’arrêt très riche, bien rédigé et bien structuré….
Voici, pour tout le monde, les faits de la cause et l’analyse qu’en donne la Cour.
Et au bas de l’article, un petit cheminement pour ceux qui ont acheté le bouquin et qui peuvent ainsi tester à nouveau la méthodologie proposée.

Les faits

Un entrepreneur de travaux agricoles avait loué ses services pour labourer les vignes au moyen de chevaux, cette prestation s’étant réalisée pendant plusieurs années consécutives.

L’un des vignobles ayant fait appel à ses services avait réalisé une campagne de communication incluant différents documents, lesquels reproduisaient notamment une photographie où le plaignant était visible et reconnaissable.  Cette même photographie se trouvait sur le site de l’exploitant “de façon centrée, unique et identifiable“, la photo ayant été prise pendant qu’il travaillait.

Le plaignant a donc assigné la société exploitant le vignoble sur base des articles 9 (droit au respect de la vie privée) et 1382 (responsabilité civile extra-contractuelle) du Code civil. Il sollicitait d’importants montants au titre de son indemnisation, ainsi que l’interdiction pour le vignoble d’utiliser le visuel sous quelque fort que ce soit, et ce sous peine d’astreinte.  Le vignoble, quant à lui, appelait en garantie la société qui avait réalisé ces supports de communication et pris l’initiative d’intégrer la photographie dans les documents en faisant reproche à celle-ci de lui avoir laissé entendre que le prix de la photographie incluait l’autorisation de s’en servir, alors que l’autorisation de la personne représentée n’avait manifestement pas été obtenue.

Le TGI de Dijon avait, par un jugement du 9/1/2012, fait en grande partie droit aux prétentions du demandeur. Certes les montants sollicités avaient été sérieusement réduits, mais il se voyait malgré tout allouer une indemnité substantielle de 15.000 euros. Parallèlement à cela, il était fait interdiction au vignoble de faire usage du visuel, sous peine d’astreinte, et l’intermédiaire ayant réalisé les supports se voyait quant à lui condamné à garantir le vignoble à hauteur de l’ensemble des montants prononcés.

C’est donc cet intermédiaire qui a saisi la Cour d’Appel en second degré, dans l’espoir de voir réformer le jugement rendu.

L’arrêt (CA Dijon, 5/11/2013, RG 12/01393)

Les argumentations du vignoble et de l’intermédiaire ayant établi les supports de communication peuvent, en première instance et en appel, se résumer comme suit :

– Tout d’abord, on rétorquait au plaignant que son action était prescrite, à défaut pour lui d’avoir assigné plus rapidement à partir de la publication des visuels litigieux. Cette argumentation ne fit pas mouche, puisqu’au moment de la publication, la loi sur la prescription n’avait pas changé, et que l’action se prescrivait toujours par 10 ans comme toute action personnelle sous l’empire de l’ancienne loi (NDLR : ce délai est aujourd’hui réduit à 5 ans – Voir pour le rappel de la matière les pages 420-421)…
Un coup dans l’eau (le vin ?) pour les défendeurs, car l’analyse est confirmée en appel.

– On contestait en outre le fait que le plaignant soit identifiable, mais cet argument fut également balayé tant par le Tribunal que par la Cour.

– Un troisième argument concernait la circonstance que le plaignant était photographié dans le cadre de son activité professionnelle, ce qui à suivre les deux sociétés concernées suffisait à autoriser la publication de la photographie. La Cour considéra “qu’il est indifférent que la photographie ait été prise à l’occasion de l’activité professionnelle (du plaignant) qui n’avait aucun caractère public, quoi que persiste à soutenir sans aucune justification la société /…./.” (Arrêt, page 7).

– On évoquait l’existence d’un “témoignage” émanant du photographe salarié par l’intermédiaire, et selon lequel le plaignant s’était prêté de bon gré à la séance photo, sachant pertinemment à quel usage les images étaient destinées. Ce témoignage fut écarté au titre du droit de la preuve, s’agissant d’un préposé de la société à qui il devait bénéficier. Les tribunaux refusent en effet fort légitimement de considérer comme probante une attestation émanant d’un salarié de la personne qui produira le document au titre de preuve.

– Il était ensuite rétorqué au plaignant que la photo avait été prise “dans un lieu ouvert” et que la photo était destinée à “mettre en avant l’activité professionnelle du plaignant“. Mais la Cour, suivant l’argumentation du TGI, rejette également cette argumentation, considérant que caractère “ouvert” du lieu ne changeait rien à l’affaire, l’essentiel étant que le cliché avait pour seul objet “de valoriser l’image du domaine viticole à raison de l’utilisation d’une méthode traditionnelle de labour ainsi illustrée”, ce qui était totalement différent de la finalité avancée par les parties défenderesses. (Arrêt, page 7).

– Produisant une revue de presse dans laquelle différentes photographies du plaignant figuraient, les défenderesses tentaient également de démontrer qu’il se “prêtait volontiers à être photographié“, mais la Cour a répondu que “(le plaignant) étant libre de consentir ou non à la diffusion de son image et seul apte à déterminer si le contexte de la diffusion est conforme à son éthique personnelle, son consentement doit être requis” (arrêt, page 7).

– Il était ensuite avancé que le plaignant ne démontrait pas la réalité et l’étendue de son préjudice, sachant qu’il n’était “pas présenté sur la photographie d’une manière péjorative, ne justifierait d’aucun préjudice dès lors qu’il ne démontrerait pas une quelconque dépréciation de son image ni un manque à gagner alors que, ne bénéficiant pas d’une grande notoriété, il profiterait au contraire, par le biais des publications litigieuses, de l’image luxueuse et valorisante d’une maison de renommée internationale (argumentation des défenderesses, Arrêt p. 8). Traduit en langue “droit à l’image” cela revient à dire : “vous n’êtes pas un mannequin ou une célébrité qui vent son image, vous ne perdez donc rien du fait de cette publication”.

La Cour répond à cela que l’importance de la diffusion sur support papier (29.000 exemplaires du document en 3 ans)et  la diffusion sur le site Internet (librement téléchargeable), le tout “à des fins commerciales qui lui sont étrangères, caractérise bien l’existence d’un préjudice dès lors que Monsieur /…/ ne bénéficie d’aucune rémunération sur cette utilisation commerciale de son image, alors qu’elle participe à la valorisation commerciale de la Maison /…./“.  (Arrêt P. 8).

La Cour relève aussi que, lui-même exploitant et fondant son activité sur des méthodes biologiques, il diminue d’autant sa marge bénéficiaire ce qui le place dans une situation de concurrence difficile, dont il n’a pas à faire doublement les frais en servant malgré lui à la promotion du vignoble concerné par l’action en justice.  La Cour note qu’une confusion pouvait même être entraînée par cette utilisation sur la qualité respective des parties, et leur éventuel lien de subordination alors qu’il s’agit de concurrents.

Pour toutes ces raisons, les dommages et intérêts sont augmentés par rapport au jugement et fixés à 25.000 € tous préjudices confondus

Enfin, l’intermédiaire ayant réalisé le support de communication est confirmée : “En tant que professionnel de l’édition et de la communication, la SARL /…./ avait nécessairement l’obligation de s’enquérir auprès (du vignoble) du consentement (du plaignant) pour être photographié dans les vignes et pour que sa photographie soit utilisée sur les plaquettes publicitaires (du vignoble)”. Par contre, la Cour partage les torts à cet égard, puisqu’il semble que le vignoble ait en outre pris quelques libertés avec les cessions de droits consenties sur l’utilisation de l’image, dépassant ainsi ce qui avait été convenu entre l’intermédiaire (et son photographe) et l’annonceur final. L’intermédiaire n’est donc condamné à garantir qu’à hauteur de 30% du préjudice alloué, le vignoble s’acquittant de son côté des 70% restants.

Qu’en penser ?

Lieu “ouvert” ou lieu privé/activité professionnelle et respect de la vie privée/durée de la prescription/ autorisation tacite/utilisation commerciale/préjudice/responsabilité de l’intermédiaire professionnel…..

Il est rare de trouver dans le même arrêt des confirmations sur autant de points de droit en matière de droit à l’image. Et si l’arrêt confirme de façon fort structurée (ah, si tous pouvaient être aussi bien rédigés !) les enseignements pour l’instant acquis, il est donc bon de garder à l’esprit la règle essentielle : DES QUE L’UTILISATION DE L’IMAGE EST COMMERCIALE, il FAUT l’accord de la personne représentée.

Les participants à la formation donnée il y a 3 semaines ne me contrediront pas : la difficulté est parfois de définir le caractère “commercial”.
Certes.
Mais raisonnons pour l’instant de façon prudente : si la communication est destinée à vanter les mérites d’un bien, d’un produit ou d’un service, au sens très large, il faut à mon avis considérer qu’elle est “commerciale” au sens de cette matière particulière, à cheval entre droit patrimonial et droit de la personnalité.

Et le bonus pour les lecteurs du livre

A présent, appliquons la méthodologie proposée en pages 394 et 395 de “Droit à l’image”. En reprenant les questions posées, dans le même ordre, sur mon schéma (et sans éventer le suspense pour les autres : on ne dévoile pas la fin d’un film à ceux qui ne l’ont pas vu !), ça donnerait :

1ère question en haut du schéma : réponse positive
==> branche de droite
2ème question : réponse négative
==> on poursuit le cheminement
3ème question : seconde option, on descend vers le bas/droite du tableau pour s’interroger sur la finalité de l’utilisation, ici commerciale (la Cour le souligne suffisamment).
Et le résultat est bien sûr conforme à ce qui a été confirmé par la CA de Dijon.

Je vous incite à faire l’exercice chaque fois que je vous parlerai d’un problème de droit à l’image, ça aiguise les bonnes habitudes…

Question bonus

J’entends déjà des voix qui s’élèvent pour me dire :

Décidez-vous voyons ! Vous expliquiez aussi que pour faire la promotion d’une entreprise, la photo des salariés était admise?

J’ai heureusement tout prévu, et voici ma réponse : “Absolument… mais ici le plaignant n’était absolument pas salarié de la société qui avait utilisé la photo, et intervenait de façon indépendante. Il était même, par ailleurs, concurrent, puisque lui aussi vigneron. Dès lors, l’utilisation commerciale impliquait l’accord de la personne représentée !”

YESS.. J’aime quand le travail de titan accompli pour essayer de systématiser un peu cette matière en perpétuel mouvement semble se vérifier..
… mais ça ne signifie nullement que demain je ne trouverai pas une décision me disant exactement le contraire. Ce doit être ce suspense permanent qui fait l’intérêt de la matière à mes yeux.

Et ce doit être également un brin de sadisme (mais gentil, je vous assure) qui m’a fait choisir un titre comme “Droit à l’image : révision générale”…  Il fallait bien sûr entendre “révision” dans le sens de “évaluation de vos connaissances” et non pas, heureusement, dans le sens de “théorie totalement bouleversée, file réécrire ce bouquin fissa”… Ah… les richesses de la langue française au service de la virologie web des articles…

A présent que nous sommes tous rassurés (pour l’instant du moins) je vous souhaite une excellente fin d’après-midi.

Joëlle Verbrugge

6 commentaires sur cet article

  1. “J’aime quand le travail de titan accompli pour essayer de systématiser un peu cette matière en perpétuel mouvement semble se vérifier..
    … mais ça ne signifie nullement que demain je ne trouverai pas une décision me disant exactement le contraire. Ce doit être ce suspense permanent qui fait l’intérêt de la matière à mes yeux.”

    Peut-être… Peut-être… mais ce n’est pas ce qui nous aide à bien comprendre le sens des règles édictées! 🙂

    Ici, en tous cas, tout me paraît fort logique. Pour une fois!

    1. Bonjour Jean-Marc
      IL y a malgré tout le plus souvent une logique, tu verras si tu lis le bouquin.
      Du moins dans les règles générales qui se dégagent quand on fait une étude d’ensemble. Mais bien sûr, pas de règles sans exceptions… et tout dépend bien souvent de l’appréciation personnelle du magistrat, ce qui n’est pas fait pour aider…
      Joëlle

  2. Bonjour Joëlle,
    Je place ici une question, en espérant que vous aurez le temps et l’envie d’y répondre. Est-il possible de rémunérer quelqu’un qui apparait sur une photo de reportage et y est reconnaissable, la dite photo étant destinée à une utilisation commerciale ?
    Une société de covoiturage me demande un devis pour un reportage sur ses services. Je ne pense pas qu’ils savent comment rémunérer les utilisateurs qui accepteront de se faire photographier et qu’ensuite leur photo soit utilisée commercialement, et je ne le sais pas non plus…
    Encore merci pour ce blog !
    Emilie.

    1. Bonjour,
      Il est de toute façon obligatoire d’avoir son accord pour cette utilisation…
      Vous trouverez tout cela dans l’ouvrage “Droit à l’image et droit de faire des images”.
      Cordialement,
      Joëlle Verbrugge

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