Du savoureux usage du mot “Mission”
Publié le 12 août 2015
Bonjour,
“Mission” : “Charge donnée à quelqu’un d’accompli une tâche définie” (Larousse)
Lorsque cela se produit dans le cadre d’un contrat de travail, on parle d’une instruction, d’un ordre, de l’exercice du lien de subordination. Lorsque cela s’accomplit en dehors d’un contrat de travail, cela peut se traduire par une “commande”.
Si l’on peut se réjouir que l’inventivité des développeurs n’ait pas de limite, que ce soit dans le monde de la photo ou pas, et que fleurissent ça et là des tas d’applications proposant des réseaux sociaux, certains mots peuvent aussi alerter. Et « mission » en fait partie…
Ainsi, je découvre au détour d’un flux RSS l’annonce de la création d’une appli smartphone permettant certes de partager des photos avec une communauté d’internautes, de partager également les étapes du traitement fait à l’aide de l’appli, mais aussi de “participer à des missions” pour avoir l’infini plaisir de voir ses photos publiées par des compagnies internationales…
« Submit your work to win prizes and get published worldwide through our exciting partnerships. ») (source : site )
Je décide donc d’aller y faire un tour.. j’installe, je m’inscris… et au démarrage de l’appli, je jette un œil sur ces fameuses « missions ». L’application, qui tient compte de la langue de mon smartphone, m’indique au démarrage
Développez votre portfolio & vendez des photos à des marques et des médias à travers le monde.
Voici ce que l’on m’explique, puisque j’ai décidé de devenir célèbre…
En me penchant sur les « missions » proposées, qui indiquent toutes ce qu’il y a à gagner (toujours une publication sur internet et réseaux sociaux du commanditaire, et parfois des produits – boîtier réflexe, smartphone, vêtements etc) les conditions de la cession sont parfois précisées, parfois pas.
Certaines renvoient aux CGU de l’appli elle-même, accessibles également en ligne.
On y apprend notamment :
. Que pour les usages par l’application elle-même, le nom de l’auteur ne sera pas forcément mentionné
EyeEm is not obliged to indicate User as author and/or originator of User’s Works that are shown on the Websites. »).
Ces mêmes CGU traduisent ensuite « pour les non-avocats » de façon en effet fort claire
EyeEm doesn’t own the photos you upload. But when you upload photos, you agree that we can feature them to help globally promote EyeEm, the community, and our various projects. That means, your photos might be seen in our app, on our website, in marketing material, in videos, in our partnerships with other companies, etc. If we use one of your photos in such ways, we’ll try our best to credit your EyeEm username when possible. When you delete your photos, that means we’ll no longer be able to feature them unless it has already been selected, like in a long-standing advertising campaign, for example.
Donc, « si possible » le nom de l’auteur sera indiqué (« we’ll try our best to credit your username when possible »), et la participation permet, entre autres, l’utilisation dans des partenariats « avec d’autres sociétés ». Fort bien, mais lesquelles ?
. Certaines missions font un bref rappel en se référant également aux conditions générales de l’annonceur, quelques engagements étant aussi pris de créditer le nom du photographe «là où c’est possible ».
. J’ai également exploré, à partir de l’application la rubrique « tutoriel » expliquant comment contribuer. Le début de l’exposé semble faire mention d’une contrepartie monétaire (ce qui ouvrirait d’ailleurs un autre débat professionnels/amateurs dans lequel je ne rentrerai pas aujourd’hui) puisqu’on trouve les mentions “brands and cash” (produits et argent) :
Mais la fin de cette même rubrique détaille les rétributions….
Au final, s’il faut analyser en droit, je relèverai que sauf si j’ai vraiment mal regardé, il est plus question d’échanges que de « vente ». Les fameux « échanges de bons procédés » dont il fut notamment question dans un sujet diffusé sur une grande chaine nationale début mars, et qui avait fait bondir non seulement tous les photographes, mais également tous les créateurs..
Pour ceux qui veulent aller plus loin, j’ai détaillé ces mécanismes, sur le plan légal (au regard du droit du travail) dans un article paru sous l’appellation “Jurimate” (article du 11/6/2015 dans la section « Statuts des photographes » – un clic sur le visuel ci-dessous vous y amènera) :
Mais dans tous les cas, si l’on s’en tient déjà aux seules mentions de ces « Terms of Services », je crains fort que les dispositions du Code de la propriété intellectuelle (de même d’ailleurs que certaines dispositions européennes en matière de droits d’auteur) soient sérieusement malmenées…
Certes, chacun peut donner son accord (pour autant qu’il soit clair) pour renoncer à la mention de son nom en tant qu’auteur d’une œuvre. Certaines jurisprudences ont d’ailleurs indiqué que cette renonciation était toujours révocable…
Mais si l’on prend pour présupposé que le but de l’opération est de vous faire connaître à travers le monde, je crains fort que certains risquent de grandes désillusions… la renommée sera moins facile à atteindre si le nom de l’auteur n’est pas mentionné. Et je ne parle pas bien sûr du coût qu’épargne ainsi l’annonceur sur une « campagne mondiale » pour laquelle il aurait à faire appel à un photographe dans des conditions plus normales.
Un photographe averti……
Excellente journée à tous,
Joëlle Verbrugge
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Bonjour et merci pour ces messages de veille fort pertinents.
Je crains malheureusement que ce genre de démarche trouve toutefois son développement (à mon grand regret).
J’ai parcouru les différents licenses proposées, …il ne nous restera plus que les yeux pour pleurer ,…étant donné que c’est notre outil de travail, …je crains le pire !…
En revanche, je n’ai pas réussi à voir combien les photos sont vendues à un acquéreur intéressé ?
Bien à vous et merci encore.
Jean-Marie Leclère
Il n’y a strictement aucune mention à ce sujet.. on parle surtout d’échange de cadeaux, etc…. le but de l’article est précisément d’attirer l’attention.
Je ne dis pas qu’aucune vente n’a jamais été réalisée, je n’en sais rien.. peut-être est-ce le cas… mais dans cette hypothèse, j’imagine qu’il y aurait autre chose à mettre dans la section qui détaille les contributions offertes aux photographes, que la seule liste des produits offerts….
Bonjour Joëlle,
Et bien, nous sommes dans la “droite” ligne du “fameux” reportage de France 2 en mars dernier 🙁
Cordialement,
François Jx
Bonjour,
Oui en effet, pour cela que j’y fais expressément référence dans mon article.. ainsi qu’à l’analyse juridique complète que j’avais publiée à ce sujet sur le site https://www.29biseditions.com/home/104-incitation-ou-apologie-de-travail-dissimule-que-dit-la-loi-.html
Tout à fait ça !!
Bjr Joëlle
Avez vous été au bout du chalenge a savoir acheter une photo sur ce site !?
Merci à vous pour tout le mal que vous vous donner et toutes ces infos utiles dans cette jungle
Bonne soirée
Je n’ai pas vu de possibilité pour un particulier d’acheter une photo.. cela semble être uniquement pour les annonceurs qui lancent des concours.. mais peut-être n’ais-je pas tout vu, c’est possible…
Bonjour,
Vous ne précisez pas la grande différence entre le copyright anglo-saxon et le droit d’auteur. Et précisément en matière de mention du nom de l’auteur. Merci.
Bonjour,
Peut-être parce que ce blog est consacré au droit français ? Et qu’à partir du moment où un site (ou une application) prétend faire appel à des photographes français pour des “missions” qui se déroulent également sur le territoire français, les juges appliqueront aussi la loi ayant les liens les plus proches avec le contrat conclu….