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Et on ne coupe pas non plus le pied d’un feu d’artifice !

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Bonjour

Dans la lignée de l’article que je vous proposais la semaine dernière, voici un autre arrêt où il est question à la fois de modification de l’intégrité d’une œuvre, mais également d’originalité et d’étendue de cession.

“Trois en un”, donc, je ne pouvais pas passer à côté.

Les faits

Un photographe, qui disposait d’une carte d’accréditation permanente au stade d’Angers avait transmis au Club une série de 190 clichés réalisés lors d’un match du 28 janvier 2004, à l’occasion duquel avait notamment été tiré un feu d’artifice.

Les photographies transmises étaient accompagnées d’une grille de tarif, et de la mention “Droits d’auteur inclus uniquement à usage interne au club, pour autres usages, me consulter”.

Et bien sûr, je ne vous parlerais pas de cette affaire si cette mention avait été respectée.

Quelques mois plus tard, en effet, le photographe constatait qu’une campagne de promotion du Club de football d’Angers était proposée sur un photomontage dont le fond était – en partie –  constitué d’une des photographies du fameux feu d’artifice du 28 janvier.  Photo recadrée pour l’occasion, et non signée bien entendu. Il avait alors assigné le Club devant le Tribunal de Grande instance de Paris, de même d’ailleurs que la société qui s’était chargée de la campagne d’affichage.

Le Tribunal,  par un jugement du 12 décembre 2006, avait débouté le photographe en considérant qu’il ne rapportait pas la preuve du caractère original de la photographie litigieuse.

Le photographe avait donc interjeté appel, ce qui nous vaut l’arrêt dont il est question aujourd’hui

 L’arrêt du 15/10/2010

La Cour d’Appel de Paris, dans cet arrêt (RG 08/15606, CA Paris 15.12.2010, Pôle 5, 2ème ch.) divise sa motivation en plusieurs parties :

. sur l’originalité, tout d’abord, la Cour, après avoir rappelé les termes du Code de la Propriété intellectuelle, réforme le jugement du Tribunal de Grande instance en ces termes:

Considérant que le  SCO d’Angers dénie vainement tout caractère original à la photographie litigieuse en soutenant que, dès lors que M. B. n’avait aucune maîtrise sur la composition et l’éclairage de l’objet de la photographie, tout photographe placé dans des conditions similaires aurait obtenu un résultat sensiblement identique à la photographie en cause ;
Considérant en effet, sauf à démontrer que la photographie litigieuse serait le résultat d’un procédé purement mécanique dépourvu de toute recherche et finalité esthétique, que le déclenchement de la prise de vue et le cadrage procèdent de choix esthétiques personnels en vue de capturer une image particulière et unique et reflétant la personnalité de son auteur ;

Considérant que l’appelant expose que le cliché en cause «conjugue des choix de cadrage, de composition, de ligne d’horizon par paliers, de même qu’une expertise technique liée à une recherche émotionnelle et scénographique» ; qu’il décrit l’originalité de la photographie, qui n’aurait pas été prise en mode rafale, en expliquant son parti pris scénographique conjuguant une organisation de l’image et un traitement de la lumière laissant transparaître l’empreinte de sa personnalité; qu’il conclut avoir voulu « saisir la chronologie intégrale du feu dans son implosion finale, saisir la dichotomie ente la présence des silhouettes multiples, visibles au loin dans leur attroupement statique au sein des tribunes, et la présence isolée et pleinement participative de l’artificier accroupi »;
Considérant qu’il ressort ainsi des débats que la photographie résulte de choix personnels de l’auteur dans la captation d’un spectacle de la vie sportive portant l’empreinte de sa personnalité et que M. B. est en conséquence fondé à revendiquer la protection par le droit d’auteur “;

. sur l’existence d’une contrefaçon, ensuite, la Cour relève qu’AUCUNE pièce du dossier ne contient la preuve d’une cession de droits opérée au-delà d’un usage interne au club.
Or, par référence avec l’article L131-3 du CPI qui exige une mention distincte dans l’acte de cession, ainsi que sur base de  la mention qui accompagnait les clichés à l’origine (“pour autres usages, me contacter“), la Cour considère qu’il y a bien contrefaçon.

Elle fait également peser la responsabilité de celle-ci à l’égard du photographe sur la société ayant réalisé la campagne d’affichage, en considérant que sa seule ignorance /…/ du caractère contrefaisant des affiches ne saurait l’exonérer de sa responsabilité; qu’ainsi, en reproduisant sous forme d’affiche la photographie en cause sans autorisation de son auteur, la société /…/ a commis des actes de contrefaçon.”

. enfin, sur la question du préjudice, la Cour commence par rappeler les droits MORAUX de l’auteur, parmi lesquels le droit au respect de l’œuvre.

A ce sujet en effet, l’auteur faisait également reproche au Club d’avoir modifié l’image (recadrage partiel pour insertion en arrière-plan ainsi qu’un défaut de signature).

Le Club, quant à lui, se défendait en arguant de ce que la photographie n’avait pas fait l’objet de modification, mais avait été mise en arrière plan d’une affiche, dont “l’élément moteur” résidait uniquement dans l’image des joueurs se congratulant, et qui constituait l’avant-plan de l’affiche.

Peu sensible à cette argumentation, la Cour a fort heureusement jugé que le recadrage partiel et l’utilisation en arrière-plan de la photographie en cause a pour conséquence d’amputer l’œuvre de M. … de certains de ses éléments; qu’ainsi, en modifiant la photographie en cause, le SCO d’Angers a porté atteinte au droit moral de M. …; que de même, la seule utilisation tronquée de la photographie ne saurait justifier l’atteinte au droit à la paternité de l’auteur.

La Cour souligne ensuite que le droit moral de divulgation a également été violé.

Par la suite, se basant sur les données techniques de la campagne d’affichage (nombre et format des affiches), le préjudice patrimonial est évalué à 5.000 € pour l’ensemble des affiches, et le préjudice moral  à 15.000 €. Par contre, la demande de photographe de publication de l’arrêt dans plusieurs quotidiens est rejetée.

En ce qui concerne les relations entre le Club de Football et la société ayant réalisé la campagne d’affichage, le premier fut condamné à garantir la seconde des conséquences financière de l’arrêt, puisqu’il appartenait au Club de ne fournir à l’Agence que des photographies sur lesquelles il disposait des droits requis. A l’égard du photographe, par contre, le Club et l’Agence sont condamnés solidairement.

Qu’en penser ?

Voici une affaire étonnante, où pour justifier de l’utilisation d’une atteinte au droit à la paternité de son auteur, le contrefacteur invoque le fait que la photographie a été tronquée: “j’ai utilisé votre photo sans indiquer votre nom, mais cela n’est pas grave, puisque de toute façon ce n’était qu’une partie de la photo !!”. Étonnante justification à l’égard de laquelle il est heureux que la Cour n’ait pas été dupe…

Étonnant, l’arrêt l’est aussi à un autre titre, puisque pour une fois, l’indemnisation des dommages moraux est de loin supérieure à celle des dommages patrimoniaux.

L’affiche avait en effet été utilisée sur de multiples supports :
. 96 affiches de 99×83 cm sur les bus d’Angers pendant 1 semaine
. 48 panneaux de 3×4 m à Angers pendant 6 jours
. 24 panneaux de 3x4m à Cholet pendant près d’1 mois

Et ces utilisations débouchent sur une condamnation à une somme de 5.000 €. Même si je n’ai pas le temps de vérifier cela à l’instant, il me semble que les barèmes  UPP aboutiraient à une cession de droits nettement plus élevée.

Les droits moraux de respect de la paternité, de l’intégrité de l’œuvre et du droit de divulgation donnent lieu quant à eux à une condamnation 3 fois plus importante.

Cela étant, pour une fois que l’on reconnaît aux droits moraux de l’auteur une place prépondérante, je serais également malvenue de m’en plaindre. Mais ceci ne remplira pas le frigo du photographe, qui de surcroît avait droit à l’aide juridictionnelle, preuve s’il en fallait encore qu’il ne vit sûrement pas confortablement de son art..

Voilà donc pour aujourd’hui.

A bientôt

Joëlle

Photo d’accroche ©Kazuend – Licence Creative commons

4 commentaires sur cet article

  1. Commentaire laissé par El Gecko le 25/8/2011

    Moi, ce qui me sidère quand-même le plus dans toutes ces histoires, c’est qu’aujourd’hui, alors que des milliards de photos sont shootées chaque jour, des millions postées ici ou là, chaque heure, que tout le monde a enetendu parler au moins une fois dans sa vie de Photoshop… il y ait encore des gens/entreprises capables de piquer des photos ne leur appartenant pas (et en plus, c’était écrit donc) en toute impunité?!!!

    Merci encore une fois, Joelle et Didier, de ces développements/commentaires toujours vraiment intéressants!

    1. J’attends en effet de disposer de l’arrêt intégral de la Cour de Cassation pour rédiger un article en ce sens.

      Dès qu’il sera disponible sur les sites de Dalloz ou de la cour elle-même, je m’occupe de ça

      Bonne journée (malgré tout)

      Joëlle Verbrugge

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