Hors contexte, ça ne marche plus !
Publié le 1 août 2014
Sommaire
Bonjour,
L’article du jour est consacré aux photographies prises lors d’un événement public et aux limites de leur possible utilisation ultérieure.
Les faits
Deux ressortissants afghans avaient obtenu en 2012 le statut de réfugiés politiques, et ce notamment avec l’aide d’une association établie sur le territoire français. L’un d’eux avait en outre obtenu le bénéfice de la protection de l’État français.
Dans le cadre d’une cérémonie de remise des prix suite à une manifestation sportive, ces deux réfugiés avaient été pris en photo à côté de Mme Dati. La photo avait toutefois été ensuite utilisée par celle-ci en page 7 du fascicule présentant son programme de campagne afin d’illustrer son engagement relatif aux événements sportifs de l’arrondissement parisien concerné.
Le Président de l’association qui était venue en aide aux deux réfugiés avait alors demandé le retrait des photographies, mais celui-ci avait été refusé au prétexte que les photos avaient été prises dans une réunion publique. Les plaignants avaient donc assigné Mme Dati en référé dans le courant du mois de mars 2014. L’Association qui avait aidé à l’obtention de leur statut de réfugié prenait également part à la procédure, estimant qu’un doute était volontairement créé quant à leur soutien politique à la candidate, puisque le logo de l’association, bien visible, figurait sur les T-shirt de deux personnes apparaissant aussi sur la photo.
L’ordonnance (TGI Paris, ord. réf.), 21/3/2014, RG 14/52660
Les demandeurs soutenaient tout d’abord que “de par les conditions dans lesquelles ils ont quitté leur État d’origine, (ils) bénéficient de la protection de l’État français, ont un intérêt vital à ne pas pouvoir être géolocalisés ce que compromet la large diffusion de cette photographie, sur laquelle ils sont aisément identifiables. Ils sont ainsi exposés, ainsi que leurs familles restées en Afghanistan, à un risque de représailles.”
En outre, ils n’avaient jamais été sollicités pour donner leur autorisation avant la publication, l’ordonnance relève que cette utilisation était prohibée, quelles que soient les conditions de la prise de vue.
Il est également souligné que la photo laissait planer une incertitude sur l’éventuel soutien de la campagne politique par l’association d’aide aux réfugiés, puisque le logo de cette association figurait de façon visible sur les t-shirts de deux personnes apparaissant également sur la photo. Sur cette question, l’association indiquait que cela “peut laisser entendre qu’elle bénéficie d’un soutien de la frange politique à laquelle appartient Mme Dati ou qu’elle soutient sa campagne”, ce qui portait atteinte à sa totale neutralité politique.
De son côté, la candidate soulevait une exception d’incompétence du Tribunal en indiquant que seul le juge du contentieux électoral était compétent. Elle invoquait aussi le fait que le logo et le nom l’association n’étaient pas reconnaissables sur les t-Shirts.
Elle invoquait aussi le fait que le trouble, à le supposer admis, avait de toute façon disparu puisque la photo avait été supprimée du site Internet et que la distribution du programme électoral était terminée, ce qui plaçait le magistrat devant l’impossibilité de prendre une mesure qui serait de toute façon inopérante.
Enfin, elle contestait le danger que cette publication aurait pu faire courir aux deux intéressés, en relevant que “les représailles /…/ supposent un intérêt des talibans pour le programme électoral /…/ dont la réalité laisse dubitatif“
L’ordonnance trancha de la façon suivante :
Après avoir écarté l’exception d’incompétence, et confirmé la recevabilité de la demande également pour l’Association dont il est reconnu que la neutralité politique est un élément déterminant de son action, l’ordonnance rentre dans le vif du sujet.
Rappelant que la photo avait été prise dans le cadre d’une manifestation publique à laquelle ils participaient, le juge va limiter la portée de l’accord implicite que cela pouvait engendrer en terme de diffusion des images :
“De leur accord implicite dans ce contexte particulier, il NE peut être déduit qu’ils aient renoncé pour l’avenir à se prévaloir de leur droit sur leur image et que celle-ci puisse désormais être utilisée dans n’importe quel autre contexte, en dispensant l’utilisateur de la nécessité de recueillir leur autorisation préalable. En l’espèce, celle-ci s’imposait d’autant plus que la photographie litigieuse paraît aujourd’hui dans une publication dont la finalité ne vise pas la promotion d’un événement sportif, mais la présentation d’un programme électoral avec lequel les demandeurs sont légitimement fondés à refuser toute forme apparente de corrélation, si ténue soit-elle, sans consentement de leur part.“ (Ordonnance, page 6)
Au vu du statut particulier des deux premiers demandeurs, en outre, l’ordonnance relève que “quoi qu’il en soit de l’effectivité du risque de représailles qu’ils craignent, qui est rebelle à toute évaluation objective, la large diffusion de leur photographie met à mal un besoin particulier de discrétion, voire d’anonymat, et participe au trouble illicite dont ils réclament la cessation”.
Enfin, ce trouble n’était selon le magistrat pas totalement terminé, puisque “aucune assurance n’est donnée sur l’épuisement du stock des fascicules-programmes comportant la photographie litigieuse, ni sur le sort qui leur sera réservé en particulier dans l’hypothèse d’un second tour, estimé improbable par la défenderesse mais qui n’en n’est pas moins envisageable“.
Par contre, en lieu et place de l’interdiction totale de distribution, l’ordonnance condamne à l’occultation de la photo dans le programme, sous peine d’astreinte dissuasive de 3000 euros par infraction constatée. En d’autres termes, chaque programme distribué à partir de ce moment devrait contenir un dispositif masquant la photo, et chaque infraction à cette condamnation entrainerait une condamnation de 3.000 €.
Enfin, et sur base de l’article 700 du Code de Procédure, la défenderesse est condamnée au paiement d’une somme de 2.000 euros au profit des demandeurs.
Qu’en retenir ?
Comme pour toute manifestation publique, qu’il s’agisse d’un défilé pour ou contre un sujet quelconque, ou d’une remise de prix, conférence de presse ou toute autre occasion de ce genre, des photographies sont prises, dont il n’est en général pas possible de refuser la diffusion.
Cela étant, j’ai rappelé dans l’ouvrage “Droit à l’image” que les photos ne pouvaient pas être détournées de leur contexte. Ainsi, la photo prise lors d’une manifestation sur la voie publique doit, si elle est réutilisée, mentionner de façon claire à quelle occasion elle a été prise, de façon à ne pas lui faire dire autre chose que ce que les personnes représentées souhaitaient exprimer en manifestant.
L’ordonnance rendue dans cette affaire reprend exactement le même enseignement, et rappelle ainsi indirectement qu’une campagne politique ne peut logiquement pas entrer dans le cadre du droit à l’information, et que l’utilisation d’une photo où apparaissent deux personnes reconnaissable implique l’accord de celles-ci.
Ceci revient à assimiler, dans la distinction que fait la jurisprudence, ce type d’utilisation à une utilisation “commerciale”. Ceux qui ont assisté à mes conférences m’ont souvent entendue dire qu’il fallait à mon sens entendre cette notion de façon très large, et que serait alors “commerciale” toute utilisation visant à promouvoir non seulement un produit, mais également un service, une idée politique, etc. Cette ordonnance en est une belle illustration.
Pour la petite histoire, et aux dernières nouvelles, si l’intéressée a rapidement supprimé les photographies, il semble que pour l’exécution de la condamnation pécuniaire, les choses soient moins simples.
Des décisions de justice, ça s’exécute pourtant…
Bonjour
Quels sont les prérogatives des photographes prenant des photos d’enfants ou adultes, à l’étranger ( Asie, Inde, Afrique….) dans le but de les exposer et de les vendre, sans en informer les modèles ? Utiliser l’image d’une personne sans son consentement, sous prétexte qu’elle ne le saura probablement jamais, est ce bien moral et respectueux ?
Si l’on applique strictement le droit français, le photographe qui prend la photo dans le cadre de sa liberté d’expression artistique (vente de tirages originaux limités et signés ou cession de droits) peut utiliser l’image, sauf pour la personne à démontrer que la diffusion lui cause “des conséquences d’une particulière gravité”.
Dans le cas que vous évoquez, il s’agit de personnes situées à l’étranger.
Le droit à l’image étant un droit de la personnalité, il sera en principe régi par la loi nationale de chaque individu.
De manière générale, le droit français est à cet égard l’un des plus sévères, de telle sorte qu’il est probable que la loi nationale des pays en question soit plus favorable encore aux photographes.
Ceci n’autorise toutefois pas n’importe quoi, et la morale ou l’éthique doivent malgré tout jouer leur rôle dans l’esprit du photographe.
Mais je vous accorde que la limite n’est pas facile à tracer.
Cordialement
Joëlle Verbrugge
Bonjour,
La notion d’actualité m”interpelle quant à la durée pour laquelle on peut considérer qu’un photographe, même simple amateur, ” informe”. Idem pour la liberté artistique.
Exemple je poste sur un site des photos prises lors d’un évenement, légendée en conséquences. Dont Acte. Des mois plus tard, supposons que la photo soit toujours sur le site en question… l’évènement est passé, doit on considérer que ce n’est plus de l’information et que je risque quelque chose si la photo n’est pas retirée ? ( sauf à invoquer la liberté d’expression ou la création artistique).
Même problématique pour la liberté artistique : je prends une photo, (dans un lieu public évidemment): un Portrait, publié sur un site comme Portrait et légendé comme tel avec des propos flateurs (Sujet qui est un thème de photographie). Va t on pouvoir sérieusement me reprocher de ne pas avoir flouté le visage ou barré les yeux en noir… pour un thème… de Portrait !! reconnu comme tel et “oeuvre artistique” ?
Merci de votre opinion.
Iannis Anarys