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Il faut encadrer l’exposition aussi soigneusement que les tirages eux-mêmes

Bonjour à tous

Il est fréquent que des Internautes me posent la question de savoir ce qui doit advenir  des tirages après une exposition, parce qu’ils tentent de récupérer leurs photos, mais se heurtant à un interlocuteur qui, ayant financé les tirages, estime être propriétaire de l’ensemble et avoir le droit de les conserver, le cas échéant parce qu’il a supporté tout ou partie des frais de tirage.

Indépendamment de la prise en charge du coût des tirages, qu’adviendra-t-il en cas de sinistre dégradant ceux-ci, ou en cas de refus par un interlocuteur de restituer les œuvres à l’issue de l’exposition ? Sans un contrat de départ suffisamment clair et précis sur le sort qui sera réservé aux œuvres après l’exposition, on se confronte rapidement à la difficulté de qualifier l’opération juridique, afin de tenter ensuite d’en déduire les conséquences sur le sort des photographies faisant l’objet du litige.

Cette situation conflictuelle fit l’objet de l’arrêt de la Cour d’appel dont il sera question aujourd’hui.

Les faits

Une association avait coproduit avec le Conseil Général du Pas de Calais et la Ville de Béthune une exposition itinérante de photographies sur le thème du bassin minier. A l’issue de l’exposition, le photographe avait sollicité la restitution des tirages, mais s’était vu opposer un refus, nécessitant l’introduction d’une procédure en justice.

Pour complique les choses (et cela explique sans doute le refus), les tirages avaient subi des dommages suite à un dégât des eaux, et une expertise avait été ordonnée, l’Expert concluant que 10 des tirages étaient intacts, 34 susceptibles de restauration et 21 définitivement dégradés mais qu’au final, puisque ceux-ci portaient la mention “tirage d’exposition” et “ne peut être vendu”, ils n’auraient en tout état de cause pas été commercialisables, de telle sorte que le préjudice du demandeur, toujours selon l’Expert, se limitait au coût des tirages, “éventuellement augmentés des honoraires de l’auteur” (sic).

Le photographe, dans son assignation, sollicitait la condamnation de l’association (apparemment seule détentrice des œuvres) à restituer les tirages, et à défaut une indemnisation à hauteur d’un montant de plusieurs dizaines de milliers d’euros, et le Tribunal de Grande Instance de Béthune avait fait droit à sa demande par un jugement lui accordant la quasi-totalité des montants réclamés (TGI Béthune, 25/5/2010).

L’association interjeta appel du jugement, et l’affaire fut portée devant la Cour d’Appel de Douai.

L’arrêt

En appel, les parties invoquaient respectivement les arguments suivants  :

  • Le photographe, après avoir en vain tenté de faire annuler l’expertise pour une raison tenant à la forme des échanges entre expert et parties, indiquait qu’au surplus, l’Expert n’avait pas rempli sa mission. En effet, il lui avait été demandé d’évaluer la valeur “sur le marché de l’art au regard de la qualité des tirages, du reportage, de la notoriété de l’auteur, etc..”. Or l’expert avait cherché à déterminer – ce qui avait pourtant déjà été fait par le Tribunal – si les tirages étaient ou non récupérables et susceptibles de restauration.  Sur le fond, il contestait bien sûr la conclusion de l’expert selon qui ces tirages seraient dépourvus de valeur commerciale à raison des mentions portées au dos, et indiquait qu’il lui suffisait de barrer ces mentions et de signer les photographies pour pouvoir les vendre sans difficulté.
  • L’Association, de son côté, indiquait en effet que n’acquièrent de valeur que les tirages signés par leur auteur, “dont la diffusion reste limitée”, ce qui n’était pas le cas selon elle en l’espèce, puisque “(le photographe) avait vendu à plusieurs reprises des tirages de photographies extraites de l’exposition /…/ d’une qualité équivalente à ceux de l’exposition, qui sont donc les seuls retirages à revêtir une réelle valeur” selon elle.

Pour départager les parties, la Cour va tout d’abord rappeler qu’en effet, la mission de l’Expert était bien d’évaluer la valeur des œuvres sur le marché de l’art, puisqu’il était acquis dans le jugement que le photographe pouvait obtenir, outre l’offre de restitution des tirages en l’état, l’indemnisation de la perte de l’ensemble des tirages litigieux altérés par le dégât des eaux. Elle en déduit que “sont donc inopérantes les constatations de l’expert judiciaire selon lesquelles certains tirages seraient intacts (ce que réfutent les professionnels consultés lorsque l’exposition à un dégât des eaux laisse nécessairement des traces indélébiles perceptibles à long terme), d’autres éventuellement susceptibles d’une restauration (qu’aucun homme de l’art n’est toutefois venu confirmer).”

La Cour se livre ensuite à une analyse de ce qui peut faire la valeur d’un tirage, et c’est en cela que l’arrêt est intéressant :De même ne peut être accueillie la thèse de l’expert selon laquelle l’absence de signature de l’auteur au dos des tirages et la mention d’interdiction de vente leur ôteraient toute valeur marchande sinon réduiraient celle ci au coût de leur réalisation lorsque de manière unanime les professionnels consultés décrivent là une mesure dissuasive en cas de vol, l’artiste pouvant à loisir biffer les mentions citées, numéroter et signer ses tirages lorsqu’il décide de les vendre.

(Un témoin, gérant d’une maison d’édition) souligne au contraire que des tirages anciens ayant, comme ceux (du photographe), participé à une exposition acquièrent un statut très recherché lorsque l’artiste biffe la mention prohibant la vente, les signe et les numérote pour être à la fois originaux, vintage et en quelque sorte prototypes .

La considération de la valeur de l’oeuvre artistique en fonction de la notoriété de son auteur et de sa cote sur le marché de l’art relève au demeurant du bon sens (imagine-t-on la valeur d’un tirage original de CARTIER BRESSON ou de DOISNEAU ramenée à son coût de production ?)

La Cour estime inopérant l’argument de l’association /…/  selon lequel tant en 1991 qu’en 1994 (à l’issue de la période d’exploitation concédée) les tirages litigieux n’avaient aucune valeur puisque non biffés ni signés de l’auteur, excluant ainsi tout préjudice, lorsque la demande de restitution formée par (le photographe) avait justement pour but de porter sur ces tirages les mentions qui en permettraient la vente à des collectionneurs.

De même, le fait que (le photographe) ait vendu entre 1991 et 1994 des retirages de certaines photographies de l’exposition n’a pas d’incidence sur la valeur des tirages d’origine sur le marché de l’art qui, compte tenu de l’attrait des collectionneurs pour le vintage , ont acquis une valeur grandissante avec les années d’autant qu’ils revêtaient une qualité particulière du fait du matériel utilisé, en l’espèce un papier Agfa de très grande qualité qui n’est plus utilisé aujourd’hui, ce qui rend impossible la restitution de cette forme originale de l’époque. /…/” (CA Douai, 19/6/2013, RG 10/03867)

Pour évaluer le préjudice, la Cour va se baser sur une série de factures de ventes de tirages du photographe, pour déterminer “sa cote”, et allouer au final un montant un peu supérieur à ce qu’il réclamait en première instance (il avait augmenté sa demande en degré d’appel).

Qu’en penser ?

Tout d’abord, qu’il est dommage de confier une expertise ayant pour objet d’évaluer la valeur d’oeuvres d’art à un Expert susceptible de confondre “droits d’auteur” et “honoraires” dans le chef de l’artiste. Il est heureux que la Cour ait sanctionné cette mauvaise exécution de la mission confiée, en reprenant l’analyse précise des éléments qui devaient entrer en ligne de compte pour déterminer la valeur des tirages.

Par ailleurs, et si j’ignore ce qui était détaillé de part et d’autres dans les conclusions, la loi fournit (j’oserais dire “pour une fois”) un critère très simple pour déterminer s’il s’agit ou non d’une œuvre d’art : les tirages déjà vendus par l’auteur étaient-ils numérotés et signés? Si oui, était-ce bien dans la limite des 30 exemplaires ? Dans l’affirmative, il n’y a aucune contestation possible sur le fait que les tirages, tant ceux dégradés que ceux déjà vendus par ailleurs, avaient tous la qualité d’une œuvre d’art au sens de la loi, et pouvaient tous acquérir de la valeur. Il existe peut-être en parallèle (et certains me le confirmeront alors) une pratique consistant précisément à signer “après coup” un tirage d’exposition d’abord revêtu des mentions “tirage d’expo” et “ne peut être vendu”, mais même dans une telle hypothèse, l’argumentation de l’Association ne semble ici pas tenir la route, car rien n’exclut que différents tirages d’une même photo soient vendus dans un cadre artistique. Pour ceux qui en douteraient encore, je renvoie au Chapitre II de mon livre qui traite de la matière des tirages originaux sur 25 pages).

En outre, je m’étonne qu’aucune compagnie d’assurance ne soit intervenue. Une association se doit d’être assurée, surtout s’il s’agit d’organiser une exposition ou de détenir des œuvres d’art. Sans doute n’était-ce pas le cas. Or, une police dans laquelle aurait été indiquée de façon claire depuis le début la valeur des œuvres aurait peut-être facilité l’indemnisation. Mais il est évident que si tout le monde veillait à être prudent, il y aurait aussi moins de décisions de justice à commenter.

Quoi qu’il en soit, l’affaire se termine bien pour le Photographe, et donne à la Cour d’appel l’occasion de revenir sur les éléments de fait qui permettent d’évaluer une œuvre photographique. Cela n’est pas inutile.

Et tout ceci vous explique le titre de l’article : encadrer votre expo pourrait s’entendre tant, matériellement, des tirages eux-mêmes, que, juridiquement, de l’événement dans son ensemble.

Bonne journée.

Joëlle Verbrugge

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10 commentaires sur cet article

  1. Tu dis : “Une association se doit d’être assurée, surtout s’il s’agit d’organiser une exposition ou de détenir des œuvres d’art.” C’est aussi ce que je pensais … au 1er organisateur d’exposition qui m’a présenté une décharge à signer en cas de dégradation ou de vol, j’ai annoncé que je refusais d’exposer dans ces conditions. Depuis … je signe, car la plupart des “hébergeurs” d’expo (offices de tourisme, communauté de communes, etc.) m’impose le même genre de clause au motif que leur assurance refuse de couvrir ce risque (sauf à payer des primes exorbitantes).
    Donc pas trop le choix, si on veut pouvoir exposer sans s’être déjà fait un nom … 🙁

  2. Une question niaieuse, qu’est ce qui empêche l’auteur de tirer à nouveau les photos ?
    Dans le cadre d’une peinture ou statue quand s’est détruit ou abimé, et bien on ne peut pas refaire à l’identique. Mais dans le cas d’une photo si l’un des tirages est détruit rien (physiquement et surtout à l’ère du numérique) n’empêche de le tirer à nouveau et de renuméroter à l’identique, est ce que quelque chose l’empêcherait légalement ?
    Et cela pourrait s’appliquer aux tirages d’exposition susmentionnés.

    Ca ne résoud pas le problème de récupérer les anciens tirages qui était aussi une demande de l’auteur mais ca permettrait de limiter le dédommagement envers l’auteur.

  3. Bravo,
    très agréable de vous lire.
    Votre style est précis sans être complexe.
    Avec plaisir d’acheter vos ouvrages.
    faut il passer par Amazon ou préférez vous qu’on vous les achète en direct ?
    Belle journée.
    Nicolas

    1. Bonjour. Désolée, je n’avais pas vu votre question…
      Je ne vends pas directement les ouvrages. Vous pouvez donc passer soir sur le site de l’éditeur, soit comme vous l’indiquiez sur un autre site de vente en ligne.
      Cordialement,
      joëlle Verbrugge

  4. Bonsoir et merci beaucoup pour votre blog qui a déjà répondu à plusieurs de mes questions. Il en reste une dont je n’ai pas encore trouvé la réponse, je me permets donc de vous la soumettre ici. J’ai participé à un atelier photo qui a abouti à une exposition dans le lieu de l’atelier. Les images ont été tirées sur dibon avec une étiquette collée au dos pour le n° et la signature. Parce que l’atelier avait payé les tirages ils ont décidé de les garder sachant qu’ils ne les exposeront sans doute jamais plus et ne les vendront donc probablement jamais et sachant qu’ils nous ont contraint à les signer comme n° 1 de la série. S’ils les vendaient ils sont sensés nous restituer 80% de la somme de la vente. Est-ce légal que parce qu’ils ont financé ces tirages ils soient en droit de les garder en leur possession ? Merci par avance pour la réponse apportée.

    1. Il y a en cette matière autant de contrats que de galeries…. ce qu’on vous dit là n’est pas en soi illégal, mais tout dépend de ce que vous avez signé au départ. Vous êtes en plein dans le domaine contractuel.

    2. Je ne me souviens pas avoir signé quoi que ce soit mais je dois vérifier, que se passe-t-il si je n’ai rien signé. Il ne s’agit pas d’une galerie mais d’un atelier photo qui organise parfois des expositions pour montrer le travail des “étudiants”…

  5. Bonjour,
    Merci pour votre billet et sa sujet.
    Récemment ma maison a pris l’eau parmis les dommage causé se trouve une exposition d’une 20aine de planche en noir et blanc. Cette exposition appartiens à une association (dont je suis membres) à but non lucratif celle ci a était offert part un photographe pro. Je ne retrouve hélas pas les coordonnées de l’auteur.
    Pensé vous que mon assurance pourrait couvrir en parti un nouveau tirage ou es l’assurance de l’association qui couvre automatiquement les biens de l’association peut importe le lieux de stockage?

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