La valeur de l’image
Publié le 6 mars 2014
Bonjour à tous
L’article d’aujourd’hui est consacré à la question de l’indemnisation en matière de droit à l’image. Comme développé longuement dans l’ouvrage “Droit à l’image et droit de faire des images”, la valeur de l’image d’un individu, surtout lorsque celui-ci est relativement médiatisé, a tendance à entrer dans le patrimoine du sujet, mais que ceci ne dispense pas le plaignant de démontrer l’ampleur de son préjudice.
Pour les développements théoriques et d’autres exemples, je vous invite à prendre connaissance du bouquin. Mais voici une autre jurisprudence récemment publiée, qui vient confirmer cette tendance, tout en rappelant qu’il appartient au plaignant, aussi célèbre soit-il, de rapporter la preuve de la valeur du préjudice qu’il dit avoir subi.
Les faits
L’acteur Gérard Depardieu avait eu la désagréable surprise de voir son image utilisée dans un photomontage de nature publicitaire, diffusé à l’initiative d’une société exploitant un grand club de Rugby.
Cette société avait, à l’occasion d’une rencontre entre deux clubs, représenté l’acteur, vêtu d’un couvre-chef et d’une écharpe aux couleurs du club, avec un phylactère incluant le texte “Je rentre pour ce match !”. Le photomontage était diffusé à la fois sur le site Internet du club, mais également dans 5 éditions du quotidien gratuit “20 minutes”, ainsi enfin que sur la page Facebook du club. Elle avait en outre été relayée par plusieurs sites Internet consacrés au Rugby.
L’intéressé avait alors assigné la société, en sollicitant non seulement d’importants dommages et intérêts au titre de la violation de son droit à l’image (300.000 € quand même), mais également qu’il lui soit fait interdiction à l’avenir d’utiliser encore le visuel, ainsi qu’une publication du jugement à intervenir.
Après avoir été assignée, la société avait immédiatement pris l’engagement de cesser la campagne, mais ceci n’a bien sûr pas suffi à lui éviter toute condamnation.
L’ordonnance (Président du TGI de Paris, 30/5/2013, RG 13/53379)
La procédure fut lancée en référé, ce qui signifie que le demandeur sollicitait des mesures urgentes et provisoires (le retrait immédiat de la campagne, l’interdiction de la poursuivre, et une indemnisation qu’il chiffrait toutefois dès ce stade).
Après avoir rappelé le contenu de l’article 9 et la compétence du Juge des Référés pour statuer sur l’octroi d’une provision, ainsi que sur la demande d’interdiction, l’ordonnance évoque les arguments des parties.
L’acteur relevait que le photomontage était utilisé à des seules fins commerciales.
De son côté, la société exploitant le Club de Rugby invoquait :
. le fait qu’il s’agissait d’une caricature, entrant dans le cadre du droit de parodie et de caricature
. le fait que l’image n’avait en réalité pas été “commercialisée”, puisqu’elle ne paraissait que sur des supports gratuits (Internet et le quotidien gratuit “20 minutes”)
. qu’aucun effet publicitaire n’était recherché, s’agissant d’une simple “communication humoristique
. qu’il n’y avait pas non plus “d’atteinte à la dignité humaine” pour le plaignant, puisqu’il était au contraire représenté “sous un jour enjoué, arborant un large sourire, comme un supporter de rugby, sport qu’il affectionne d’ailleurs tout particulièrement”. Selon elle, l’image aurait même “redoré” l’image du comédien
. enfin, l’image aurait été utilisée dans un contexte d’actualité politique, s’agissant de faits divulgués par le comédien lui-même (son exil fiscal en Belgique). Ce moyen de défense fait donc référence, sans le nommer explicitement, au “droit à l’information”, en vertu duquel, donc, la défenderesse entendait justifier l’utilisation de l’image du plaignant
Mais le juge, sur le fond du problème, ne s’y est pas trompé. Et l’ordonnance relève que “s’il est exact que le photomontage et les propos qui y sont associés revêtent un aspect humoristique certain /…/ il n’en demeure pas moins qu’il s’agit non d’une caricature mais de l’utilisation détournée de son image, faite sans son autorisation préalable, à des fins manifestement publicitaires puisqu’il s’agissait de faire la promotion d’un match de rugby au profit du (club). Dans ces conditions, cette utilisation, nonobstant la célébrité de Gérard Depardieu, porte atteinte à son droit à l’image et emporte une obligation non sérieusement contestable de réparer le préjudice qui en résulte.”
Sur le dommage, l’ordonnance est plus mesurée.
Au titre du préjudice moral, qu’invoquait l’acteur en relevant que cette parution avait “ravivé” la polémique relative à son exil, le plaignant sollicitait un euro symbolique à titre provisionnel, lequel lui fut accordé sans difficulté même si le juge relève que l’acteur fut lui-même à l’origine de cette polémique, qu’il avait instiguée en rendant son passeport au Ministre au terme d’une lettre ouverte publiée à sa demande.
L’acteur évoquait également un préjudice patrimonial. Rappelons à ce stade que le juge des référés, qu’il avait choisi de saisir dans l’urgence, ne peut en principe accorder qu’une PROVISION, ce qu’il fait d’ailleurs en l’espèce. Il appartient alors aux parties d’aller débattre, sur le fond, de l’importante du préjudice. Un autre jugement reste donc à venir. Mais dans l’immédiat, le juge a relevé que les preuves produites par l’acteur ne contenaient aucun contrat récent d’utilisation de son image qui démontrerait que des droits pouvaient encore être négociés à un tel montant. Au surplus, il relève que l’acteur ne produit aucune preuve du montant qu’il perçoit pour les différentes campagnes de pub acceptées en Russie pour des entreprises polonaises, arméniennes ou azéries. Dès lors, en lieu et place des 300.000 € réclamés à ce titre, le demandeur obtint une provision de 15.000 €.
Mais à nouveau, ceci n’exclut pas qu’un jugement soit ensuite rendu sur le fond, plus ou moins sévère en terme de condamnation. L’avenir nous le dira.
Qu’en penser ?
Ceci rappelle bien sûr l’affaire qui mettait en cause les époux Sarkozy-Bruni c/ Ryan Air, dont il est question dans l’ouvrage.
La tendance se confirme donc, et l’utilisation à des fins publicitaires fut ici sanctionnée, indépendamment de tout caractère parodique, humoristique ou de tout lien (éventuel) avec le droit à l’information. L’aspect commercial a primé, entrainant la condamnation.
En terme d’indemnisation, se confirme également l’obligation pour le plaignant de démontrer la réalité du préjudice qu’il invoque.
Affaire à suivre peut-être, mais, dans l’immédiat, l’enseignement se confirme : annonceurs, évitez de faire n’importe quoi à titre commercial dans le cadre de vos publicités !
A très bientôt
Joëlle Verbrugge