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Le prix du rouge à lèvres augmente !

Bonjour

Sous ce titre étrange, je vous parlerai d’un  jugement rendu en juin dernier, et qui illustre bien l’obligation de prudence de chacun (photographe inclus bien sûr) lorsqu’il s’agit de procéder à une cession de droits à des fins publicitaires…

Les faits

Une chanteuse de renommée internationale s’était prêtée en 2003 à une séance de prises de vue aux fins de réalisation de son book. Cette séance avait été confiée à un photographe qui n’avait pas été rémunéré pour cela, mais avait en échange reçu « l’autorisation » de se servir des photographies pour mettre son travail en valeur (sans commentaire à ce niveau, pour que tout le monde reste calme).

Au moment où la séance avait eu lieu, la chanteuse n’était toutefois pas encore connue, et le photographe semblait même ignorer son identité, ce qui toutefois ne changera pas l’analyse du dossier par le Tribunal comme nous le verrons.

Parmi la série de photographies issues de cette séance se trouvait une photo représentant le haut du buste, une épaule et le visage de la changeuse, de profil. On pouvait apercevoir les cheveux courts et très blonds, une frange cachant la partie supérieure du visage. Les yeux n’étaient pas visibles, cachés derrière les cheveux.

Dix ans plus tard, le photographe céda les droits de reproduction de cette photographie à une grande enseigne de parfumerie/cosmétiques, laquelle s’en servit pour une campagne de publicité concernant  une ligne de rouge-à-lèvres.  La chanteuse assigna donc tant l’enseigne elle-même que le photographe

Le jugement

Au titre de la violation de son droit à l’image, la plaignante sollicitait pas moins de 150.000€ au titre du préjudice patrimonial, 50.000 € au titre de son préjudice moral, et une interdiction d’exploitation de la photo sous astreinte. L’enjeu était donc de taille pour les défendeurs.

Devant le Tribunal, les défendeurs faisaient valoir différents arguments :

. Un argument d’incompétence territoriale, du fait de l’introduction de l’instance à Paris, alors que le siège de la société se trouvait dans un autre ressort. Mais cet argument fut rejeté, la demanderesse démontrant que la campagne de publicité s’était étalée dans tous les points de vente, y compris parisiens

. Un second argument d’irrecevabilité, les défendeurs soutenant que la chanteuse n’était pas reconnaissable sur le cliché précis qui avait été utilisé dans les publicités. A ce sujet, le Tribunal relève :

En d’autres termes, et malgré le fait qu’il s’agit au moment de la diffusion d’une personnalité mondialement connue, le Tribunal considère comme suffisant le fait que seul l’entourage de la plaignante pouvait la reconnaître sur le cliché, le public étant de son côté habitué à des poses similaires sans toutefois pouvoir déterminer avec précision de qui il s’agissait en l’espèce.

. Sur le fond, ensuite, le Tribunal relève que l’absence de rémunération du photographe à l’époque ainsi que le fait qu’il ignorait l’identité de son sujet (et  ne pouvait au surplus pas prévoir l’évolution de sa carrière) n’était pas de nature à faire obstacle au droit à l’image issu de l’article 9 du Code civil, « dès lors que l’image de la demanderesse a été utilisée, sans son autorisation, sur un support publicitaire » (Jugement, page 7).

. Sur le préjudice, toutefois, le tribunal réduisit considérablement les demandes de la plaignante, en relevant que les éléments d’appréciation sur lesquels elle fondait sa demande patrimoniale étaient mal évalués, et limita à 3.000 € ce chef de condamnation. Sur le plan du préjudice moral, une somme de 2.000 € fut allouée.

. Restait à déterminer qui, des défendeurs, allait supporter cette condamnation, et le Tribunal condamna le photographe à garantir la société utilisatrice, considérant que c’était au photographe de vérifier qu’il disposait du droit de diffuser une image. Une interdiction d’exploitation fut également prononcée pour l’avenir.

Qu’en retenir ?

Une fois encore, et dès qu’il s’agit d’un usage à titre commercial, on ne peut qu’appeler à la plus grande prudence. Pour ceux qui ont déjà lu l’ouvrage « Droit à l’image et droit de faire des images », ceci ne fait donc que confirmer la rigueur stricte qu’il faut avoir lorsqu’une photo doit être utilisée à des fins commerciales.

Et ceci peut être transposé sans difficulté aux cas où une agence sert d’intermédiaire : avant de transmettre des photos sur lesquelles une personne est susceptible d’être reconnue (fût-ce seulement par son entourage), assurez-vous, photographes, de l’accord de celle-ci. Ou à tout le moins, indiquez clairement et par écrit à l’agence que l’utilisation n’est pas possible pour des buts commerciaux. Ceci n’empêchera toutefois pas une action à votre encontre, mais au moins disposerez-vous d’un moyen de (tenter de) faire supporter l’éventuelle condamnation par l’agence qui aurait perdu de vue cette limitation.

A bientôt.

Joëlle Verbrugge

 

6 commentaires sur cet article

  1. D’où l’intérêt de bien inscrire que le photographe peut se servir de la photo pour sa promotion mais aussi qu’il peut ou non dans ledit contrat en avoir un usage commercial, voir céder la photo à des tiers…
    Cela évite par la suite les procès je pense, quand tout est bien défini avant..
    Merci pour cette info, cordialement

    1. Bonsoir. En effet, si l’autorisation de départ est plus précise le problème est souvent écarté.. pour autant qu’elle soit aussi limitée dans le temps, et non faite sans durée limitée, car à ce moment elle peut être résiliée à tout instant…

    2. Bonjour Joëlle, je rebondis sur votre commentaire : je n’ai pas trouvé de réponse dans votre dernier livre sur un “droit au remord” du modèle, qui l’autorise à revenir à tout moment sur un contrat de cession de droit à l’image. Non seulement comme vous le dites lorsque le contrat est sans durée limitée, mais également s’il est à durée limitée. Il me semblait qu’il s’agissait d’un droit absolu du modèle… Avec quand même quelques garde-fou : demande en LRAR au photographe, délai laissé pour la mise en oeuvre du retrait des photos… Merci pour votre réponse

    3. Bonjour
      Dans l’état actuel, la réponse est surtout de nature contractuelle. SI autorisation d’image il y a (écrite et signée j’entends) elle doit s’exécuter, sans résiliation unilatérale possible. Du moins c’est ce qu’indique la jurisprudence actuelle, et pour autant bien sûr que ses termes aient été respectés.
      Le “droit au remord” dont vous parlez n’existe en fait que pour les autorisations “tacites”… qui sont donc juridiquement peu sécurisantes pour chacun… pour le photographe qui peut à tout moment voir le modèle changer d’avis pour le futur, et pour le modèle, qui n’est pas sûr toutefois que la jurisprudence ne va pas changer dans un sens qui lui est défavorable..

  2. Curieuse conclusion. Est-ce encore une particularité française?

    Dans d’autre juridictions (je pense particulièrement aux pays anglo-saxons) j’ai l’impression que la responsabilité pour s’assurer que l’image peut être utilisé pour but « commercial » (=publicité) reste chez l’utilisateur, c.à.d. dans ce cas le parfumier. C’est donc la responsabilité de l’acheteur de s’assurer qu’il existe un « model release » (autorisation du modèle).

    La responsabilité du photographe est de correctement déclarer s’il a un « model release » ou pas. S’il prétend avoir un « release », sans l’avoir, dans ce cas c’est la faute du photographe. S’il n’a pas prétendu avoir un « release » la faute est du parfumier.

    Donc, peut-être, dans ce cas précis, a-t-il prétendu avoir un « release » (éventuellement implicitement) ?

    La question est bien réelle : Si on vend du « stock photography », par exemple via un site en-ligne, le vendeur-photographe n’est pas en mesure de vérifier comment la photographie sera utilisée. La seule chose qu’il peut faire est de déclarer s’il a un « release » ou pas.

    1. Bonjour. Absolument, grosse différence à ce niveau avec les droits anglo-saxons.
      J’ai consacré des développements à ce niveau à la fin de mon bouquin sur le droit à l’image, avec un petit panorama sur le droit US et anglais.
      Les règles sont très différentes oui

      Cordialement,
      Joëlle Verbrugge

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