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Les errements de la notion de “journaliste” selon “Le Monde”

Bonjour

Dans un article paru le 30 octobre 2009, le célèbre quotidien français, commentant le Code de déontologie des journalistes, rappelait la définition du métier, rédigée en ces termes :

“Extrait :

Définition du métier : “Le journaliste a pour fonction de rechercher, pour le public, des informations, de les vérifier, de les situer dans un contexte, de les hiérarchiser, de les mettre en forme, et éventuellement de les commenter, afin de les diffuser, sous toute forme et sur tout support”. “L’indépendance du journaliste, condition essentielle d’une information libre, honnête et pluraliste, va de pair avec sa responsabilité. Le journaliste doit toujours avoir conscience des conséquences, positives ou négatives, des informations qu’il diffuse“. Pratiques : – Le journaliste doit s’attacher avant tout à l’exactitude des faits, des actes, des propos qu’il révèle ou dont il rend compte. “

(vous accéderez à la page du site d’origine en cliquant sur la capture d’écran ci-dessus)

Réjouissons-nous, d’éminentes écoles forment des journalistes et des photo-journalistes de talent…

Pour s’adjoindre les services de ces professionnels de l’image, les quotidiens supportent certes leurs salaires et les charges sociales y afférentes, mais en contrepartie ils sont assurés de ce que les informations rapportées sont conformes à la réalité et à l’éthique d’une profession qui  jusqu’à nouvel ordre ne s’improvise pas.

Mais les temps changent, le monde (et “Le Monde”, entre autres) évoluent… pas toujours en bien..

Voici ce qu’on pouvait lire le 6 septembre dernier sur le site du célèbre quotidien en ligne (cliquez sur les captures d’écran pour accéder à la page du quotidien en ligne) à la veille de la journée nationale de grève et des manifestations contre la réforme de la retraite :

Il avait déjà été question de ce type de démarche dans un précédent billet.

Sur le plan de l’éthique du journaliste cette pratique me parait hautement contestable…
Qui sont les expéditeurs des photographies ???
Certes ils donnent leurs noms, mais à quel parti politique ou éventuel corps des forces de l’ordre pourraient-ils appartenir ???
Qui vérifie la légende qu’ils proposeront pour illustrer leurs clichés ??

Qui vérifie l’identité des expéditeurs des clichés ?
Faut-il rappeler au « Monde en ligne » que l’on peut faire dire à un cliché ce qu’on souhaite??
Quel est le degré d’indépendance des auteurs des clichés ?
Et en l’espèce, que croyez-vous que les “rédacteurs en chef” aient réellement vérifié ??

Mais penchons-nous à présent sur l’aspect plus juridique de la question, puisque mon propos n’est pas uniquement de me révolter contre ce type de pratique sur le plan éthique.

Au titre des conditions de la “cession de droits” ainsi proposée (ou devrais-je dire “extorquée”? ),  « Le Monde » pose en ces termes les limites et conditions de cette cession :

“Les déposants autorisent l’utilisation de leurs photographies par Le Monde interactif pour une publication sur Le Monde.fr”

“Une” ?? Le Monde pourrait-il garantir qu’aucune seconde publication sur un support dérivé ne sera envisagée ou même réalisée ?? Et si oui, avec ou sans autorisation (ou même avertissement) de l’auteur ???

“Les photographies seront toujours utilisées avec mention du nom de l’auteur.”

Réjouissons-nous, l’article L 121-1 du CPI qui consacre le droit inaliénable à la paternité de l’oeuvre n’est pour l’instant pas encore trop menacé ; j’oserais dire que c’est un minimum, mais je crains presque que l’Histoire proche me fasse mentir !

– “L’utilisation de ces éléments ne pourra donner lieu à un versement de droits d’auteur ou à une rétribution sous quelque forme que ce soit”

En effet,  rien n’interdit à un auteur d’offrir ses droits sur ses clichés !
L’opération devient moralement moins respectable si, en systématisant la démarche, les organes de presse parviennent ainsi à se priver en tout ou en partie des services de leurs journalistes habituels.

Mais jusque là il ne s’agit que de considérations morales, car à ce stade on ne peut pas parler de « concurrence déloyale » : les photographes amateurs ne retirant aucun profit de l’opération (si ce n’est la gloire éphémère d’avoir vu leur nom inscrit en petits caractères à côté de quelques clichés sur le site de l’éditeur).

Et il n’y a pas non plus de charges sociales éludées, puisqu’à défaut de payer le moindre centime aux auteurs, il n’est pas non plus question de charges sociales sur ce type de piges inexistantes, ou de contribution diffuseur sur la même base fantôme.

Par contre, une telle cession doit en principe être constatée par écrit (fût-elle gratuite). C’est en tout cas ce que précise l’article L 131-2 du CPI.  Nous pouvons nous rassurer, des « conditions de dépôt » sont mentionnées au-dessous, et les « déposants » (qu’on ne qualifie donc même plus « d’auteurs ») sont invités à les accepter par écrit dans le mail par lequel ils transmettent leurs photos.

– “Le Monde interactif s’engage à prendre le plus grand soin des oeuvres confiées dans le cadre de ce service, mais ne pourra en aucun cas être tenu pour responsable des pertes ou dommages occasionnés aux oeuvres”

… et qu’en sera-t-il en cas de “perte” aboutissant à la publication de l’oeuvre par un autre média, sans, cette fois, la moindre autorisation (même à titre gratuit) de l’auteur ???  Il y pourrait y avoir contrefaçon au sens du Code pénal.
Sans aller jusque là, un “dommage” causé à l’oeuvre risquerait quant à lui de s’analyser en une atteinte au droit à au respect de l’intégrité de l’oeuvre, lui-aussi consacré par l’article L 121-1 du Code de la Propriété intellectuelle (je pense notamment aux recadrages sauvages, qui peuvent également faire dire au cliché le contraire de ce qu’il montrait à l’origine).

En contrepartie, les contributeurs auront la délicate mission d’apposer dans leur envoi la mention (également invérifiable) : “Je certifie être l’auteur de cette photo et accepte l’ensemble des conditions de dépôt stipulées sur Le Monde.fr”

Ce faisant, et dans la stricte relation juridique Le Monde/Photographe contributeur, les auteurs (annoncés comme tels) assumeront donc le risque éventuel d’une action en contrefaçon de la part du véritable auteur, en cas de diffusion sans autorisation d’une photo appartenant à autrui…  mais cette relation juridique est étrangère à l’auteur réel qui a été lésé, et celui-ci risquera donc de se retourner directement contre Le Monde en cas de publication de son cliché…
A cet égard, j’oserais dire que c’est de bonne guerre, et que la plainte serait alors un juste retour des choses.

Mais « Le Monde » a au moins raison sur un point :  lorsqu’il publiait, le 14 avril 2010, un article nommé “Journalisme : réservé aux plus motivés”.

(cliquez sur la capture d’écran pour accéder au site)

Cet article soulignait le fait que “des nouvelles pratiques ont bouleversé le paysage”… c’est en effet le moins qu’on puisse dire… et le célèbre quotidien apprend vite. Indéniablement !

Les règles juridiques ne servent pas uniquement à régler des intérêts privés, elles sont parfois aussi (fort heureusement) les garantes de certaines libertés démocratiques, comme celle d’avoir accès à une information indépendante et digne de confiance…

Pour conclure, et quel que soit le nombre réel de manifestants ici et là  nous pouvons donc au moins nous féliciter de l’incontestable succès de ces manifestations : l’âge de la retraite a été très brusquement et radicalement ABAISSE par la Rédaction de ce grand quotidien : quelques centaines ou milliers de photojournalistes parfois très jeunes et talentueux voient arriver à vive allure la fin de leur carrière…

Joëlle Verbrugge

5 commentaires sur cet article

  1. Commentaire laissé par David le 10/9/2010

    Bonjour, Je crois que l’on va vers un photo-journalisme à deux vitesse. Les professionnels qui savent et doivent synthétiser l’évènement dans l’unique but de diffuser l’information avec la véracité et l’objectivité la plus totale suivi d’une rémunération (c’est utopique mais ça devrait être comme ça), et les “autres” qui donnent au diffuseur des informations non vérifié, subjective, du tout-venant que le diffuseur devrait avoir la charge de vérifier (utopie encore), mais sur la masse de photo qu’il doivent recevoir il y a bien une poignée qui illustrent correctement l’évènement. ce tout-venant peu aussi venir confirmer ou infirmer l’info du professionnel.

    Je crois que l’un et l’autre pourrait s’accorder. la finalité étant quand même une question d’argent et de salaire pour ceux qui doivent en vivre, ceux pour qui c’est le métier.

    juridiquement ça doit être un casse-tête pour mettre la balance en équilibre en tre la véracité d’une info et la rémunération. Et les diffuseurs doivent savoir en jouer. C’est une danse d’uni-jambiste qui n’est pas prète de s’arrêter.

  2. Commentaire laissé par Camille le 20/9/2010

    Bonjour,

    je suis tombé sur votre site par hasard et je me permet de poser une question voila je travail pour une mairie et nous souhaitons faire une exposition sur un camp américain pendant la 1er geurre mondiale nous avons emprunter des photos a des particuliers il y a 10ans et on en a fais des photocopie pouvons nous les utiliser aujourd’hui ou existe t il un droit d auteur devons nous leur demander l autorisation?

    merci d avance bonne journée

    1. Ah oui.. bon cela dit, une solution facile et économique, fallait s’y attendre…

      Et il va de soi que nous pourrons protester longtemps, nous manquons d’arguments financièrement convaincants… mais il est évident qu’il faut le signaler…

      Merci d’avoir transmis le lien

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