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L’exploitation numérique des livres indisponibles

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Bonjour

L’article d’aujourd’hui est consacré à une loi votée il y a peu, et qui pourrait avoir une incidence importante (et potentiellement négative) sur les droits des auteurs en général, et donc également des photographes.

En date du 22 février dernier, le législateur a en effet introduit de nouvelles dispositions dans le Code de la Propriété intellectuelle. De quoi s’agit-il ??

I. RAPPEL DES PRINCIPES

Le droit d’auteur, rappelons-le, est constitué :

. d’aspects moraux (par nature inaliénables, imprescriptibles et incessibles en vertu de l’article L121-1 du CPI)

. et d’aspects patrimoniaux (dont le droit de reproduction et de représentation), lesquels droits sont par contre cessibles (sinon il n’existerait tout simplement pas de contrats d’édition). Mais le principe en la matière reste également que toute cession doit faire l’objet d’un accord. Elle n’est jamais présumée.

La loi dont il est question aujourd’hui a été votée dans le but de concilier des intérêts divergents, à savoir :

. d’une part ceux des bibliothèques, qui souhaitent donner accès en consultation sous forme numérique à des ouvrages publiés par le passé, non réédités mais non encore tombés dans le domaine public

. d’autre part ceux des auteurs de ces livres, qui ont en principe à donner leur accord avant qu’une reproduction de leur œuvre soit autorisée

Que faire, dans une telle situation, pour assurer le libre accès à cette catégorie d’ouvrages? C’est précisément à cette question qu’a voulu répondre le législateur.

II. LA LOI DU 22 FEVRIER 2012

Par une loi du 22 février 2012 (que vous pourrez consulter en ligne ICI), ont donc été introduits dans le CPI divers articles, sous le titre “Dispositions particulières relatives à l’exploitation numérique des livres indisponibles”.

La loi s’applique à tous les livres publiés avant le 1er janvier 2001 et qui ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale sous forme imprimée ou numérique (Art. L134-1 nouveau du CPI).  Ces livres, qui sont qualifiés “d’indisponibles” feront alors l’objet d’une procédure décrite dans la loi, et dès à présent critiquée de toutes parts.

Voici comment peut se résumer le système :

– la Bibliothèque Nationale de France établira une liste (estimée par certains à 500.000 ouvrages) des livres susceptibles d’entrer dans la catégories des “indisponibles”. Toute personne pourra en outre demander à ce qu’un ouvrage soit ajouté à cette liste.

– Lorsqu’un titre figurera dans la liste, le droit d’autoriser sa reproduction sous une forme numérique pourra être exercé par une société de répartition et de perception collective des droits d’auteur, agréée par le Ministère de la Culture

– Si une telle reproduction a lieu (c’est-à-dire lorsque l’auteur n’aura pas fait valoir son opposition comme indiqué ci-dessous), la société de gestion agréée pourra alors y procéder pour une durée de 5 ans, renouvelable, “moyennant rémunération”

– Il est toutefois prévu que l’auteur d’un livre indisponible OU l’éditeur disposant du droit de reproduction puisse s’opposer à l’exercice de ce droit, et ce en faisant opposition par écrit à l’organisme chargé d’établir la liste en question, au plus tard 6 mois après l’inscription du livre dans la base de données

Les sociétés agréées pour la gestion collective des droits n’obtiendront, selon la loi, ce fameux agrément que lorsqu’elles auront démontré certaines règles de fonctionnement énumérées par l’article L134-3 du Code, parmi lesquelles :

. une représentation paritaire des auteurs et des éditeurs  au sein des organes dirigeants

. le caractère équitable des règles de répartition des sommes perçues entre les ayants-    droits,  sachant que selon la loi, les montants perçus par le ou les auteurs du livre ne     pouvant être inférieurs aux montants perçus par les éditeurs

. des moyens que la société propose de mettre en œuvre pour retrouver les auteurs (ou     leurs héritiers) afin de répartir les sommes perçues (voir, pour l’ensemble de cette énumération, l’article L134-3 nouveau du CPI).

Lorsqu’un éditeur refuse l’autorisation de reproduction sous forme numérique, il devra par contre rapporter dans les 18 mois la preuve de la nouvelle exploitation qu’il a faite de l’ouvrage en question.

Au titre des critiques formulées sur cette loi, notons déjà :

. le fait que les éditeurs continueraient à percevoir des montants du fait de cette publication sous forme numérique, et ce alors précisément que si le livre a pu faire    l’objet d’une telle publication, c’est en raison de leur désintérêt à son égard (dans le cas contraire il n’aurait pas été “indisponible”);
Pourquoi, dans ce cas, ne pas avoir limité aux auteurs l’attribution des bénéfices d’une telle publication sous forme numérique  ?

.et le système imaginé pour l’auteur qui refuserait de rentrer dans le mécanisme.
En effet, la philosophie générale du droit de la propriété intellectuelle aboutirait plutôt à ce que lesdites sociétés de gestion trouvent d’abord les auteurs, avant de leur  proposer la reproduction, à laquelle ceux-ci devraient alors adhérer ou non.
En posant en principe que leur accord est acquis à défaut pour eux de formuler expressément leur refus dans un délai de surcroît relativement court, on renverse en réalité les principes fondamentaux de la protection créée aux auteurs.

Il faudra donc voir, en pratique, comment cette loi est mise en œuvre pour évaluer l’éventuel préjudice réellement subi par les auteurs.

Enfin, si ces dispositions peuvent paraître exorbitantes, et contraires à la philosophie générale de la propriété intellectuelle, notons toutefois que la tendance est générale, et non limitée au seul droit français. En effet, une directive européenne sur les œuvres orphelines contient également des mesures similaires quant à la reproduction des œuvres indisponibles.

Nous n’avons donc pas d’autre solution, en tant qu’auteurs, que d’être attentifs aux modalités pratiques de refus qui nous seront ouvertes pour, le cas où l’auteur ne souhaite pas adhérer, et à la façon dont elles sont, de fait, prises en considération par les sociétés de gestion agréées par le Ministère de la Culture.

Enfin, la même loi introduit dans le Code la notion “d’oeuvre orpheline”, au sein d’un article pour le moins sommaire et nous nous avions déjà parlé au sujet des D.R.. L’article qui en fait mention se présente comme suit :

« Art. L. 113-10. – L’œuvre orpheline est une œuvre protégée et divulguée, dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé, malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses.

« Lorsqu’une œuvre a plus d’un titulaire de droits et que l’un de ces titulaires a été identifié et retrouvé, elle n’est pas considérée comme orpheline. »

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il reste encore à ce sujet pas mal de travail avant que les sempiternels “D.R.” disparaissent du paysage…

A suivre donc

Joëlle

4 commentaires sur cet article

  1. Je la trouve “logique”, cette loi. Rétribuer celui qui “remet en piste “un de ces ouvrages doit être rétribué aussi.
    Que ceci réveille la conscience des ayants-droits de ces oeuvres devenues indisponibles est également un “plus”.
    Bon, pour l’oeuvre dite orpheline, ne pas connaître du tout son auteur ou ayant droit… à moins de remonter au Moyen-Age, il ne devrait pas en avoir des masses dont le remise en circuit commercial porterait préjudice à quelqu’un !
    ( Merci encore pour votre travail. )

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