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Ne lésinez pas sur les annexes !!!

Bonjour à tous,

L’article d’aujourd’hui concerne un jugement qui démontre une fois encore qu’en matière de preuve, tout élément peut avoir son importance. Il sera également utile pour rappeler que même dans le cas d’une oeuvre de commande, le rôle d’un photographe n’est pas forcément limité à un rôle technique.

logo_newCeci semble couler de soi, mais apparemment pas pour tout le monde, comme je l’ai d’ailleurs évoqué à propos de l’Administration fiscale il y a peu.

 Les faits

Un photographe de mode avait été approché en 2010 par une grande chaîne de salons de coiffure pour réaliser une série de prises de vues pour la campagne printemps/été 2011. Un thème précis avait été donné au photographe, dont il était convenu en outre qu’il réaliserait ses photos à l’occasion du tournage d’une vidéo dont la réalisation était confiée à un prestataire extérieur.

Il s’agissait donc de “photos de plateau” au sens où l’on définit généralement ce type de photos.

La cession de droits consentie par le photographe au profit de l’annonceur visait une série de 15 photos.

Quelques mois plus tard, s’apercevant que son client utilisait en réalité non pas 15 mais 19 photographies, le photographe l’assigna en contrefaçon, invoquant d’une part ce dépassement de la cession consentie quant au nombre de visuels, mais d’autre part également le fait que certaines utilisations n’étaient pas accompagnées de son nom (violation de son droit moral à la paternité sur l’oeuvre). Le photographe reprochait en outre à l’annonceur des utilisations sur des supports non prévus (des 4×3 et de l’affichage sur le réseau de transport en commun de plusieurs villes ainsi que sur Internet – site web et page FB de l’annonceur).

Il sollicitait la condamnation à d’importants montants au titre de ses différents préjudices.

Le jugement

Devant le Tribunal, l’annonceur invoquait essentiellement :

. à titre principal, le fait que selon le Code lui-même, un contrat de commande en matière publicitaire, la cession de droits était présumée en faveur de l’annonceur. Il rajoutait que même si cela n’avait pas été mentionné sur la facture, “il avait été conclu oralement” que la cession incluait TOUS les droits, en ce compris internet, affichage, etc. et que cela découlait notamment des autorisations d’image signées par les mannequins.

. à titre subsidiaire, le fait que les photos n’étaient pas originales, puisque faites à l’occasion du tournage, le photographe s’étant contenté de fixer les scènes se déroulant sous ses yeux, et ce dans le cadre d’un tournage dont un prestataire extérieur avait choisi les mannequins, le lieu, les décors et costumes, et donné des directives précises.

. enfin, une 3ème argumentation consistait  à relever que le photographe n’identifiait de toute façon pas les 15 photos qui avaient fait l’objet de la cession

Le Tribunal, dans un jugement du 30 mai 2014 (TGI Paris, 3ème ch., 3ème section, 30/5/2014, RG 12/06281) va trancher de la façon suivante :

. Quant à l’originalité, tout d’abord, il rappelle qu’il ne lui appartient pas de porter de jugement sur la qualité de l’oeuvre et ne peut “qu’apprécier le caractère protégeable de l’oeuvre au vu des éléments revendiqués par l’auteur et des contestations émises par ses contradicteurs”.
Il relève ensuite que les mannequins ont bien été recrutées, habillées et maquillées à l’initiative de la société de production organisant le tournage, mais poursuit en ces termes :

“Néanmoins, il ressort de l’examen des photographies que celles-ci ne sont pas la simple reprise de scènes de la vidéo mais mettent en scène les mannequins qui adoptent des poses particulières, avec des points de vue, cadrages et un jeu d’ombres et de lumières qui leur sont propres et qui reflètent la personnalité de leur auteur, /…/ qui ne s’est donc pas contenté d’effectuer un simple travail technique, contrairement à ce qu’indique la défenderesse.”

Le Tribunal souligne en outre la présente d’attestations rédigées par plusieurs mannequins, qui indiquent toutes que le lieu des prises de vue pendant la journée de tournage était distinct de celui du tournage lui-même, et que le photographe assurait seul les directives données aux mannequins, la gestion de la lumière, et était même intervenu pour faire des suggestions à l’équipe de maquillage.

Le Tribunal déduit donc que le photographe est bien l’auteur de 21 oeuvres protégeables par le droit d’auteur (j’ignore comment on est passé de 19 oeuvres à 21, mais ceci n’influe pas sur le fond du jugement)

. Sur la contrefaçon invoquée, le Tribunal examine la cession conclue rédigée comme suit : “droits d’utilisation France + international (PLV, presse, posters salon) pour une durée de 1 an pour 15 visuels”.

La précision de ces mentions excluait donc une cession totale, ce qui vient contredire la défense de l’annonceur.  Et le fait que les mannequins aient donné leur autorisation pour une exploitation sur d’autres supports ne modifie pas les relations contractuelles entre le photographe et l’annonceur, entre lesquels seule la facture établie doit servir de base contractuelle, “aucune autre pièce versée au débat ne (venant) démontrer une cession plus étendue des droits (du photographe”).

Par contre, les choses se gâtent au niveau du nombre de photographies utilisées. En effet, le Tribunal qui a bien considéré que 21 oeuvres étaient protégeables, estime par contre que le demandeur manque à son obligation d’identifier les visuels illégalement utilisés :

“Or, il n’apporte pas la preuve que les 6 clichés ne faisaient pas partie des 15 objets de la cession de droits, dans la mesure où les éléments versés au débat ne permettent pas d’identifier quelles sont ces quinze photographies. En effet, la facture /…./ évoque “15 visuels” sans les déterminer.”

En d’autres termes, le photographe échoue à démontrer que les photographies effectivement utilisées par l’annonceur ne faisaient pas partie des 15 qui avaient été finalement retenues comme objet de la cession de droits….

Et à ce titre, ses demandes au titre des droits patrimoniaux sont rejetées.

Pour ce qui est des utilisations sur Internet, les pièces produites sont des captures d’écran qui ne suffisent pas à rapporter la preuve aux yeux des magistrats, comme je l’ai également souvent rappelé. Le Tribunal conclut donc que “les captures d’écran n’ont pas été effectuées par un huissier de justice de sorte que les conditions techniques de leur réalisation ne sont pas connues et qu’il ne peut dès lors être affirmé que les éléments imprimés étaient effectivement présents sur les sites Internet sus-cités, en l’absence de tout autre élément venant le corroborer.”

En ce qui concerne les utilisations sur bus et panneaux 4×3 à Paris, Aix-en-Provence et Lyon, le Tribunal estime l’utilisation démontrée à l’aide de différents éléments du dossier, mais les refuse par contre pour la ville de Lille à défaut de pièces suffisantes.

Quant au dommage enfin, le Tribunal calcule le manque à gagner du photographe sur les photos concernées par l’affichage non-autorisé et lui octroie au final 10.000 euros au titre des droits patrimoniaux, et 3.000 au titre de son droit moral à la paternité sur l’une des oeuvres, ainsi qu’un solide article 700 (destiné à couvrir, rappelons-le, une partie des frais de procédure) à charge de l’annonceur, le tout assorti d’une exécution provisoire autorisation donc l’exécution du jugement même si l’adversaire fait appel.

J’ignore si ce jugement a été frappé d’appel, et me suis donc renseignée à ce niveau. Je viendrai le préciser si une réponse m’est transmise.

Qu’en penser ?

– A propos du principe de la cession de droits

Il est utile de souligner une fois encore que le droit d’auteur est indépendant du droit à l’image. Je l’ai déjà rappelé à différentes reprises dans ce blog. L’éventuelle autorisation des sujets des photos (ici les mannequins présents sur le tournage) pour un type d’exploitation ne suffit pas à présumer de l’accord de l’auteur des photos pour cette même exploitation. Ces deux questions s’apprécient indépendamment l’une de l’autre, ce que le Tribunal ne manque pas de relever.

– A propos de l’originalité

La “photographie de plateau” a déjà donné lieu à d’autres articles de ce blog. La tendance actuelle est d’en reconnaître l’originalité, pour autant que le photographe puisse démontrer que ses choix ne se limitent pas à capturer des images fixes correspondant aux scènes réalisées pendant le tournage. C’est la conclusion à laquelle aboutit également le Tribunal dans ce jugement, et l’on peut s’en réjouir

– Quant au principe même de la contrefaçon

L’enseignement majeur qu’il faut retenir de cette affaire, et qui confirme ce que j’ai souvent écrit ici ou dans mes ouvrages, c’est qu’en matière de preuve il ne faut pas lésiner sur les moyens. L’ajout à la facture du photographe d’une planche contact reprenant les 15 photographies concernées par cette cession aurait sans aucun doute sérieusement aidé au moment des débats devant le magistrat et il se serait peut-être vu octroyer les montants importants qu’il sollicitait au titre des droits patrimoniaux pour l’utilisation de ces photos.

Car s’il n’est pas contesté que 15 photos avaient finalement été retenues, il n’est pas possible pour le photographe de démontrer desquelles photos il s’agissait et donc, par voie de conséquence, de démontrer également le fait que les photos effectivement utilisées ne faisaient pas partie de ces 15 visuels…

En outre, la jurisprudence confirme une fois encore qu’en tant que preuve, des captures d’écran seules ne suffisent pas et qu’un constat d’huissier reste nécessaire. S’il est exact que cela augmente le coût pour le photographe déjà lésé, l’investissement se justifie dès que le litige commence à chiffrer du fait de l’ampleur des droits concernés.

Soyez donc vigilants et établissez de façon systématique des documents complets, comprenant une liste de l’ensemble des photos dont les droits ont été cédés. On ne le répétera jamais assez (mais comptez sur moi pour y revenir autant que nécessaire).

                                                Joëlle Verbrugge

Image d’accroche : © Kadyandgeorge – Licence Creative Commons

3 commentaires sur cet article

  1. Hello Joëlle!
    Comme toujours, instructif, intéressant et… important!
    Merci encore une fois pour tes efforts de “démocratisation” de toutes ces affaires qui nous intéressent.
    Bises tropicales, il semble que vous en ayez besoin en Métropole ces temps-ci! 🙂

    1. Ah bonjour Marc, ravie de te lire.. et oui, un peu de tropique par ici ne ferait pas de mal en effet 🙂 …
      J’espère que tout va bien à la Réunion.. 😉
      A très vite..

      Joëlle

  2. “Quant à l’originalité, tout d’abord, il rappelle qu’il ne lui appartient pas de porter de jugement sur la qualité de l’oeuvre et ne peut « qu’apprécier le caractère protégeable de l’oeuvre au vu des éléments revendiqués par l’auteur et des contestations émises par ses contradicteurs ». ”

    <3

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