Où s’arrête le style collectif et où commence celui du photographe ?
Publié le 5 mai 2014
Bonjour à tous.
“Où s’arrête le style collectif et où commence celui du photographe ?”. C’est la question que la Cour d’appel de Paris a dû trancher dans une affaire opposant le fameux Studio Harcourt à l’un de ses photographes.
Le litige était le suivant :
Un ancien employé du célèbre studio avait occupé divers postes, le dernier sous couvert d’un contrat de travail dont l’un des articles précisait que son salaire rémunérait “tant le travail effectué que la cession de ses droits (d’auteur) à titre définitif au profit de la société”. Un autre contrat conclu le même jour que le contrat de travail contenait une cession de “l’ensemble de ses droits de propriété intellectuelle afférents aux oeuvres et aux photographies réalisées” pour le compte du Studio, avec toutefois à cet égard une rémunération proportionnelle (pourcentage) en cas de cession desdites oeuvres à titre onéreux.
En 2009, le photographe qui se plaignait de ne pas avoir reçu le moindre relevé de droits depuis 3 ans, assigna le Studio devant le Tribunal de Grande Instance de Paris et demanda la désignation d’un expert afin de chiffrer le montant de ses droits. Il invoquait au surplus le fait que différentes utilisations de ses photographies avaient été faites sans mention de son nom, contrairement à ce qui était également prévu au contrat.
Le plaignant fut débouté en première instance, le TGI ayant estimé qu’il s’agissait d’oeuvres collectives, rejetant donc ses demandes au titre de son droit moral. Au niveau de l’exploitation des images, une somme de près de 6000 euros lui avait été octroyée au titre de “solde de ses droits à rémunération” (formulation un peu hybride, à mi-chemin entre salaire et droits d’auteur).
Le photographe interjeta appel du jugement, ce qui amena la Cour d’Appel à se prononcer à son tour.
L’arrêt (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 15/1/2014, RG 11/21191)
En ce qui concerne tout d’abord le droit moral à la paternité sur les photographies, l’appelant soulignait devant la Cour que le premier juge aurait dû examiner, photo par photo, les choix faits par le photographe pour apprécier l’importance de son intervention. Il reprochait au premier juge de n’avoir pas expliqué en quoi les dirigeants du studio, qui n’étaient pas des professionnels de la photographie auraient pu influer de quelque façon que ce soit dans les choix de prises de vue. Il rappelait aussi son rôle dans l’introduction des photos couleurs qui avant son arrivée n’étaient jamais pratiquées par le studio.
De son côté, le studio invoquait le fait que les caractéristiques des photos signées “Harcourt” relevaient de critères stricts définis “depuis toujours” par le Studio, ce qui leur donne une “griffe” unique. Il invoquait aussi la participation d’autres professionnels dans la chaine de l’image : maquilleur, éclairagiste, retoucheur, et demandait donc la confirmation du jugement qui considérait qu’il s’agissait d’une oeuvre collective.
A ces arguments, la Cour répondit en substance :
. tout d’abord, que le photographe lui-même n’avait pas pris la peine “d’individualiser les photographies pour lesquelles il revendique la titularité des droits d’auteur” et que cette recherche, qui aurait dû alors porter sur les 900 photos environ archivées dans les tiroirs du studio n’a donc pas été faite
. la Cour rappelle ensuite le prescrit de la loi, et plus précisément de l’article L113-2 alinéa 3 du Code de la Propriété intellectuelle, qui définit l’oeuvre collective (“Est dite collective l’oeuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé.”)
. elle relève ensuite que celui qui invoque l’existence d’une oeuvre collective doit “justifier de son rôle prépondérant du début du processus de création de l’oeuvre jusqu’à sa commercialisation”.
La Cour examine à ce sujet les différentes pièces produites, parmi lesquelles certains ouvrages éditoriaux consacrés au style particulier du studio pour en déduire que le style était propre au studio dans son ensemble, et depuis sa création, et que la photographie finale était une oeuvre collective.
L’appel était donc rejeté sur ce point.
En ce qui concerne, ensuite, la question des droits patrimoniaux, les demandes sont pour l’essentiel écartées à différents titres :
. pour une série de publications, la Cour des exceptions au monopole du droit d’auteur en vertu du Code lui-même (en l’espèce le droit à l’information).
. d’autres sont destinées à la promotion du studio lui-même, et ne donnaient pas lieu à facturation aux tiers
. d’autres ont donné lieu à une cession de droits à un tiers, mais celui-ci n’a pas payé (voir ci-dessous pour mon commentaire à ce niveau).
Au final, donc, une bien mauvaise aventure pour ce plaignant.
Qu’en penser ?
Sur la notion même d’oeuvre collective, voilà bien l’un des rares cas dans lesquels j’ai vraiment du mal à formuler un avis tranché. Le “style” Harcourt est reconnaissable et fut souvent décrit et commenté. De son côté, le photographe peut souvent démontrer avoir apporté l’un ou l’autre élément neuf (dans le cas présent il s’agissait de l’utilisation de la couleur).
Mes connaissances en photo de studio sont en outre très limitées (pour ne pas dire inexistantes) de telle manière que j’ai du mal à appréhender l’étendue de la liberté que le professionnel qui tient l’appareil peut mettre en oeuvre. Je crois que les spécialistes du genre commenteront bien mieux que moi. N’hésitez donc pas, si vous pratiquez la photo de studio, à venir apporter votre éclairage (désolée, je n’ai pas pu résister 😉 ) sur cette question.
Par contre, un élément retient mon attention et me parait très critiquable dans l’arrêt. En effet, au moment d’écarter les demandes de l’appelant sur l’une des séries de photos, la Cour relève que la société tierce à qui les droits avaient été cédés (et facturés) par le Studio n’avait jamais elle-même payé ladite facture, malgré une condamnation en ce sens. Et pour cette raison, la Cour écarte ce chef de demande. Sans que cela ne change fondamentalement le litige sur le plan financier, sur le plan des principes cet attendu est toutefois regrettable et peu compréhensible. Il revient en effet à exiger du photographe qu’il joue le rôle d’assureur-solvabilité de son propre diffuseur..
Le Code n’a jamais exigé – et pour cause – que le diffuseur soit lui-même payé avant de devoir acquitter les droits de l’auteur. Si le Studio disposait à cet égard d’une condamnation, il lui appartenait d’en poursuivre l’exécution ou, éventuellement, d’assumer seule le risque d’un impayé.
Sur la question purement technique que j’évoquais, je serais ravie de lire les commentaires des professionnels de la photo de Studio au pied de cet article.
Bonne fin de journée à tous
Joëlle Verbrugge
Photo d’accroche : © Suvajit – Licence Creative Commons
Bonjour,
Juste un commentaire, bien que n’ayant jamais travaillé régulièrement directement en studio.
Par, contre pour avoir occasionnellement fait du portrait en studio pour des acteurs il me semble que :
– Bien sûr lorsque l’on jette un coup d’œil sur ‘photo Harcourt’ dans les images de Google, on voit qu’il y a un réel style portrait Harcourt (éclairage presque toujours en spot, cadrage serré).
– Par contre faire de la photo de portrait demande un réel investissement-inventivité du photographe pour que le ‘sujet’ laisse parler sa personnalité.
– Cette interaction/travail entre le photographe et la personne photographiée pourrait sans doute être prise en compte en tant qu’objet réel du contrat de travail. Mais en ce cas il en serait de même pour tout acte de création photographique salarié…
Donc, à mon sens ne pas prendre en compte l’acte créateur du photographe-portraitiste n’est pas très normal.
Merci à Joelle Verbrugge pour ses billets
N Pousseur
Mon avis c’est une œuvre d’équipe, tout comme la réalisation d’un film, il y a les techniciens, qui comprend de nombreux salariés éclairagistes, maquilleuses, stylistes, assistants, cadreurs, ingénieur du son…, payés pour leur savoir faire sous la directive du réalisateur metteur en scène…, et il peut y avoir selon spécificités du contrat de travail des droits supplémentaires pour la diffusion du film, cédés au directeur de la photo, le compositeur de la bande son et la metteur en scène… mais dans un “film” tout est parfaitement défini… les rôles se mélangent très rarement…
On peut parler du style Harcourt mais l’émotion et l’expression qui se reflète toujours dans un portrait c’est la capture de l’instant choisi par le photographe quelque soit les techniciens, plasticiens devant ou derrière… pas toujours évident à faire valoir a travers un contrat de salarié avec un cadre bien défini… les juges peuvent apprécier la même qualité de lumière…style Harcourt, quant à l’esprit qui fait vivre un portrait… selon la personnalité du modèle… on peut émettre de nombreux doutes.
Les photographes du studio Harcourt travaillent en lumière continue avec plusieurs projecteurs de Fresnel (5 par exemple : 2 de face à 45°, 2 contres et 1 pour le fond). C’est une lumière très ponctuelle, très précise. Les photographes portraitistes des années 50 travaillaient tous comme ça ! Les flashs électroniques n’existaient pas. Il n’y a donc pas de style “Harcourt”, mais une signature Harcourt…
Oui, cette remarque me paraît très juste, et dans ce cas on se trouve alors bien dans le cadre d’un travail collectif, avec «signature» ou plutôt «label» apposé sur un produit commun. Cependant le fait est, comme il a été dit plus haut, que l’opérateur est là pour diriger ou guider le modèle et qu’il est le seul juge du moment de déclenchement, quel que soit par ailleurs l’arrangement des éclairages, le maquillage, la coiffure, le rendu final dépend essentiellement de son talent qui va seul faire la différence entre un portrait de marionnette et un portrait vivant. L’ennui c’est le flou artistique qui entoure la rédaction des contrats, flou renforcé par la méconnaissance du sujet par les juges.
Bonsoir
Apparemment on en revient toujours au même thème c’est le contrat de travail, avec ses clauses qui font foi (exclusivité, secret des œuvres, confidentialités, clause de non-concurrence….etc……) ce qui parait donc normal en mon sens, moi même qui travaille en bureau d’étude….
Photographes soyons vigilants à la signature de contrat même éphémère lors de tels ou tels prestations …..et tout cela sans parler du style du studio…..ou de la technique…..
Merci de cet belle article…..
Très cordialement
Laurent
Je suis assez d’accord avec le commentaire de Philippe Kandel car il est intéressant de constater qu’Harcourt avait sorti, au Salon de la Photo 2012, une sorte de cabine automatique de prise de vue (genre Photomaton) et le tirage (obtenu au bout de quelques minutes et de façon entièrement automatisée donc) était bien griffé “Harcourt”.
La sortie (j’avais testé) était typique du style Harcourt en effet.
Si une machine automatique est capable de sortir un tirage représentatif et signé, comment parler (systématiquement) d’une œuvre collective?
Le choix initial du photographe de se salarier chez Harcourt, le détache de la notion de création individuelle ou collective. En effet, aller chez Harcourt, c’est s’inscrire dans un mode de travail de la lumière très normé. Il y a un cahier des charges ultra précis à respecter. Le photographe est donc plus technicien que créateur. Il y a bien un style Harcourt (genre photographique, composition de la photo, cadrage, structure de la lumière, qualité de la lumière, exposition, profondeur de champ, type de développement/retouche/tirage, signature Harcourt). La marge de manœuvre du photographe est quasi nulle.
L’apport de la couleur constitue t-elle un acte de création? Non, car le travail du photographe ne tient pas à une étendue de couleurs mais à une graphie avec de la lumière (photos= lumière, graphein= peindre, dessiner) . C’est donc par essence le dessin qui prime sur la couleur en photographie. Pour finir de s’en convaincre, il suffirai d’inverser le processus : prenez une photo en couleur d’un photographe célèbre, passée là en noir et blanc. Cela fait-il de vous un créateur de la photo? A l’évidence, non. C’est bien la structure de la lumière, sa qualité, qui défini le créateur photographe.
Le client qui vient chez Harcourt ne s’y trompe pas, il ne vient pas chercher un style créé par Pierre, Paul ou Jacques qui travaille chez Harcourt, il vient chercher le style Harcourt, la marque, l’identité Harcourt. La revendication du photographe est donc totalement à côté de la plaque. S’il veut jouir pleinement de la reconnaissance de sa création, il ne tient qu’à lui de travailler à son compte, de cesser d’être un technicien pour travailler comme un créateur.
Et que penser du style Amazon, qui souhaite carrément breveter la photo sur fond blanc :
http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2014/05/09/cousu-de-fil-amazon-veut-un-brevet-pour-les-photos-sur-fond-blanc/
À la place d’Amazon, je déposerai carrément un brevet pour la technique de déclenchement avec l’index (droit et gauche pendant qu’on y est)…