Un peu de droit à l’image dans votre café ??
Publié le 21 juin 2012
Bonjour
L’article d’aujourd’hui est consacré au droit à l’image, et aux conditions imposées par la jurisprudence pour que celui-ci soit reconnu et que sa violation soit sanctionnée.
Les faits
Une mannequin avait prêté son concours, en 2005, à une troupe de danse dans le cadre de diverses manifestations à l’occasion de l’année du Brésil.
Une photographie prise lors de l’un de ses spectacles avait ensuite été utilisée par une société commercialisant des produits sucriers, et ce sur l’emballage individuel de morceaux de sucre sur le thème du Brésil. L’une des 13 déclinaisons de ces emballages mentionnait “Le Brésil – La samba”, et reproduisait, à la taille que l’on imagine sur ledit morceau de sucre, une photographie du mannequin.
Celle-ci, découvrant la publication dans plusieurs cafés parisiens, a alors assigné le producteur sur pied de l’article 9 du Code civil qui est, comme vous le savez à présent, la disposition laconique du Code civil qui consacre le droit à l’image (“Chacun a droit au respect de sa vie privée.”)
Le mannequin réclamait, au titre de réparation de son droit à l’image, une somme de 50.000 €, ainsi que l’interdiction faite au producteur d’utiliser à nouveau ce visuel, sous peine d’astreinte de 500 euros par infraction constatée.
Le Tribunal de Grande Instance de Paris (jugement du 9/1/2008, RG 07/03029) l’avait déboutée de ses demandes, de telle sorte qu’elle a alors interjeté appel.
L’arrêt de la CA de Paris (Pôle 2, chambre 7, 19/1/2011, RG 08/02897)
La Cour d’Appel avait confirmé le jugement et débouté à son tour le mannequin, condamnant en outre celle-ci à une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile, dans un arrêt rédigé comme suit :
“Ainsi que l’a déjà dit le tribunal, si la photographie produite par Yolande O. et qui la représente en costume de danseuse brésilienne présente des caractéristiques communes avec l’image, au demeurant banale, figurant sur les emballages de sucre, l’intéressée ne peut être identifiée en raison de la petite taille de la vignette, soit la dimension de la plus grande face d’un morceau de sucre, le visage du personnage reproduit n’occupant qu’une surface de 3 millimètres sur 2, les attestations fournies en cause d’appel par l’appelante n’étant pas de nature à modifier cette évidente constatation.
Aussi, l’atteinte au respect dû à l’image n’étant pas constituée faute d’identification de la personne représentée sur les emballages litigieux, c’est à bon droit que les premiers juges ont débouté Yolande O. de ses demandes, ce que la cour confirmera.” (Arrêt d’appel, page 3)
Le mannequin avait alors saisi la Cour de Cassation.
L’arrêt de la Cour de Cassation (RG 11.15-328 du 5/4/2012)
Le mannequin faisait reproche à la Cour d’Appel :
. d’avoir perdu de vue que le mannequin dispose sur son image d’un droit patrimonial “qui est le droit exclusif de tirer parti de la valeur de celle-ci et de contrôler les conditions de son exploitation”
. que l’article 9 du Code civil n’impose pas que l’image soit originale pour que celui qui y figure puisse invoquer son droit à l’image, et que dès lors la précision de la Cour d’appel à cet égard était sans objet et excédait le prescrit de l’article 9 du Code civil
. en outre, elle faisait reproche à la Cour d’Appel de n’avoir pas répondu à la partie de son argumentation écrite qui concernait la reproduction de cette même image sur le site internet du fabricant, image qui y était téléchargeable sans difficulté par les internautes, qui pouvaient alors l’agrandir facilement). Ce défaut de motivation constituait également, selon le modèle, un moyen de cassation de l’arrêt attaqué
Mais la Cour de Cassation ne suit pas la plaignante, et rejette le pourvoi au terme d’un attendu rédigé comme suit :
“Attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d’appel, après avoir relevé, outre la taille de trois millimètres sur deux du visage litigieux, sur une vignette occupant seulement la plus grande face d’un morceau de sucre, la mauvaise définition générale de l’image, a estimé que la personne représentée était insusceptible d’identification ; qu’à partir de ces constatations et appréciations souveraines, elle a pu retenir qu’aucune atteinte à l’image n’était constituée ; que le moyen n’est pas fondé ;” (Arrêt de Cassation, page 1)
En clair, la Cour rappelle qu’il appartient aux juridictions d’apprécier les éléments de fait et qu’en l’espèce, la Cour d’appel a suffisamment motivé sa décision en relevant que la photographie ne permettait pas de reconnaître la danseuse, eu égard à la taille du visage représenté.
Qu’en penser ?
La solution est logique et classique : pour invoquer une violation de son droit à l’image, il faut non seulement se reconnaître soi-même sur une photo, mais surtout être reconnaissable par autrui. Ce qui, le plus souvent, amène d’ailleurs les tribunaux à vérifier si, oui ou non, la publication cause à la personne représentée un “préjudice d’une exceptionnelle gravité” (voir cet article)
Ici, la Cour d’Appel et à sa suite la Cour de Cassation ne font pas de distinction entre le droit à l’image “commun” tel qu’il découle pour chacun de l’article 9, et l’aspect spécifique de ce droit pour ceux dont la profession est précisément d’en exploiter l’utilisation. Il est peut-être regrettable que les attendus n’aient pas été plus précis à cet égard, ce qui aurait permis éventuellement de mieux délimiter les notions.
En attendant, l’arrêt a au moins le mérite de rappeler le principe, de façon peut-être à calmer les velléités des plaignants.
A très bientôt
Joëlle Verbrugge
Bonjour,
Bien que connaissant ce blog de réputation depuis pas mal de temps, je ne le suis que depuis peu et n’ai pas encore parcouru son historique. Désolé par avance si la question que je pose a déjà sa réponse dans un billet précédent 🙂
Ici le mannequin a attaqué pour une question de droit à l’image et donc du préjudice associé. Elle a été déboutée, fort logiquement.
En tant que mannequin, profession tirant ses revenus des utilisations faites de l’image de sa personne, ne pouvait-elle pas intenter une action sur cette base-là, même si visiblement aucun contrat n’avait été passé entre elle et la photographe ?
Bonne soirée !
Bonjour
L’affaire est en effet un peu imprécise à ce niveau.
Je n’ai pas vu l’assignation originaire, mais il semble pouvoir être déduit qu’elle a bien argumenté sur le côté patrimonial que revêt son image pour elle (cela ressort notamment des moyens qu’elle développe devant la Cour de Cassation, en reprochant à la Cour d’appel de n’avoir pas répondu à cette argumentation).
Mais les juridictions du fond n’ont pas fait de distinction, et ont débouté de façon globale, parce que l’image était trop petite pour qu’elle soit reconnue.
Cela étant, ça reste logique : si elle ne peut pas être reconnue, ça ne lui cause pas plus de préjudice sur le plan personnel que sur le plan professionnel.
Mais il aurait été bien que les juridictions précisent un peu plus.
Bonne fin de soirée à vous
Joëlle Verbrugge
Et quid du photographe auteur de la photo ? A-t-il vendu sa photo à la société sucrière, où cette dernière a-t-elle également “volé” la photo ?
Aucune idée, les arrêts n’en parlent pas.
Il est évident que le litige aurait pu être initié par celui-ci, à qui alors on aurait sans doute rétorqué que la photo manquait d’originalité (c’est d’ailleurs évoqué brièvement par la Cour d’appel).
Bonjour Joëlle,
Il me semble que cet article 9 devient un fourre-tout, et il me semble avoir lu dans de tes articles qu’on ne pouvait pas parler de vie privée pour un personnage public dans l’exercice de son métier. Peut-être ai-je mal interprété.
De plus la danseuse est payée pour une prestation. Qu’advient-il effectivement du photographe qui s’est arrêté sur un personnage qui me semble, dans ce cas, public, puisque la représentation est publique ?
Peux-tu m’éclairer sur ce point?
Merci d’avance,
Jérôme
Est ce à dire que toutes photos réalisées lors de manifestation public peuvent être utilisables dans les circonstances invoquées ?
Est ce que si il y avait eu un contrat au préalable, les choses seraient autres ?
Merci beaucoup
Patrick
Notre copine Martine A. dirait ici, ” quand c’est flou, il y a un loup ” …
Outre le côté commercial de la prise de vue et sa diffusion, l’aspect “taille de l’image finale ” interpelle.
Imaginez un instant notre autre copain, Karl L. reproduit sur un morceau de sucre. On ne reconnaitra pas son visage, pas plus que celui de la danseuse brésilienne ; les juges vont-ils donc évaluer la reconnaissance sur la silhouette? l’habit?
C’est la porte ouverte à bien des dérives, cette histoire de “taille” !