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Une voiture, c’est un lieu privé !

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Bonjour à tous,

Pour débuter la semaine, un petit rappel qui peut être utile à certains (et l’a été, en tout cas, pour les protagonistes de cette affaire).

Ceux qui disposent du livre “Droit à l’image et droit de faire des images” pourront se reporter au schéma des pages 394 et 395…   ce petit parcours fléché, présenté sous le titre “Les questions à se poser avant de diffuser l’image d’une personne prise dans un lieu public” pose aussi la question de la nuance entre lieu public et lieu privé.

Couv avant
Au-delà des développements des pages 45 et suivantes, une petite jurisprudence récente rappelle qu’un véhicule reste un lieu privé, ce qui a une conséquence directe sur la nature de la condamnation éventuellement prononcée, puisqu’il ne s’agit plus alors d’une condamnation civile sur pied notamment de l’article 9 du Code civil, mais bien d’une condamnation pénale fondée sur l’article L226 du Code pénal…

Les faits

Dans le cadre de l’affaire que les juristes appellent déjà le “Closergate”, et relative à la vie privée du Président de la République, des photos avaient été prises à différentes reprises et montraient l’actrice, seconde protagoniste de l’affaire, dans son véhicule.

Un photographe, qui était pour le surplus également poursuivi pour d’autres infractions commises à l’occasion de ces filatures, était prévenu d’avoir, pendant une période de 15 jours début 2014, “volontairement utilisé la photographie de Mlle Julie GAYET, obtenue sans son consentement et alors qu’elle se trouvait dans un lieu privé, en l’occurrence son véhicule”.

L’actrice avait donc déposé plainte pour atteinte à sa vie privée, en exposant “qu’elle faisait l’objet d’une véritable traque depuis plusieurs semaines de la part d’individus, la plupart munis d’appareils photos, et qu’elle avait constaté que le magazine Closer n° 448 /…/ relatait dans ses moindres détails, photographies à l’appui, ses déplacements.”

Elle avait ensuite mis en demeure le magazine de cesser toute publication, mais en vain puisque le numéro suivant reproduisait, après un titre accrocheur annoncé en couverture, une photographie d’elle “a volant d’un véhicule vitres fermées, une légende indiquant : “C’est au volant de sa Citroën blanche que Julie Gayet a pris l’habitude de retrouver le Président…” (avant de détailler le nom de rue de l’un des lieux de rendez-vous, en précisant qu’il en existait un second).

Deux photographes avaient été interrogés et comparaissaient devant le Tribunal.

L’un, professionnel aguerri, affirmait n’être pas l’auteur de la photographie concernée dans le numéro 449, affirmant qu’il connaissait la loi pénale et ne s’y serait pas risqué. Le second, qui travaillait avec le premier était considéré par les enquêteurs comme l’auteur du cliché.

Le jugement (TGI Versailles, chambre correctionnelle, 2/9/2014)

Pour sa défense, le jeune photographe invoquait les déclarations de la plaignante, dont il estimait qu’elles se contredisaient et ne suffisaient pas à démontrer sa présence sur les lieux au moment où la photo litigieuse avait été prise.

Mais pour démontrer cette présence, les enquêteurs avaient croisé les rapports de localisation des téléphones portables de chacune des parties (cible et photographe) pour déduire qu’ils avaient déclenché les mêmes cellules dans l’intervalle dans lequel la photo avait été prise et se penche en outre sur les éléments décrits par la plaignante :

 Closergate-extrait1

Vient ensuite la délicate question de l’appréciation du lieu : public ou privé ? Les responsables de la publication – qui comparaissaient également devant le Tribunal correctionnel – estimaient à ce sujet que l’infraction n’était pas constituée en invoquant :

– le fait qu’elle avait été prise sur la voie publique, “au volant de sa voiture, derrière une surface vitrée, soit un espace accessible au regard des tiers”. Pour se prévaloir de la légalité de telles photos, les responsables de la publication invoquaient notamment les photos prises lors des contrôles routiers (radars), dont la légalité n’avait jamais été mise en doute

– le fait que la photo reproduisait une “situation parfaitement banale et aucunement révélatrice d’une quelconque intimité

– le fait que l’actrice “n’a nullement manifesté son opposition à la prise du cliché, alors qu’elle était parfaitement en mesure de le faire, ayant selon ses propres déclarations gardé son calme et regardé le photographe dans les yeux avant qu’il la prenne en photo“.

Mais le Tribunal ne s’y est pas trompé et a balayé ces argumentations dans les termes suivants :

Closergate-extrait2-1 Closergate-extrait3

Au final, si les condamnations se sont limitées à 1 euro symbolique pour la partie civile, des amendes ont par contre été prononcées contre le photographe concerné, ainsi qu’à l’égard des responsables de la publication (Directrice de la Rédaction et Directeur de la publication), malgré leurs protestations quant à l’absence d’un élément intentionnel. Le Tribunal relève clairement que l’activité même des intéressés rendait leurs protestations totalement vaines :

 Closergate - extrait 4

Qu’en penser ?

Cet jugement est dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure. Vous trouverez en effet dans le livre d’autres jurisprudences rappelant :

– que la “banalité” d’une situation n’est pas de nature à supprimer toute atteinte à la vie privée

– et fixant en outre la définition de ce qu’il faut entendre par “lieu privé”

Il n’était pas inutile de faire ce rappel.. tout ce qui est visible depuis la voie publique n’est pas forcément bon à publier… !!!

Bonne semaine..

                                 Joëlle Verbrugge

2 commentaires sur cet article

  1. Bonjour

    L’intérieur d’un véhicule est bien, pour ses occupants, un lieu privé. OK. On ne peut publier une photo ou les occupants sont identifiables ou reconnaissables si j’ai bien compris.

    Par contre si une voiture roule vers moi, au risque de me renverser si je suis piéton, ou roule vers moi en vue de commettre un accident si je suis un autre usager de la route, et que je prends à cette occasion le VEHICULE venant vers moi en photo, simplement, ou que ce véhicule est garé illégallement sur MON parking privé, nonobstant les faits commis par le conducteur, est-ce prohibé ?

    Au pire si le cliché devait être publié je pourrai flouter les visages.

    Sinon cette photo ou vidéo du véhicule et éventuellement de son conducteur ne serait elle pas un commencement de preuve – recevable – du comportement du conducteur en cas d’action en justice ?

    Merci de votre éclairage.

    Cldt

    DP

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