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Bien mal acquis ne profite pas toujours

Bonjour,

Revenons aujourd’hui sur le droit à l’image. Lorsque celui-ci est en concurrence avec le droit à l’information, nous avons souvent vu (et j’ai longuement détaillé dans mon livre) que l’un des critères mis en avant par la jurisprudence est l’indispensable lien entre la personne représentée et l’événement d’actualité illustré par la photographie.

logo_newMais comme on le voit dans le jugement dont il est question ici, cela ne suffit pas toujours.

Les faits

Un terroriste s’était introduit dans un avion et avait été maitrisé par les membres de l’équipage aidés eux-mêmes de certains passagers courageux.  Parmi ces derniers, un médecin qui avait administré des sédatifs de nature à calmer le terroriste.

Après cet épisode, l’avion avait été détourné par la compagnie pour se poser au plus vite, et les passagers avaient été isolés pendant plus de 12 heures à l’abri des photographes, le temps probablement que soient recueillis leurs témoignages dans le cadre de l’enquête criminelle.

Pendant cet épisode hautement stressant pour tous, un couple de passagers avait pris quelques photographies des événements qui se déroulaient dans l’avion, et les avait par la suite vendues à Paris Match  en commentant abondamment les événements. Le magazine, dans une édition de janvier 2002, titrait “Vol Paris-Miami  : Les passagers maîtrisent le terroriste – Photos exclusives”.

Le médecin impliqué dans l’acte de bravoure et figurant sur les photographies avait alors assigné l’éditeur du magazine au titre de la violation de son droit à l’image.

Le jugement (TGI Nanterre, 18/11/2002, RG 02/01938)

Le plaignant relevait au titre de son préjudice :

– d’une part le côté commercial de la diffusion (couverture et reproduction sur le site Internet de l’éditeur)

– d’autre part, le danger que la publication représentait pour lui-même et sa famille, dans un contexte international tendu dans lequel il avait eu à intervenir pour neutraliser un terroriste islamique évitant ainsi sans doute une catastrophe aérienne majeure (les faits se déroulent 3 mois après les attentats des Twin Towers, et le projet du terroriste était de faire exploser une bombe à bord).

L’éditeur avait bien entendu excipé du droit à l’information pour justifier la publication des photographies tout en contestant le fait que le plaignant soit suffisamment reconnaissable sur les photographies publiées. L’éditeur précisait que le médecin avait même, du fait de la publication, “bénéficié d’un fort élan de sympathie de la part de ses patients et tiré un surcroît d’estime de leur part” ce qui, ajouté au fait que la photo n’étant pas contraire à la dignité humaine, en autorisait la publication même si elle avait été prise à l’insu du plaignant.

Le Tribunal commence par vérifier que le plaignant est bien l’homme qui figure sur les photos, et qu’il est reconnaissable, ce qu’il considère comme admis.

Évoquant ensuite le fond du problème, le Tribunal relève :

“Attendu que si (le droit à l’image) connaît des restrictions lorsque les nécessités d’une information contemporaine et légitime le commandent, justifiées par un événement d’actualité auquel l’intéressé a directement participé, c’est à la condition cependant que l’image n’ait pas été obtenue en fraude manifeste des droits de l’intéressé.

Attendu qu’en l’espèce, il est constant que la maîtrise du terroriste qui tentait d’enflammer la mèche reliée à la charge d’explosif cachée dans la semelle de sa chaussure a été réalisée par des membres de l’équipage et des passagers mus par un élan de solidarité et de courage pour sauvegarder l’ensemble des personnes se trouvant à bord de l’avion en vol; que le cliché litigieux représentant les intervenants en discussion a manifestement été réalisé subrepticement, par un autre passager à la recherche du sensationnel, peu scrupuleux du droit d’autrui, après l’action du médecin pour le bien commun;

Que même si cette image, réalisée à bord de l’avion en vol le 22 décembre 2001 illustre les faits, (Paris Match), professionnel de l’édition, qui se prévaut en page de couverture du magazine, non de l’actualité de l’événement mais du caractère exclusif des photographies qu’il s’est procuré et publie plusieurs semaines après les faits, ne pouvait ignorer les conditions particulières de captation de l’image incriminée; qu’il devait dès lors, en l’absence de consentement de l’intéressé, prendre d’élémentaires précautions afin de préserver l’anonymat de l’un de ceux qui ont fait preuve de courage sans pour autant rechercher – comme d’autres passagers connus à se propulser sur la scène médiatique, et dont il n’est pas démontré ni même allégué d’ailleurs qu’il a rompu le silence qu’il avait jusque là gardé; qu’il s’ensuit que la reproduction de cette photographie est fautive;”

Prenant en compte notamment le risque que la menace terroriste pouvait faire peser sur le plaignant, même si le nom de famille de celui-ci n’était pas indiqué, le Tribunal lui octroie une indemnisation à hauteur de 6000 €.

Qu’en retenir ?

Ce qui, ici, fonde la décision du Tribunal est donc le côté commercial et sensationnel de l’accroche faite en couverture : “Photos exclusives”, ce qui l’amène à considérer que l’éditeur dépassait clairement la seule fin d’information qu’il invoquait comme justification et ce d’autant que l’article était publié plusieurs semaines après les faits, alors que le magazine est un hebdomadaire qui aurait donc pu relayer “l’information” dès après la survenance du drame évité. Dans de telles conditions, ce professionnel de l’édition aurait dû avoir égard à l’absence d’autorisation du protagoniste reconnaissable, et veiller à prendre les mesures techniques pour que son visage ne soit pas identifiable.

Au-delà de cette appréciation, les attendus du jugement contiennent également une critique sévère du comportement des deux passagers qui avaient pris les photos, et ce alors qu’ils n’étaient pas parties à la procédure. C’est, indirectement, une façon de poser des limites à ce que chacun peut imaginer faire avec les images captées lors d’un tel événement. Et il n’est pas inutile que, de temps à autre, un tel rappel soit fait.

Je n’ai pas connaissance d’un appel interjeté contre ce jugement, et n’en n’ai pas trouvé trace en cherchant.

Et le tempérament apporté ainsi par la jurisprudence viendra enrichir la prochaine édition du livre “Droit à l’image et droit de faire des images”, car il me paraît devoir être gardé à l’esprit.

                                          Joëlle Verbrugge

P.S. Et merci à la lectrice dont un commentaire d’un précédent article m’a suggéré le titre de celui-ci

2 commentaires sur cet article

  1. Bonjour,
    Au-delà des aspects juridiques, je suis effaré par le comportement du passager qui a pris la photo. Était-il conscient qu’il allait mourir ? Était-il conscient que ce médecin et les autres passagers qui tentaient d’intervenir étaient en train de lui sauver sa misérable vie… Le journal a été condamné, mais pas le passager. Peut-être que la justice aurait pu aller plus loin, et l’appeler à la barre pour lui faire une leçon de morale ?
    Olivier.

    1. Ca n’aurait en effet pas fait de mal
      Un magistrat ne peut pas lui-même faire intervenir une partie à la cause. Il peut par contre reprocher à l’une des parties de n’avoir pas assigné le vrai responsable.
      Auquel cas il rend un jugement de débouté à l’encontre du défendeur assigné, ce qui amène forcément le demandeur à réengager une action.
      mais comme ici le juge reprochait aussi à l’éditeur de n’avoir pas flouté…

      Mais sur les principes je ne peux que vous suivre. Il aurait été très instructif pour ce “photographe” d’entendre quelques vérités.

      Joëlle Verbrugge

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