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Figurante malgré elle

Bonjour à tous

Pour commencer la semaine, le commentaire d’un jugement rendu par le TGI de Nanterre en matière de droit à l’image.

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Les faits

Pour promouvoir ses articles de lingerie féminine, une marque avait organisé une mise en scène à laquelle elle avait volontairement mêlé des figurants qui participaient donc “à l’insu de leur plein gré” (pour reprendre l’expression désormais célèbre).

En l’espèce, trois mannequins vêtues uniquement de sous-vêtements s’étaient présentés à un portique de sécurité de Roissy, au milieu d’autres passagers pénétrant dans la salle d’embarquement. Comptant sur l’effet de surprise, et armés sans doute de caméras cachées, les réalisateurs anonymes avaient filmé la scène sur laquelle apparaissait une employée de l’aéroport chargée desdits contrôles de sécurité.

Celle-ci avait ensuite eu la désagréable surprise de se voir – parfaitement reconnaissable – sur la vidéo diffusée en masse sur Internet par le fabricant, puis relayée bien sûr sur la toile de façon massive.

L’employée avait alors saisi le Tribunal sur le fondement de l’article 9 du Code civil, estimant “avoir été instrumentalisée en participant à ses dépens à la réussite de cette opération”.

Le jugement (TGI Nanterre, 13/2/2014, RG 12/09288)

Le Tribunal, après avoir vérifié que la plaignante était bien la personne représentée sur la vidéo, dit l’action recevable, et relève qu’il n’y a pas de discussion sur le fait que son autorisation n’avait pas été sollicitée. Il déduit de tout cela que la violation de l’article 9 du Code civil est avérée.

Au moment d’apprécier le préjudice, le Tribunal va avoir égard à différents éléments :

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 (Jugement, page 4).

 Que faut-il en retenir ?

L’enseignement principal de ce jugement me paraît être qu’en matière d’appréciation du dommage, il est tenu compte du mode de diffusion, mais également de la “durée de vie” d’un media en fonction de la diffusion de celui-ci. Je l’avais bien sûr souligné dans l’ouvrage “Droit à l’image et droit de faire des images”, à propos du nombre et de la nature des supports de diffusion. Ce jugement reprend le même principe en analysant la seule “vie” de la vidéo diffusée sur le web.

En effet, si la viralité de la diffusion de la vidéo est ici évoquée, le TGI retient également du “caractère provisoire et décroissant, passé le moment de l’émoi et de l’efferverscence

A première vue, cela peut étonner. En effet, c’est précisément l’effervescence et la diffusion massive qui ont été recherchées alors du tournage et de la diffusion de la scène. Et si le TGI relève qu’il ne peut, juridiquement, condamner la société pour les diffusions qui se sont produites sur d’autres sites, c’est en reconnaissant dans le même temps que cette diffusion “considérable” était précisément l’effet recherché. Le jugement peut donc paraître contradictoire dans sa motivation.

La plaignante n’apparaissait toutefois que brièvement, et sans que la vidéo ne la fasse apparaître “ridicule ou offensée”.

Sur le plan des montants, en outre, la condamnation fut prononcée à hauteur de 10.000 euros, augmentés de 4000 euros d’article 700. Par contre, la publication demandée ne fut pas ordonnée.

J’ignore, à ce stade, si un appel a été interjeté par l’une ou l’autre des parties.

Toujours est-il, et on ne le répétera jamais assez, qu’il est nécessaire d’obtenir le consentement des personnes apparaissant sur des images diffusées à usage commercial ! Le fait que la marque ait, semble-t-il, fait disparaître les vidéos au fur et à mesure que la plaignante en relevait l’existence n’a bien sûr pas suffi pour lui éviter toute condamnation, la plaignante ayant pris soin de faire établir un constat d’huissier préalablement à son action.

La viralité d’une vidéo peut donc, pour ceux qui apparaissent et désirent s’en plaindre, constituer autant un élément limitant leur dommage qu’un critère augmentant, au contraire, leur préjudice.

Bonne semaine à tous

Joëlle Verbrugge

4 commentaires sur cet article

  1. C’est la démonstration de l’excès du droit français en matière de droit à l’image. Je n’ai pas vu la video, mais je me questionne de savoir en quoi elle a subi un préjudice dans la mesure ou elle n’apparait pas ridicule ou offensée. Elle aurait voulu avoir son mot à dire (le privilège de dire oui vraisemblablement), ou non (sans raison valable que son propre droit, accordé par excès par le législateur), ou être rémunérée ( ce qu’elle n’ose même pas dire). Même le tribunal ne précise aucun préjudice. Les autres figurants auraient pu aussi se prévaloir des mêmes droits. Il y a en France un abus de droit dans le droit à l’image ( il suffit de comparer avec d’autres pays). C’est dommage pour l’art photographique et la photographie en général.
    Mais oui, dès qu’il y a exploitation commerciale, le risque que quelqu’un se prévale de cet abus légal existe.

  2. Bonjour Joëlle,
    à propos de consentement, est-ce que la société à l’origine de la vidéo ne pouvait se prévaloir de l’article 226-1 du Code Pénal ?

    “Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé.”

    CP 226-1 – De l’atteinte à la vie privée http://goo.gl/LlsgU

    1. Bonjour Hervé.
      Non à mon sens. Cet article est un tempérament à la règle de base d’interdiction de diffusion des images faites dans un lieu PRIVE. Or l’aéroport de Roissy est un lieu public.
      En outre, elle n’a pas pu manifester de consentement, n’ayant justement pas vu qu’on la filmait… et ayant découvert qu’elle apparaissait sur une vidéo au moment de la diffusion de celle-ci..
      Enfin, c’est surtout la finalité commerciale qui a entrainé la condamnation.. si cela avait été à des fins d’expression artistique, elle aurait dû démontrer que la diffusion lui causait “des conséquences d’une particulière gravité”.. regarde à ce niveau le cheminement que je propose dans les schémas vers la fin de mon bouquin (que tu as, je n’en doute pas 😉 )… et qui te rappelleront dans quel ordre les questions peuvent être posées pour arriver à une “solution” conforme à la jurisprudence actuelle
      (ce qui ne veut pas dire que cette solution soit aussi la plus logique en équité, ou qu’elle soit durable).

      Joëlle

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