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La force probante des eMails – Suite

Bonjour à tous,

Le titre de cet article reprend une question que l’on me pose souvent. Pour rappel en effet, le droit français de la preuve est très strict, nous le voyons notamment en matière de preuve par constat d’huissier.

Qu’en est-il, donc, de la recevabilité des eMails, qui constituent bien souvent la trame principale – voire unique lorsque aucun autre contrat n’a été signé – des échanges entre parties ?

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Ces mails ne peuvent pas être considérés comme des “écrits” au sens des dispositions civiles en matière de preuve, mais ceci ne leur enlève pas pour autant toute force probante.

Et j’attendais, pour revenir vous parler de cette matière, qu’une juridiction ait à nouveau l’occasion de se prononcer à nouveau sur la question. C’est à présent chose faite, grâce à un arrêt rendu le 30 mai dernier par la Cour d’appel de Paris rendu en appel d’une affaire que j’ai déjà évoquée dans un précédent article.

Je me réfère donc, pour les faits de ce litige, à l’article publié il y a 2 mois à propos du jugement rendu en première instance dans la même affaire.

L’arrêt (CA Paris, (Pôle 5, Chambre 2, 30/5/2014, RG 13/14849)

Le photographe partiellement débouté avait donc saisi la Cour d’appel, ce qui donna lieu à l’arrêt dont il est question aujourd’hui. Vous verrez que sur un raisonnement qui parait au départ moins favorable au Photographe, la Cour va néanmoins durcir les condamnations prononcées contre son interlocuteur.

Sur la question de l’annulation pure et simple de la cession, demandée par le photographe qui invoquait l’absence totale de limitation de la durée des droits cédés, la Cour va réformer le jugement de première instance, en considérant qu’il n’y a pas lieu de prononcer la nullité du contrat puisqu’aucun formalisme précis ne découlait du Code de la propriété intellectuelle.

C’est essentiellement une gymnastique de l’esprit (de celles dont les juristes ont le secret), qui revient :
. dans un premier temps (TGI) à dire que l’écrit qui semble former seul le contrat doit être annulé puisqu’il ne contient aucune limitation de durée,
. et dans un second temps (la Cour) qu’en réalité il faut entendre par “contrat” l’ENSEMBLE des échanges entre parties, puisqu’aucun formalisme précis n’est imposé par le CPI pour la rédaction d’une cession de droits.
Certes… ils finiraient par m’embrouiller, puisque j’ai dans un premier temps cru avoir mal lu le premier jugement…
Au final, l’important étant que les échanges de mails sont bel et bien pris en considération, que ce soit comme “roue de secours” d’un contrat annulé (TGI) ou comme composants à part entière d’un contrat non-formel (Cour).

Étant admis qu’il faut donc prendre ces eMails en considération comme éléments du contrat intervenu, la Cour examine ensuite les différentes utilisations qui ont été faites des photos par le fabricant. A propos notamment d’une campagne d’affichage urbain, qui avait donné lieu à un débouté en première instance “faute de preuve”, la Cour considère au contraire que le fabricant a explicitement reconnu son existence dans le cadre de la procédure en affirmant que, selon lui, cette campagne respectait la destination prévue. C’est ce qu’on appelle en droit de la preuve un “aveu judiciaire” : le fait de reconnaître, notamment par voie de conclusions dans une procédure, qu’un fait est bien réel (ici la campagne d’affichage sur mobilier urbain – en l’espèce des arrêts de bus). De cette reconnaissance, comparée aux eMails échangés entre parties, la Cour déduit que cette utilisation des photographies n’était pas autorisée et constitue dès lors une contrefaçon.

Venait ensuite une utilisation par affichage sur les rotondes des magasins “Printemps à Paris. Des affiches de 50 et 55 m² étaient en effet utilisées par le fabricant qui invoquait pour sa défense le fait qu’il s’agissait de “PLV” (Publicité sur les Lieux de Vente), support expressément autorisés dans les échanges de mails entre parties. La Cour ne l’a toutefois pas entendu de cette oreille, en estimant “qu’il ne saurait être sérieusement soutenu que l’affichage dont il s’agit (affiches de 50 et 55 m²) sur l’immeuble du grand magasin Printemps Haussmann constituerait une publicité destinée à promouvoir directement un produit sur son lieu même de vente” (Arrêt, page 8).   Toujours relativement à ces supports, le fabricant faisait état d’échanges intervenus entre parties quant à la faisabilité d’une telle réalisation, mais la Cour soulève que ceux-ci ne concernaient que la faisabilité technique, et n’avaient pas donné lieu à quelque facturation que ce soit. L’utilisation est donc également constitutive de contrefaçon à cet égard.

Le photographe eut par contre moins de succès à propos d’une utilisation sur des bâches et affiches 4×3 m et sur l’agenda 2012 d’une association, à défaut pour lui de ramener une preuve suffisante aux yeux de la Cour.

Au final, sur les demandes considérées comme fondées, la Cour accorde au Photographe une indemnisation de 30.000 € (dont 10.000 pour les préjudices moraux) et ordonne la publication du jugement dans deux parutions de son choix, bien sûr aux frais de la partie adverse, ainsi qu’à une solide indemnité au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile.

Qu’en penser ?

Sur ce point, je conclus de la même manière qu’après le premier jugement. Conservez précieusement l’ensemble de vos échanges avec vos interlocuteurs.
Et, on le voit ici, veillez à bien vous constituer des preuves de chacune des utilisations des photographies. Si un constat d’huissier peut coûter cher, il aurait été ici – pour les affiches 4×3 m qui n’ont pas donné lieu à condamnation – un investissement utile.

Mais ne perdez pas de vue que des pièges peuvent se cacher entre les virgules…  et que rien ne vaut un contrat bien précis, clair et complet. Dans un tel cas de figure, l’affaire aurait vraisemblablement pu se régler à l’amiable si un document précis avait été signé par les parties au préalable. Ou il n’y aurait même jamais eu “d’affaire”.

Bonne semaine à tous,

Joëlle Verbrugge

 

1 commentaire sur cet article

  1. joelle bonjour,

    je peux confirmer la prise en considération des mails sans aucun problèmes :
    1er affaire : réalisation de travaux ( photos + web ) pour un client sans devis préalable ( client habituel) refus de la part du client de régler la facture ça défense pas de devis , j ‘ai produits les divers échanges de mail que nous avions eu avec les phases de validations . jugement en ma faveur en appel et en première instance.
    2 éme affaire: un sous traitant prend contact par mail avec un de mes client (pour qui il travaillais indirectement donc). ce sous traitant rédige un mail difament ou il remet en cause , notre travail , qualité de travail légitimité dans le dossier, et invite notre client a traiter en direct pour plus de réactivité et un coup moindre.
    la aussi , j’ai produits le mail transmis par mon client, jugement en ma faveur en appel comme en première instance .

    A+

    franck

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